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Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du mardi 2 mai 2023 à 17h20
Commission des affaires sociales

Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion :

Comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, le plein emploi est pour la première fois accessible. Il l'est parce que l'économie française a créé 1 700 000 emplois en bientôt six années et que notre taux de chômage est passé de 9,5 à 7,1 % au dernier trimestre 2022, avec des disparités territoriales cependant. Il l'est d'autant plus que ces résultats ont été obtenus en dépit des freins à l'activité qu'ont été la pandémie et les périodes de confinement. De surcroît, les emplois créés sont de meilleure qualité : les derniers chiffres dont nous disposons, qui concernent l'année 2022, montrent une augmentation significative des premières embauches en contrats à durée indéterminée. On observe une proportion de CDI inconnue depuis plusieurs années, qui s'accompagne d'un taux d'emploi des Français en âge de travailler – c'est-à-dire âgés de 15 à 64 ans –, de plus de 68,5 %, un pourcentage qui n'avait pas été atteint depuis la création de cet indice, en 1975. Il faut même remonter à 1972, il y a donc plus d'un demi-siècle, pour retrouver un taux aussi élevé.

Alors comment atteindre le plein emploi ? Si l'on considère qu'une telle situation correspond dans notre pays à un taux de chômage structurel de l'ordre de 5 % – un seuil qui est retenu par l'immense majorité des observateurs –, il faudrait que l'économie française crée 710 000 emplois d'ici à 2027 pour respecter l'engagement pris par le Président de la République. Si, plus largement, on prend en compte le halo du chômage, il faudrait même créer 1 300 000 emplois. Y parvenir dépend de l'activité économique, mais aussi de notre capacité à faciliter l'accès au premier travail et à accompagner le retour à l'emploi de celles et ceux qui, aujourd'hui, en sont éloignés. En effet, même si notre pays connaît un taux de chômage encore supérieur à la moyenne européenne, ses entreprises éprouvent des difficultés de recrutement importantes. Ainsi, selon une estimation de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), environ 400 000 emplois seraient vacants.

Nous avons établi un diagnostic en trois points pour expliquer la coexistence d'un marché de l'emploi tendu et d'un taux de chômage encore élevé.

La première cause identifiée est l'inadéquation des profils des demandeurs d'emploi aux besoins exprimés par les entreprises qui recrutent. Cette inadéquation peut être le fruit d'un déficit de compétences dans certains domaines, mais aussi d'une mauvaise allocation géographique, les qualifications disponibles dans un territoire ne correspondant pas à celles qui y sont recherchées. D'où la volonté du Gouvernement de reconduire la contractualisation avec les régions sur plusieurs années dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC) – auquel 15 milliards d'euros ont été consacrés depuis 2018 – autour d'objectifs tels que l'élargissement du public éligible et l'accompagnement des personnes les plus éloignées de l'emploi, pour ce qui est des connaissances de base notamment.

La deuxième explication tient au fonctionnement de notre système d'assurance chômage, auquel nous considérons que la loi du 22 décembre 2022 portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, qui a suscité de vifs débats à l'automne dernier, apporte des réponses.

Quant à la troisième, elle se rapporte à l'efficacité même de notre service public de l'emploi, c'est-à-dire de tous les acteurs – pas seulement de Pôle emploi – qui, à un titre ou à un autre et en faisant preuve de la meilleure volonté, concourent à ce service public. Celui-ci souffre de problèmes de lisibilité, de coordination et d'atomicité – si vous me permettez cette expression –, qui le rendent parfois particulièrement complexe et qui peuvent aussi expliquer certaines difficultés, des ruptures de parcours notamment.

Sur la base de ce diagnostic, la mission confiée à M. le haut-commissaire a été lancée le 13 septembre dernier. Depuis huit mois, les réunions et les concertations se sont succédé, à Paris et dans tous les territoires, avec l'ensemble des acteurs et des publics concernés. Ainsi, demandeurs d'emploi, chefs d'entreprise, conseillers de Pôle emploi, professionnels et permanents des entités qui participent au service de l'emploi, entreprises de travail temporaire et structures de formation, tous ont échangé sur ce qui marche et ce qui ne fonctionne pas.

