Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du mardi 2 mai 2023 à 17h20
Commission des affaires sociales

Olivier Dussopt, ministre :

Vos très nombreuses questions illustrent l'ampleur du défi que nous devons relever. Nous avons gravi une première marche en passant de 9,5 à un peu plus de 7 % de chômeurs, mais le passage de 7 à 5 % est une autre paire de manches, notamment en raison des problèmes d'adéquation, dans les territoires, des compétences disponibles à celles recherchées par les employeurs.

De la même manière, la question des freins à l'emploi — qui a été évoquée par la quasi-totalité des intervenants – est une question majeure, qui renvoie au logement, à la mobilité et à la garde d'enfants notamment. Dire que la création de France Travail suffirait, à elle seule, à lever tous ces freins serait un mensonge, voire une illusion. Il s'agit d'abord d'un travail interministériel, mais aussi d'un partenariat avec chacun des échelons territoriaux.

Ainsi, lorsque M. Di Filippo dit qu'un grand nombre d'associations sont très actives pour lever ces freins, c'est vrai et il n'y a aucune raison – bien au contraire – de les remettre en cause ni de les déstabiliser. Leur travail est utile et répond parfois à des problématiques très locales, par des solutions également très locales. Nous devons donc continuer à travailler avec elles.

En ce qui concerne le financement, le rapport estime les besoins pour les trois prochaines années entre 2,3 à 2,7 milliards d'euros. Ces crédits pourraient être consacrés à la fois au financement de la formation et au recrutement de conseillers pour l'insertion et l'accompagnement professionnel, une partie étant fléchée vers les principaux acteurs de l'insertion que sont les départements. C'est un point que j'ai évoqué avec le président de l'Assemblée des départements de France (ADF). Mais il est prématuré aujourd'hui de vous indiquer le montant et la répartition des crédits d'État alloués à la politique de l'emploi alors même que les concertations sur le projet de loi ne sont pas encore ouvertes. Nous devrons, par ailleurs, discuter avec les partenaires sociaux des modalités de financement. Certaines dispositions, dans la convention tripartite entre l'État, Pôle emploi et l'Unedic, prévoient d'ores et déjà un prélèvement de 11 % sur les recettes de l'Unedic pour financer Pôle emploi, demain France Travail.

Monsieur. Dharréville, vous avez évoqué tout à l'heure le fait que ce prélèvement pourrait passer à 17 % ; très franchement, je ne sais pas d'où sort ce chiffre, puisque nous n'avons pas encore ouvert la discussion sur le renouvellement de la convention tripartite. Cela fait partie des sujets que nous aurons à aborder, mais, en ce qui me concerne, annoncer des chiffres dans l'immédiat n'est pas possible et ne relève d'aucune forme de réalité.

S'agissant des missions locales, que Christine Le Nabour et nombre d'entre vous ont évoquées, elles font l'objet d'une très forte mobilisation de la part de l'État, à tel point que nous leur avons confié les deux tiers du volume du CEJ, le principal outil en matière d'insertion des jeunes sans emploi, soit 200 000 contrats. Nous avons corrélativement augmenté les moyens alloués par l'État au réseau des missions locales, qui dépassent désormais 600 millions d'euros.

Il a été question, il y a cinq ou six ans, d'un rapprochement de Pôle emploi et des missions locales, mais ce n'est absolument pas notre projet. Les missions locales conserveront leur gouvernance ; elles ne deviendront pas des opérateurs d'État et, pour ce qui est de leur financement, elles ne seront pas conventionnées avec l'opérateur France Travail, mais avec l'État, comme elles le sont aujourd'hui. Ces questions avaient été posées par l'UNML ; nous avons apporté les réponses que je viens de vous livrer et, le 21 avril, l'UNML a publié un communiqué indiquant que des réponses avaient été apportées à leurs interrogations, notamment pour ce qui est de leur rôle d'opérateur spécialisé et d'acteur central pour les sujets relatifs à la jeunesse.

Monsieur Ruffin, vous avez évoqué les 60 % d'allocataires du RSA qui n'ont pas signé de contrat d'engagement réciproque : j'ai donné le chiffre de 57 %, la différence est donc de l'ordre de l'épaisseur du trait.

Un autre chiffre a été souligné par la Cour des comptes, qui signe une forme d'échec collectif, dont personne ne peut se féliciter : 42 % des allocataires du RSA perçoivent encore cette allocation sept ans après leur première inscription, de manière continue ou intermittente ; 33 % seulement d'entre eux ont un emploi, précaire dans 22 % des cas. Quant aux autres personnes, elles sont à la retraite ou elles ont basculé dans d'autres formes d'accompagnement – notamment l'allocation aux adultes handicapés – ou elles sont malheureusement décédées. Personne ne peut se féliciter de telles statistiques.

