Intervention de Christophe Mauriet

Réunion du mercredi 12 avril 2023 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Christophe Mauriet, secrétaire général pour l'administration au ministère des armées :

Je vous remercie, Monsieur le président, et je remercie également la commission de m'accueillir et de m'entendre.

Depuis son adoption par le Conseil des ministres, le contenu de la loi de programmation militaire pour 2024-2030 commence à se dévoiler. Je suis heureux d'apporter ma contribution à l'explicitation progressive des hypothèses sous-jacentes, des finalités et des mécanismes qui ont été retenus pour construire ce projet de programmation militaire.

Je passerai rapidement sur le cadrage stratégique et politico-militaire puisque le ministre et le chef d'état-major des armées (CEMA) vous l'ont présenté la semaine dernière. L'ambition profondément renouvelée de cette quatorzième programmation militaire vise trois objectifs majeurs : l'autonomie stratégique, l'assurance de nos engagements en notre qualité d'allié et de membre de l'Union européenne et la mise en exergue de l'ambition de notre pays France d'être une puissance d'équilibre.

Le premier objectif majeur de la LPM réside dans la garantie de la crédibilité dans la durée de la dissuasion nucléaire, pilier fondamental de notre outil de défense. Ce thème mobilise toute notre attention dans l'ensemble des domaines.

Le deuxième objectif consiste en la poursuite de la transformation de nos armées* qui constitue une condition de la préservation de la supériorité opérationnelle et de la capacité à faire face à l'ensemble des menaces actuelles et futures, sur tous les terrains et dans tous les espaces de conflictualité. Le thème de la transformation est plus que jamais central dans la politique de défense.

Le troisième objectif stratégique, corolaire du précédent, réside dans le renforcement impératif de la cohérence entre les différentes composantes de notre dispositif de défense auquel est associé le durcissement de la préparation des armées et de l'amélioration de leur réactivité.

Le quatrième objectif consiste en la poursuite de l'effort décisif entrepris lors de la précédente législature en ce qui concerne l'amélioration des conditions de vie et de travail non seulement des militaires, mais également des civils de la défense et de leur famille. Une attention particulière sera portée aux blessés.

Une LPM de transformation est donc sur le point de succéder à une LPM de réparation. Le ministre a néanmoins insisté sur la poursuite du travail de réparation dans cette LPM 2024-2030, car il existe nécessairement un délai de latence entre les prises de décisions et leur mise en œuvre.

L'ambition des projets contenus dans cette future LPM est manifeste. Corrélativement, l'aspect budgétaire de cette LPM est exceptionnel. Les chiffres ont été annoncés et ils font l'objet de débats. Nous consacrerons le temps nécessaire à leur explicitation de sorte que vous compreniez la manière dont ils ont été déterminés : 400 milliards d'euros de crédits budgétaires sur sept ans et un besoin militaire programmé de 413 milliards d'euros.

Ces chiffres s'insèrent dans un temps très long. La première loi de programmation a été votée en 1960 et le Conseil des ministres vient donc d'adopter la quatorzième LPM. Si je me réfère aux vingt dernières années, nous vivons un moment très exceptionnel sur le plan de la programmation militaire et budgétaire. J'ai eu l'honneur d'occuper la fonction de directeur des affaires financières du ministère de la défense pendant plusieurs années et je m'intéresse aux questions de défense depuis de nombreuses années. Ce qui est très remarquable c'est que le point d'inflexion 2016-2017 s'est traduit par une première LPM qui a modifié le paradigme en termes d'évolution des ressources selon des paliers ambitieux, puis très ambitieux, pour aboutir à une situation exceptionnelle. L'endurance de notre politique de défense et la fermeté avec laquelle le cap a été tenu sont tout aussi remarquables. L'intention déjà contenue dans la précédente LPM est projetée dans la période à venir et présente la même tendance à l'accélération ainsi qu'une augmentation annuelle de 3 milliards d'euros du budget de la défense qui représente la valorisation du progrès réalisé chaque année.