Le rapport m'a été remis le 17 avril, puis il a été présenté au comité des parties prenantes, que je présidais pour sa quatrième édition, le 19. Si toutes les parties prenantes n'adhèrent pas à la totalité des propositions formulées, elles ont toutes souligné la qualité de la concertation et du travail accompli. Elles ont également précisé qu'elles partageaient les grandes orientations du rapport. Certaines ont toutefois fait part de points de vigilance et de demandes de clarification, ce qui est tout à fait logique. Le rapport, tel que vous avez pu en prendre connaissance, fixe dix principes et recense quatre-vingt-dix-neuf propositions, qui les déclinent. Le Gouvernement souscrit à ces principes et soutient globalement les propositions. Cependant, il ne les reprendra pas toutes puisque, d'ici à la présentation devant le Parlement, d'un projet de loi permettant de les formaliser, certaines concertations continuent, notamment avec des associations d'élus. D'autres vont quant à elles commencer et revêtiront un caractère plus formel, notamment avec les partenaires sociaux.

Quelles sont les grandes orientations du rapport ? D'abord, la transformation et l'amélioration du service public de l'emploi ; il s'agit d'éviter les doublons et de favoriser une meilleure coordination, un meilleur partage de l'information, pour limiter les risques de rupture de parcours. Pôle emploi va ainsi devenir France Travail – si le Parlement l'accepte –, c'est-à-dire l'opérateur principal du service public de l'emploi. France Travail assumera le rôle qui est celui de Pôle emploi aujourd'hui, mais conduira aussi des missions au service de tous, notamment en matière de conception et de partage – j'insiste sur ce terme – des systèmes d'information, afin que chacun puisse y accéder. Cela concerne également les « communs numériques » – pardon pour ce barbarisme –, qui sont utiles si l'on veut disposer d'un suivi complet de l'ensemble des demandeurs d'emploi et des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Les missions locales occupent une place particulièrement importante dans ce schéma, comme opérateurs spécialisés, mais aussi en tant qu'acteurs centraux de la politique d'emploi et de formation pour les plus jeunes – au même titre que Cap emploi, l'opérateur spécialisé pour les travailleurs et les demandeurs d'emploi en situation de handicap. En outre, nous travaillons étroitement avec les régions pour ce qui est de la formation et des politiques de l'emploi, et avec les départements pour ce qui concerne l'insertion.

L'objectif est de faire de Pôle emploi un réseau, pas de procéder à un big bang institutionnel ; il est hors de question de fusionner les missions locales ou n'importe quel autre organisme avec Pôle emploi. Si celui-ci devient l'opérateur principal France Travail, c'est avant tout pour conduire des missions de partage, d'orientation et de coordination de l'ensemble des acteurs du réseau. On évoque parfois la transformation des missions locales en France Travail jeunes et de Cap emploi en France Travail handicap ; cette idée a été avancée pendant la concertation, mais je ne forcerai personne à changer de nom. Les missions locales seront libres d'adopter cette nouvelle appellation si elle le souhaite – ou de l'utiliser comme sous-titre pour marquer leur appartenance au réseau France Travail –, mais rien ne leur sera imposé.

C'est sur la gouvernance que nous proposons l'un des changements les plus importants. L'animation du réseau et la détermination des priorités feront l'objet d'une gestion partagée – quadripartite, en quelque sorte –, qui associe les partenaires sociaux, les régions, les départements et l'État et qui autorise un copilotage entre région et État au niveau régional et entre département et État à l'échelon départemental. Sur certains aspects, la gouvernance doit être infradépartementale ; nous considérons – et c'est ce que propose le rapport – que les élus locaux doivent pouvoir déterminer quel est le niveau de collectivité le plus à même d'assurer le copilotage avec l'État. Ainsi, ce sont souvent les sous-préfets qui animent les comités de l'emploi. Il s'agit donc d'instaurer un partage de la gouvernance avec les collectivités locales et, au niveau national, avec les partenaires sociaux.