Notre objectif n'est en aucun cas, je le répète, le travail gratuit ou le bénévolat obligatoire. Il est d'accompagner vers l'emploi. Nous l'avons observé dans la mise en œuvre du CEJ et dans d'autres dispositifs européens, c'est l'accompagnement qui permet de répondre au défi du retour à l'emploi. Les moyens, que j'ai évoqués tout à l'heure en réponse à M. Dharréville notamment, sont destinés à rendre cet accompagnement plus intensif. Le calibrage des moyens déterminera la part des allocataires du RSA qui pourront bénéficier d'un suivi intensif. Les contreparties ou les engagements attendus dépendront aussi de l'intensité et de la qualité de l'accompagnement dispensé. Notre but est le retour à l'emploi pour lequel les actions de formation et d'accompagnement sont déterminantes. Un exemple : les demandeurs d'emploi seniors qui sont accompagnés et qui bénéficient de formation dans le cadre du PIC ont un taux de retour à l'emploi supérieur de 17 points, contre 9 points pour l'ensemble de la population.

Monsieur Ruffin, nous avons un désaccord sur la manière de créer des droits pour les autoentrepreneurs et les indépendants. Vous faites le choix de la présomption de salariat, alors que nous avons plutôt fait celui de la présomption d'indépendance – je fais le lien avec le travail des plateformes – qui produit ses premiers effets.

Autre question évoquée par plusieurs intervenants : l'insuffisance des efforts en matière d'insertion, tant pour le RMI que pour le RSA. C'est une réalité, qui s'explique entre autres par la prise en charge d'une partie de l'allocation par l'État. Ce n'est pas un phénomène nouveau que de voir les clefs de compensation votées en 2004 ne pas être strictement respectées. Avant cette date, les départements avaient l'obligation d'allouer de 16 à 17 % du budget aux actions d'insertion. Cette obligation a été supprimée lors de la décentralisation du RMI devenu RSA : aujourd'hui, moins de 10 % des crédits sont consacrés à l'insertion. Nous voulons inverser cette tendance et d'encourager les actions d'insertion.

S'agissant de la gouvernance, notre objectif est de simplifier tout en prenant le parti d'associer les collectivités à l'action de l'État qui conserve la compétence en matière de politique de l'emploi et d'accompagnement des demandeurs d'emploi. La gestion quadripartite que j'ai évoquée peut sembler complexe mais n'oublions pas qu'il existe aujourd'hui vingt niveaux de gouvernance.

Certains, parmi vous, s'interrogent sur l'articulation d'une loi votée au cours de l'été 2023 avec les expérimentations menées jusqu'à la fin de l'année dans dix-huit départements. La loi ne fixera pas les modalités d'accompagnement. Ainsi, des exemples de référentiels d'accompagnement figurent page 265 du rapport ; vous noterez qu'il ne s'agit ni de travail gratuit ni de bénévolat obligatoire. Tout cela relève de la gestion ou, au pire – si je puis dire –, du réglementaire, pas de la loi. L'évaluation des expérimentations, leur généralisation et l'échange des bonnes pratiques qui en résulteront permettront de faire évoluer les modalités d'accompagnement, sans que nous ayons besoin de les inscrire dans la loi. C'est d'ailleurs un engagement que j'ai pris auprès du président de l'ADF de ne pas figer ces modalités. À cet égard, le binôme travailleur social et coach emploi dans le Nord, évoqué par M. Christophe et Mme Parmentier-Lecocq, est l'une des très bonnes pratiques que nous souhaitons voir se développer.

Plusieurs questions ont également porté sur le cumul d'allocations ou d'aides sociales et d'un emploi. S'agissant de minima sociaux, que ce soit l'allocation de solidarité spécifique ou le RSA – et non pas d'indemnités chômage, qui peuvent être plus élevées, bien qu'ayant été plafonnées –, la reprise d'un emploi à temps plein, même au Smic, est systématiquement favorable. Le problème se pose pour la période de transition mais cela ne relève pas de France Travail. Lorsque vous ne travaillez pas, que vous avez des enfants et que vous reprenez un emploi, vous avez à payer des frais de garde. Vous pouvez être aidé, notamment si votre salaire est au niveau du Smic, mais le décalage entre le moment où vous prenez l'emploi et celui où vous percevez l'aide à la garde d'enfants, peut être de trois, quatre ou cinq mois. Nous devons trouver les moyens de rendre la reprise d'un emploi véritablement avantageuse pendant les premiers mois qui la suivent. Pour des ménages dans des situations très précaires, les pertes subies pendant cette période de transition sont trop importantes pour être acceptables – et même compréhensibles. Je vous invite, si vous ne le connaissez pas encore, à découvrir un module de simulation baptisé Estime – que Mme Parmentier-Lecocq connaît par cœur –, qui permet aux demandeurs d'emploi et aux bénéficiaires de minima sociaux de connaître l'intérêt, en particulier financier, de reprendre un emploi. Vous constaterez qu'au cours des premiers mois, cela peut être un peu difficile.