La précédente loi de programmation militaire avait fait l'objet d'un important scepticisme quant à notre capacité non seulement à convertir les annuités d'une LPM dans des lois de finances annuelles, mais également à exécuter les lois de finances annuelles. L'acquis essentiel qui a véritablement valeur de paradigme de la législature précédente réside dans l'alignement totalement inédit entre les annuités de la LPM, les lois de finances et les exécutions annuelles successives. Ce constat me semble de nature à éviter les discussions relatives au réalisme de cette nouvelle LPM. Notre capacité démontrée à respecter des engagements semble homogène avec des mesures de confiance. Le passé récent plaide en faveur de la crédibilité des intentions programmées. L'élan acquis lors de la législature 2017-2022 à l'aube de cette nouvelle LPM n'est pas négligeable.

La cible d'un effort de défense à 2 % est atteinte et elle est désormais considérée comme un seuil. Cela représente une rupture complète par rapport à ce qui s'était déroulé au cours des vingt dernières années, notamment lors des deux législatures précédentes, qui ont vu diminuer régulièrement les lois de programmation et les lois de finances.

Le ministre a insisté sur la nécessité que ce budget bénéficie à l'ensemble des parties prenantes du ministère. Il est évident que des volumes de ressources aussi significatifs et importants vont nous conduire à toujours rechercher davantage d'efficacité, à améliorer nos méthodes de travail, à revoir nos procédures et nos organisations et à rechercher l'augmentation du rendement des ressources allouées. Cela constitue l'objet du volet de transformation.

Cette nouvelle LPM accorde une importance primordiale à la dimension RH, en corollaire des intentions stratégiques et politico-militaires affichées. La dimension RH représente un facteur de cohérence essentiel de la politique de défense. Nous avons pris conscience de l'absolue nécessité d'investir résolument dans notre capital humain, de mobiliser l'ensemble des leviers à notre disposition et d'en inventer de nouveaux afin d'atteindre nos objectifs politiques et stratégiques. De ce point de vue, les mesures salariales, le travail relatif à la formation initiale, la formation continue, l'organisation des parcours professionnels, la fidélisation, etc., seront mobilisés de sorte à maintenir le cadre RH dans le format quantitatif et qualitatif qui sous-tend notre politique de défense.

Le thème de la transformation en vue notamment du renforcement des forces morales a émergé au cours des derniers mois. Il englobe plusieurs axes de politiques publiques : l'ambition en matière d'infrastructures, d'hébergements, de soutien à nos blessés, d'accompagnement attentif des familles, etc. Par ailleurs, cette transformation comporte une partie normative, notamment juridique, de sorte à améliorer l'efficacité de notre politique de défense.

Les premiers échanges que vous avez eus avec le ministre et le CEMA ont mis en évidence les hypothèses retenues pour la construction budgétaire sous-jacente à cette programmation. Les termes de « solidité » et de « robustesse » nécessitent probablement des explications.

Les articles programmatiques présentent une continuité avec la LPM 2019-2025 parce qu'ils ont démontré leur utilité et leur efficacité au cours de la législature précédente, notamment pour ce qui concerne la couverture des besoins exceptionnels en gestion en raison soit des opérations extérieures ou des missions intérieures, soit de l'augmentation des coûts des carburants opérationnels. Le budget programmatique de cette nouvelle LPM est donc équivalent à celui de la LPM précédente. En revanche, les annuités sont précisées sur sept ans, de 2024 à 2030, alors que dans la précédente LPM, une première partie des annuités était fixée et elles apparaissaient en quelque sorte en pointillés dans une deuxième partie. La prochaine LPM est donc plus claire de ce point de vue.

Cette trajectoire a été bâtie et discutée à un niveau interministériel selon un impératif de compatibilité et de conformité avec la trajectoire d'ensemble des finances publiques. Le Gouvernement s'est attaché à satisfaire cette obligation. Le président de la Cour des comptes, M. Moscovici, par ailleurs président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), a été entendu par la commission des finances et s'est expliqué sur le sens de l'avis rendu par le HCFP. Cette novation a été introduite par une loi organique relative aux lois de finances, entrée en vigueur en décembre 2021 qui donne obligation au Gouvernement de coordonner chacune des lois de programmation sectorielles avec la programmation budgétaire d'ensemble. L'intervention du HCFP, préalablement à l'examen de la LPM par les Assemblées, constitue une garantie de soutenabilité.