Parmi nos priorités figure l'amélioration du suivi des demandeurs d'emploi et de l'efficacité de notre service public de l'emploi. Le système actuel est automatique, parfois figé : par exemple, un demandeur d'emploi qui est inscrit dans une catégorie – accompagnement suivi, guidé ou renforcé – y reste. S'il est jugé apte à retrouver facilement un travail, mais que, malheureusement, pour une raison ou pour une autre, il reste longtemps sans activité professionnelle, il demeurera dans la catégorie de celles et ceux qui n'ont pas besoin de suivi intensif. Or après douze ou dix-huit mois d'inactivité, un suivi plus étroit peut être nécessaire Il n'existe pas de perméabilité entre les catégories.

Le régime de sanctions applicables aux demandeurs d'emploi doit également être moins strict, moins rigide. L'absence à un premier rendez-vous peut aujourd'hui entraîner la radiation. Nous considérons qu'il y a lieu de tenir compte de certains éléments et du contexte afin de personnaliser le système et de le rendre plus souple et moins automatique.

De même, nous souhaitons une plus grande individualisation du suivi des demandeurs d'emploi, ce qui nous conduira à examiner la question des moyens et celle de la taille des portefeuilles des conseillers emploi. S'agissant des entreprises qui recrutent, qui sont souvent confrontées au même manque de visibilité que les candidats à l'emploi, nous avons un gros travail à faire pour améliorer les prestations que dispensent Pôle emploi et l'ensemble du réseau.

En ce qui concerne les compétences, nous voulons poursuivre nos efforts d'amélioration ; c'est l'objet du renouvellement du PIC et des changements que nous voulons lui apporter. Nous souhaitons ainsi que les demandeurs d'emploi de niveau bac + 2 soient éligibles aux formations professionnalisantes, alors qu'elles ne sont actuellement accessibles qu'aux candidats titulaires du baccalauréat, au maximum. Des demandeurs d'emploi bacheliers, mais qui n'ont pas poursuivi avec succès leurs études supérieures, ont besoin de suivre une formation pour trouver un emploi.

Dans le cadre de la contractualisation avec les régions, la lutte contre l'illectronisme et l'illettrisme ainsi que l'acquisition et la maîtrise des savoirs de base doivent figurer parmi les priorités des conventions. Il s'agit, en effet, des premières marches vers l'emploi pour celles et ceux qui en sont le plus éloignés.

S'agissant des allocataires du RSA – sujet qui suscite le plus de commentaires et de débats dans les médias –, le constat, insatisfaisant pour nous tous, est le suivant : seuls 40 % de ces allocataires sont inscrits à Pôle emploi. Certains d'entre eux ne sont pas en mesure de trouver un emploi immédiatement ; cependant, sans inscription à Pôle emploi – demain à France Travail –, les difficultés sont encore plus importantes pour bénéficier un suivi et définir un projet professionnel. Plus grave encore, 17 % des bénéficiaires du RSA ne sont suivis par aucune structure. Ce sont 340 000 personnes qui perçoivent l'allocation, laquelle leur permet de survivre, mais qui ne font l'objet d'aucun accompagnement. Derrière ces chiffres se cachent, en outre, de grandes disparités, puisque dans une quinzaine de départements, ce sont même 30 % de ces hommes et de ces femmes qui ne bénéficient d'aucun suivi professionnel. Seulement 53 % des allocataires du RSA ont signé un contrat d'engagement réciproque, qui est pourtant prévu par la loi, aussi bien celle ayant institué le revenu minimum d'insertion (RMI) que celle l'ayant transformé en RSA. Enfin, moins de la moitié des allocataires, qu'ils soient inscrits ou non à Pôle emploi, font l'objet d'un accompagnement professionnel, alors que leur immense majorité – et c'est heureux – bénéficie d'un suivi social. Notre objectif est évidemment que le suivi social perdure, mais que le suivi professionnel devienne aussi la règle, de manière adaptée. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons instaurer quinze à vingt heures d'activité par semaine dans les parcours de retour à l'emploi des allocataires du RSA sur le modèle des contrats d'engagement jeune (CEJ). Cela ne se fera pas du jour au lendemain, parce que cela nécessite le déploiement d'une offre d'insertion, adaptée à chacun, sur l'ensemble du territoire. Des expérimentations ont commencé dans dix-huit départements – et autant de bassins d'emploi – ; il faudra ensuite généraliser le dispositif, d'abord en élargissant d'un bassin d'emploi à l'ensemble du département, puis en intégrant tous les départements au dispositif. La généralisation sera progressive parce que le suivi intensif ne pourra pas être mis en place pour tous les bénéficiaires du RSA – soit un peu moins de deux millions de personnes – entre le 31 décembre 2023 et le 1er janvier 2024.

