Intervention de Davy Rimane

Réunion du mercredi 10 mai 2023 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDavy Rimane :

Le pouvoir de recueillir des données relatives aux individus et d'en faire usage prend de multiples formes. Alors que chaque citoyen cède une part croissante de ses données, la question du choix éclairé volontaire de cette cession n'a plus sa place dans la société du tout-dématérialisé qui s'installe insidieusement. L'enjeu sécuritaire qui transparaît à travers l'accélération phénoménale de la dématérialisation et du transit de données devrait justifier que le pouvoir de collecter des informations revienne à la puissance publique, car ce pouvoir constitue un moyen de garantir la sécurité de tous.

La logique des articles qui nous sont délégués est la bonne, puisqu'elle vise à prévoir plutôt que guérir et à instaurer plus de transparence à l'égard des clients lésés et des victimes de cyberattaques. Mais l'enjeu sécuritaire soulève trois interrogations. Quel est le degré de sécurité souhaitable ? Quels seraient les moyens les plus efficaces pour l'atteindre ? Jusqu'à quel point est-il acceptable que les moyens déployés pour l'atteindre touchent nos libertés individuelles ? Les réponses apportées par l'article 32 ne vont pas dans le bon sens. Permettre à l'Anssi d'obliger les fournisseurs d'accès à internet à bloquer les sites web sans passer par une décision de justice est un contournement du pouvoir judiciaire. Nous avions observé le même phénomène lors de l'examen de la Lopmi, qui instaurait au travers de l'extension des amendes délictuelles forfaitaires un principe de saisine du juge uniquement a posteriori et en cas de contestation. La même logique sera à l'œuvre à travers le projet de loi présenté ce matin en Conseil des ministres, texte dont l'objet, sécuriser et réguler l'espace numérique, donnera à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) des pouvoirs élargis, parmi lesquels celui d'ordonner le blocage de certains sites sans l'intervention d'un juge.

Le chapitre V du titre II est un condensé de mécanismes défaillants. On acte qu'il « met le paquet » sur les moyens matériels au détriment des moyens humains. Pour ne pas avoir à embaucher plus d'agents de justice qui pourraient se prononcer en amont de toute opération de blocage, on se passe de toute décision de justice a priori. Et pour terminer cette belle opération de passe-passe, on se cache derrière des garanties a posteriori sans détailler la façon dont seront traitées les contestations.

Le budget de l'éducation nationale s'élève à 59 milliards d'euros. À compter de 2028, celui de l'armée représentera 60 milliards d'euros. Il est même prévu qu'il atteigne 69 milliards d'euros en 2030. Si l'on part du principe que le budget de l'éducation nationale évoluera moins vite que celui des armées, ce qui semble réaliste compte tenu de la politique menée, le budget militaire passera devant celui de l'éducation d'ici à la fin de la période couverte par la LPM. Certes, la cybercriminalité et les attaques extérieures nécessitent des réponses rapides. L'Anssi doit pouvoir faire preuve de réactivité. Mais il faut arrêter de tout sacrifier, à commencer par l'éducation de nos enfants, nos libertés, notre accès à la justice et, plus largement, la survie de nos services publics.

Nous approuvons l'objectif du texte, en l'occurrence la sécurité face aux cyberattaques et aux personnalités numériques à risque, et les moyens pour l'atteindre, à savoir la prévention, la surveillance et l'anticipation. Mais la chasse aux métadonnées lancée depuis les attentats de Paris de janvier 2015 semble entraîner un dévoiement progressif de la notion de suspicion légitime, qui se traduit par une collecte indifférenciée de nos données numériques. C'est pour ces raisons que l'accord d'un juge devrait rester le principe et non l'exception.

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