Ce que nous refusons par-dessus tout, c'est de renoncer à accompagner vers l'emploi ceux qui en sont le plus éloignés. L'humanité que vous appelez de vos vœux, monsieur Delaporte, consiste justement à permettre le retour de chacun à l'emploi – et donc à l'autonomie et à la dignité par l'obtention d'un revenu –, plutôt qu'à considérer que nous serions quittes de notre devoir de solidarité par le versement d'une simple allocation.

D'autre part, nous ouvrons le vaste chantier de la solidarité à la source qui nous permettra de lutter très efficacement contre le non-recours.

Monsieur Gernigon, le texte relatif aux retraites comporte des dispositions sur l'emploi des seniors, comme le cumul emploi retraite ou les transitions. Mais nous devons aller plus loin, notamment en matière de formation puisque, là aussi, il s'agit certainement d'un des moyens les plus efficaces pour retrouver un emploi.

Madame Berete, dans le cadre de la nouvelle mouture du PIC, les formations sur les savoirs de base, sur la lutte contre l'illettrisme et contre l'illectronisme figureront au rang des priorités des conventions avec les régions, pour qu'elles soient dispensées dans chaque territoire. Par ailleurs, nous souhaitons que l'État puisse agir plus directement, grâce à France Travail, sur les formations à distance afin d'en faciliter l'accès à ceux qui sont intéressés.

Mme Gruet a fait part de son inquiétude mais il n'y a pas de recentralisation de la politique de formation, y compris en matière d'illettrisme, qui reste une compétence régionale. Il n'y a pas davantage de décentralisation nouvelle puisque l'État demeure le principal acteur, notamment pour les conventionnements, que je viens d'évoquer.

En ce qui concerne la réforme des lycées professionnels, que nous menons parallèlement à celle de France Travail, le Président de la République doit s'exprimer en fin de semaine. Nous souhaitons que l'insertion professionnelle à la sortie des lycées professionnels soit à la hauteur de la promesse faite aux lycéens à leur entrée dans ces établissements. Le taux d'insertion professionnelle dans un emploi proche du secteur pour lequel ces lycéens ont été formés est de 52 % seulement, au niveau bac, deux ans après l'obtention de ce diplôme. Il n'est que de 42 % pour les titulaires d'un BEP. Ces résultats ne sont pas satisfaisants, d'autant qu'ils cachent d'énormes disparités : le taux d'insertion est ainsi de 100 % dans certaines sections, ce qui signifie qu'il est beaucoup plus faible dans d'autres. Il est donc nécessaire, aussi, de revoir la carte des formations.

Les délais d'accueil et d'accompagnement des allocataires du RSA et des demandeurs d'emploi ont également été évoqués. Notre ambition est de les abaisser à quinze jours et, pour ce faire, nous avons développé une plateforme, baptisée Rendez-vous solidarités, pour les publics qui ne sont pas empêchés par l'illectronisme. Votre question, madame Dubré-Chirat, me donne l'occasion de saluer le travail des départements qui, en moyenne, respectent un délai d'un mois, alors qu'il était de deux mois il y a peu et bien au-delà précédemment.

Madame Corneloup, nous nous appuierons sur ce qui a été fait dans les Spie, parce que cela fonctionne bien et parce que les programmes d'action de la plupart d'entre eux s'achèveront à la fin de l'année 2023. Cela coïncidera donc – nous l'espérons en tout cas – avec la bascule vers le nouveau réseau France Travail et France Compétences.

Pour dissiper les craintes que certains ont peut-être encore, je répète que France Travail n'est pas un opérateur unique. Il sera l'opérateur principal, mais les autres acteurs conserveront leur autonomie et leur indépendance. Il n'y aura ni remise en cause de leurs compétences, ni fusion, ni big-bang institutionnel ou création d'un nouveau grand opérateur. Mme Mélin a rappelé la fusion des Assedic et de l'ANPE il y a quelques années. Dans une période de tension de recrutement qui exige une grande agilité pour fournir de nombreux services aux demandeurs d'emploi et aux entreprises, nous n'allons pas prendre le risque d'une nouvelle embolie.

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