Quelles sont ces quinze à vingt heures d'activité ? Ce n'est ni du travail gratuit ni du bénévolat obligatoire – quand il y a travail, il y a contrat de travail et rémunération. Ce sont des activités d'accompagnement, d'insertion et de remobilisation ; vous trouverez un référentiel de ces activités à la fin du rapport. Les expérimentations menées dans les dix-huit départements doivent nous permettre d'enrichir les modalités de suivi et de partager les bonnes pratiques. Ces activités peuvent être très classiques – information, ateliers de réponse à des offres d'emploi, rédaction de curriculum vitae –, mais elles peuvent aussi pendre la forme de parcours personnalisés pour lever des freins, que ce soit à la mobilité, au logement ou à la garde d'enfants. Elles peuvent même concerner – dans une proportion heureusement moins importante – des problèmes de santé, qui sont autant d'obstacles à l'emploi en cas de difficultés de prise en charge. Je le répète, il ne s'agit en rien de travail gratuit ni de bénévolat obligatoire. Nous sommes convaincus que les activités d'accompagnement favorisent le retour à l'emploi.

Nous avons la chance de vivre dans un pays où existe un revenu de subsistance, le RSA, accessible à celles et ceux qui sont privés de ressources. La puissance publique, au sens large du terme, doit offrir une offre adaptée d'insertion et de formation. Par exemple, dans le cadre de l'accompagnement d'une mère célibataire avec deux ou trois enfants, il est impossible de proposer une formation ou des activités d'insertion de dix-sept heures à vingt heures – ou alors il faut prévoir un mode de garde pour les enfants. C'est ce que j'appelle l'adaptation de l'offre d'insertion et d'accompagnement. Enfin, lorsqu'une offre adaptée est disponible sur le territoire de l'allocataire accompagné, c'est la logique du contrat réciproque – avec possibilité de sanctions – qui s'applique, une logique qui prévaut depuis 1988 et la création du RMI. Les sanctions prévues dès l'origine, c'est-à-dire la radiation et la suppression des droits, sont appliquées dans de nombreux départements. Nous proposons de créer une sanction intermédiaire, de suspension, très facilement réversible.

Quel est le calendrier envisagé par le Gouvernement ? Tout d'abord, nous proposerons un premier texte au Parlement, qui transposera l'accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur. J'aurai l'occasion de le présenter en Conseil des ministres à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin. Nous vous soumettrons ensuite un texte sur la création de France Travail, qui reposera sur trois priorités : la mise en place de la structure ; la refonte de la gouvernance et celle de l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des bénéficiaires du RSA, cette dernière comprenant notamment le contrat d'engagement et ses contreparties ainsi que l'élargissement des critères d'éligibilité aux formations dispensées dans le cadre du PIC. Les mesures en matière d'emploi que le Président de la République a annoncées lors de la Conférence nationale du handicap seront également inscrites dans ce projet de loi.

Enfin, la Première ministre a annoncé, lors de la présentation de la feuille de route du Gouvernement, qu'un troisième projet de loi, envisagé d'ici à la fin de l'année 2023, aura pour objet de transposer les accords qui seront signés avec les partenaires sociaux, sur des sujets éloignés de celui qui nous occupe aujourd'hui, qui restent à préciser et qui peuvent faire l'objet de négociations – comme l'a indiqué le Président de la République –, puisqu'ils relèvent de l'agenda social que nous avons proposé d'élaborer ensemble.

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