J'ai évoqué 400 milliards d'euros de crédits budgétaires, qui seront ouverts par les lois de finances successives de la période concernée, et 413 milliards d'euros de besoins programmés. Le président de la Cour des comptes a procédé à une présentation du différentiel par « blocs ». Il a mentionné un premier « bloc » de ressources extrabudgétaires. Je ne crois pas qu'il faille s'émouvoir de ces ressources complémentaires, car elles ont toujours existé dans le financement de la politique de défense. Une partie du service de santé des armées n'est pas financée par les crédits budgétaires, mais par les financements de l'assurance maladie et ces ressources ne figurent pas dans les plafonds de la loi de finances initiale. Les ressources extrabudgétaires comportent des éléments de natures très hétérogènes et leur évaluation en l'occurrence est très classique, voire plus limitée sur la période projetée 2024-2030 que dans la LPM 2019-2025.

Le deuxième « bloc » est formé de la marge frictionnelle et du report de charges. Le « surcroît de transparence » - selon les propres mots du ministre – avec lequel nous présentons cette LPM peut appeler des questions légitimes. En effet, la « marge frictionnelle » n'est pas une notion très utilisée dans le domaine public. Elle constitue pourtant un procédé très classique d'utilisation en matière de programmation. En revanche, le report de charge est un thème bien installé dans les discussions que le Parlement et le Gouvernement entretiennent régulièrement à propos du budget de la défense.

La marge frictionnelle est inhérente à une pratique de la programmation. Ce dispositif n'est pas récent. Il consiste à prévoir un peu plus d'objets au début de la période, surtout lorsque la période est longue (sept ans). En effet, affirmer dès maintenant que la totalité des objets sera exécutée en temps et en heure et que le bilan financier de ces objets sera identique en 2030 aux prévisions de 2023 relève de l'utopie. Il est donc préférable de prévoir une marge supplémentaire, dite « frictionnelle », qui se résorbera dans la durée de la programmation, notamment en raison des retards. À titre d'exemple, dans le domaine des infrastructures, une opération est programmée au milieu de la période, mais les études liminaires démarrent un ou deux ans avant le début des travaux et les sondages des sols font apparaître l'existence de carrières ou autres aléas qui conduisent à retarder le début des travaux. Les paiements sont décalés d'autant. Cette dynamique est propre aux opérations, notamment aux opérations d'investissement et elle entraîne ces glissements temporels vers la fin de la période, voire au-delà.

Les opérations d'armement relèvent de programmes particulièrement ambitieux sur le plan technologique. La phase de réalisation passe par l'acquisition d'un certain nombre de « paquets technologiques ». Malgré une programmation volontariste, il arrive parfois que le franchissement des jalons technologiques prenne du retard.

Dès lors, soit on valorise ces retards dans la programmation et on terminera la période à l'équilibre, soit on ne les valorise pas et on crée une contrainte inutile faute d'avoir anticipé.

Le report de charges consiste en une adaptation aux rythmes des décaissements puisque c'est la livraison qui commande le paiement. Dès lors, si les retards s'accumulent, la trésorerie est excédentaire, puis elle devient en tension au fur et à mesure que les factures sont adressées, notamment dans un contexte inflationniste. Le report de charges s'adapte au rythme de présentation des factures et tolère un écart entre le montant des factures et l'encours de trésorerie. Il s'agit d'une forme de « découvert autorisé ». La gestion du report de charges est une variable précieuse d'ajustement aux circonstances économiques sans désorganiser la programmation. La précédente législature s'est traduite par un effort considérable de maîtrise de ce report de charges.

