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Intervention de Sébastien Lecornu

Séance en hémicycle du mardi 23 mai 2023 à 15h00
Programmation militaire 2024-2030 — Article 2 et rapport annexé

Sébastien Lecornu, ministre des armées :

Il existe deux niveaux de réserve dans le code de la défense nationale : la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) et celle de deuxième niveau (RO2), cette dernière permettant déjà le rappel des volontaires. En outre, le Conseil des ministres ou le Parlement peut parfaitement décider de rappeler tous les réservistes de la RO2. Ce soir ou demain, nous évoquerons sans doute les mesures de simplification et de relèvement des limites d'âge ; mais globalement, monsieur Cinieri, votre sous-amendement est satisfait, soit par le droit existant, soit par les amendements à venir. J'en demande donc le retrait.

Madame Ménard, je vous remercie pour cet amendement d'appel qui permet de revenir sur ce que nous souhaitons. S'agissant des classements entre pays, on ne peut pas comparer ce qui n'est pas comparable. Une puissance dotée de la dissuasion nucléaire ne saurait être comparée à un pays non doté. D'ailleurs, ce sont les gaullistes, dont tout le monde parle depuis le début de la discussion du texte, et notamment Pierre Messmer, qui, tirant les conclusions de la dissuasion, ont entrepris la diminution du format de l'armée de terre dans les années soixante. Ce fut assez douloureux, Pierre Messmer l'explique très bien dans ses mémoires.

Deuxième point, que personne n'a encore évoqué, et c'est heureux : vous ne bâtissez pas la même armée quand il s'agit d'agresser une autre armée ou de vous défendre. J'enfonce une porte ouverte, mais les pays qui nous devancent parfois dans ce classement ne disposent pas toujours du même niveau de diplomatie et d'attention à l'utilisation de leurs forces armées que nous.

Troisième point : l'articulation entre armée active et réserve n'est pas la même dans tous les pays. J'irai même plus loin – on en parle trop peu depuis le début de la discussion : aucun pays ne dispose de notre apport de civils au sein de sa défense nationale. Ainsi, dans le ministère dont j'ai l'honneur d'assurer la direction, 60 000 civils de la défense occupent des fonctions parfois extrêmement stratégiques à la direction du renseignement militaire (DRM), à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), etc. À l'inverse, beaucoup de soldats en uniforme sont employés à des fonctions de bureau, et ne sont donc pas combattants.

Il faudrait donc analyser, par exemple au sein de l'armée de terre, qui est employable au combat et qui ne l'est pas. Ce n'est pas tant le nombre organique qui importe que notre capacité à aligner sur le terrain, si besoin est, des brigades, une division, voire – potentiellement à plusieurs –un corps d'armée.

C'est une affaire de cohérence et de masse. On l'évoque beaucoup pour les équipements, mais cela vaut également pour le nombre de militaires : si vous avez beaucoup de militaires, mais qu'ils sont très mal organisés – regardez l'armée russe en Ukraine –, l'effet militaire sera réduit.

Les États-Unis sont le seul pays capable de déployer seul un corps d'armée sur un champ de bataille. Que vous propose-t-on dans ce projet de loi de programmation militaire ? Qu'en 2027, à la fin du quinquennat, l'armée française soit capable, dans un délai d'un mois, de déployer seule, en souveraineté, une division entière – autour de 12 000 hommes, soit deux brigades –, complètement équipée et soutenue par un service de santé, un commissariat, etc.

Le débat parlementaire doit répondre à cette question : qu'attend-on des armées ? Quelle est notre cohérence ? Je reprendrai ce débat avec vous, car vous avez déposé d'autres amendements d'appel, plaidant notamment pour le retour d'un service militaire. Pendant la guerre froide, il fallait masser des millions de jeunes gens aux frontières de l'est de la France, ou aux frontières de l'Otan, pour dissuader l'autre ; aujourd'hui, même avec le retour de la guerre en Ukraine, ce concept de dissuasion non nucléaire, par la masse, n'a plus lieu d'être.

Désormais, les menaces sont hybrides et il faut adapter le format de l'armée, en faisant évoluer les ratios entre officiers et sous-officiers ainsi que les métiers. Dans la marine nationale et dans l'armée de l'air, il y a plus d'officiers depuis les années soixante, la dissuasion nucléaire ayant conduit à créer de nouveaux métiers.

Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer votre amendement.

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