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Intervention de Carlos Martens Bilongo

Séance en hémicycle du mardi 23 mai 2023 à 9h00
Questions orales sans débat — Hommage à toussaint louverture

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCarlos Martens Bilongo :

Il y a quelques jours, le Président de la République s'est rendu à La Cluse-et-Mijoux pour honorer Toussaint Louverture. Cet hommage doit être analysé sans omettre tout le cynisme qu'il dévoile.

Je me dois de rappeler non seulement que Toussaint Louverture a été illégalement déporté de Haïti en France mais qu'il a été détenu sans procès et qu'il est mort en prison à la suite de mauvais traitements. À ce déni de justice s'est ajoutée, pour la première République noire, l'obligation de signer une reconnaissance de dette en dédommagement de son indépendance. Par cette dette illégale, la France voulait en effet que le peuple haïtien paie des compensations aux propriétaires des mis en esclavage, à hauteur de 150 millions de francs, soit 25 millions d'euros. Ce galop d'essai fut institutionnalisé en 1848 par l'article 5 du décret d'abolition et appliqué en 1849.

Il ne suffisait pas à la France d'avoir participé au hold-up de l'humanité pour assurer les fondations du système colonial capitaliste, il lui fallait encore, tel un gangster, imposer une rançon coloniale qui relève d'un paradoxe atroce, puisque le vainqueur verse une indemnité au vaincu. Pour honorer les intérêts de la dette, le gouvernement haïtien a dû prélever des taxes, essentiellement auprès de la classe paysanne exsangue.

Puis un accord a été conclu entre la France et Haïti, aux termes duquel une zone de libre-échange a été installée unilatéralement, ce qui violait de facto la souveraineté de Haïti et entravait de manière quasi définitive son développement. Ces éléments ont empêché l'accession à l'émancipation du peuple haïtien et ont annulé les bienfaits de la révolution de 1804.

Le sort de Haïti était scellé : la dette n'a cessé d'augmenter, la pauvreté aussi ; le peuple et le pouvoir étaient à la dérive.

Madame la ministre, face à ce constat accablant pour la France, entre autres, permettez-moi de poser deux questions. Ne croyez-vous pas qu'il serait urgent qu'en application de l'un des principes fondateurs de la Charte des Nations unies, la France œuvre à l'instauration effective de « l'égalité des droits […] des nations grandes et petites » et qu'elle cesse, d'une part, de participer à la mise sous tutelle de Haïti et, d'autre part, de demander, à l'instar du Core Group, l'intervention d'une force armée à laquelle le peuple haïtien est totalement opposé ?

N'est-il pas plus que temps que notre pays procède de manière inconditionnelle au remboursement de la dette illégale et de ses intérêts ainsi qu'à la mise en œuvre d'un processus décolonial politique et collectif de réparation d'un crime contre l'humanité, pour avoir imposé de façon inhumaine aux mis en esclavage une situation coloniale d'indignité ?

L'hommage rendu par le président Emmanuel Macron contrefait l'histoire en affirmant que Toussaint Louverture est français. Il élimine ainsi la question de la mise en esclavage des populations de l'arc des Caraïbes, dont celle de la Saint-Domingue de l'époque. J'ajoute que le premier combat de Toussaint Louverture a été de défaire la mise en esclavage, qui s'est accompagnée d'un crime de génocide contre les indigènes et d'un crime contre l'humanité. Son second combat a été de libérer son pays, mais il n'a pu voir l'installation de la première république noire.

Si l'on écoute bien son discours, le Président de la République fait la leçon aux Insoumis à propos de ce qu'est l'ordre – on pense aux populistes, dont Trump, Poutine et Erdogan. À cette fin, il instrumentalise Toussaint Louverture, oubliant de mentionner que c'est au nom de l'ordre dont il se réclame que Toussaint Louverture a été jeté, pour ses idées, dans une prison du Doubs. Et à présent, il dresse les conditions pour le faire entrer au Panthéon ! Cela est proprement écœurant. Qui plus est, il fait référence, de manière subliminale, à Frantz Fanon en évoquant Peau noire, masques blancs.

Un point encore, à propos du négationnisme de l'État. À la fin de son discours, le Président de la République a déclaré : « Nous n'en avons pas fini avec l'esclavage. » Faisant ainsi volontairement un amalgame entre esclavage et mise en esclavage, il occulte la déshumanisation et l'indignité imposées à plus de 12 millions d'Africains arrachés à leur continent et vendus en raison de leur « race ».

L'esclavage n'a rien à voir avec la racialisation des corps noirs. De déni en déni, le storytelling de l'histoire française lave plus blanc et sombre dans l'ignominie par le mensonge.

J'ai été un peu long, madame la présidente, mais, en ce 23 mai, je pense que vous m'excuserez.

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