Le troisième « bloc » mentionné par le président Moscovici en regard du différentiel entre le budget et le besoin est celui du financement interministériel lié à l'Ukraine. L'Ukraine est dans le besoin et il est honnête d'anticiper les efforts d'aide à l'Ukraine dans la période concernée. Toutefois, cette participation ne figure pas dans les crédits programmés dans la trajectoire de la programmation et ils seront financés année après année, selon des quanta et des objets susceptibles de varier, soit dans les PLF, soit en gestion. La mécanique de financement de l'aide à l'Ukraine est relativement sophistiquée puisqu'elle fait intervenir un instrument européen, la « facilité européenne pour la paix » (FEP), qui contient des flux de contribution exemptés de remboursement. Ces dispositifs rendent la prise en compte de la problématique de l'aide à l'Ukraine particulièrement complexe dans le cadre de cette programmation. C'est pourquoi elle figure dans les besoins, mais pas dans la programmation stricto sensu.

D'autres mécanismes que le report de charges permettent d'absorber l'inflation dans la LPM, notamment pour ce qui concerne le carburant opérationnel, premier poste de sensibilité à la variation des prix, que j'ai évoqué précédemment. Je répondrai à vos questions à ce sujet.

Enfin, s'agissant de l'inflation, le ministère des armées n'est pas accroché à la liste des prix hors tabac. 80 % de ses dépenses relèvent d'indices spécifiques à un ministère qui réalise d'importantes dépenses d'infrastructures et dans les domaines de l'industrie mécanique et électronique. Il existe de nombreux indicateurs de suivi des coûts des facteurs en matière d'investissements qui nous conduisent à anticiper un effet de l'inflation des prix dans cette LPM d'environ une trentaine de milliards d'euros.

Les articles programmatiques contiennent également un article 6 qui traite des effectifs. Il contient des novations limitées, mais significatives par rapport à la LPM précédente. La cible propose 275 000 ETP à l'horizon de 2030 selon un schéma d'emploi d'augmentation de 6 300 ETP sur la période. Elle traduit une ambition marquée, mais raisonnée du ministère en matière de format RH. Cet article explicite également des mesures de périmètres. Il donne lieu à une mise en valeur des réservistes et des ambitions de notre politique de défense en matière de réserve à un horizon ultérieur au terme de la programmation.

Je me tiens à votre disposition pour entrer dans le détail des mécanismes que j'ai mentionnés, si vous le souhaitez.

S'agissant du contrôle parlementaire, le Gouvernement, par la voix du ministre, affiche une réelle volonté de transparence quant à la réalisation de l'annuité précédente à échéance du premier trimestre de chaque année, et quant aux éventuelles modifications de la programmation en vue, notamment, de la réalisation du PLF de l'année suivante à échéance de la fin du deuxième trimestre. Les articles 8 et 9 s'inscrivent dans un impératif de transparence du Gouvernement à l'égard du parlement sur lequel le ministre a insisté.

Je laisse les aspects RH ouverts à la discussion. J'ai évoqué les cibles d'effectifs et la multiplicité des leviers de la politique en matière de RH. La dimension RH de la politique de défense est résumée dans la réaffirmation du concept d'un modèle d'armée professionnelle, d'une armée d'emploi, d'une armée modernisée et d'une armée renforcée.

S'agissant de la transformation et du développement des forces morales, le thème des familles fera l'objet de la poursuite, par le ministère, d'une action résolue via le déploiement d'un deuxième plan Famille sur la période 2024-2030.

Le ministre a beaucoup insisté sur la mobilisation conjointe des services du ministère et des collectivités territoriales afin de développer une approche partenariale sur des thématiques qui concourent à l'accueil des militaires et de leur famille. Le ministère progresse dans ce domaine avec de nouvelles idées.

Les forces morales concernent également les personnels civils. Un grand nombre des mesures contenues dans le plan s'appliquent aux personnels civils.

Le sujet de la vie en enceinte militaire fait l'objet d'objectifs en matière d'hébergement, de réhabilitation d'infrastructures, de restauration, de consolidation des efforts relatifs aux espaces de convivialité, etc. Ces thématiques se situent au cœur de la politique de fidélisation du personnel militaire.

Les politiques interministérielles gouvernementales en matière d'infrastructures se sont emparées de la thématique de planification écologique, présente dans le projet de LPM, et elle inspire plusieurs volets de notre politique d'investissement.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion