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Intervention de Emeline K/Bidi

Réunion du mercredi 10 mai 2023 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmeline K/Bidi :

Les incendies qui ont ravagé la France l'an dernier, et qui risquent de se multiplier, nous obligent à anticiper au mieux la lutte et la prévention, et à en faire une priorité. En 2022, 72 000 hectares d'espaces naturels ont été dévastés par les feux. Cette année a également été exceptionnellement sèche, marquée par un déficit pluviométrique record de 25 %. Avec les effets du changement climatique, les zones exposées au risque d'incendie devraient s'étendre. La saison des incendies devrait également s'allonger, passant de trois à six mois.

Alors que la situation empirera dans un avenir proche, les sapeurs-pompiers réclament en urgence davantage de moyens. Ce texte était donc attendu par les acteurs de la sécurité civile. Mais, à sa lecture, je n'ai été ni surprise, ni déçue de son contenu : je l'ai plutôt été de ce qu'il ne contenait pas.

En premier lieu, cette proposition de loi n'aborde à aucun moment la question du renforcement des moyens humains, matériels et financiers, pourtant essentiels à la lutte contre les incendies majeurs et à l'adaptation de la forêt au changement climatique.

Ensuite, mais ce n'est pas une nouveauté, elle ne prévoit aucune mesure spécifique pour les territoires ultramarins, qui ne sont pourtant pas épargnés par le risque d'incendie. À La Réunion, par exemple, on recense chaque année une quinzaine de feux de forêt, 500 feux de broussaille et 150 feux de cannes. Le département n'est pas épargné non plus par les changements climatiques. En 2020, l'île avait fait face à la saison la plus sèche depuis cinquante ans, avec un déficit en réserve d'eau de près de 65 %.

Nous déplorons aussi que dans la lutte contre le changement climatique, les regards et les moyens soient essentiellement centrés sur l'Hexagone. Pourtant, une grande partie de la biodiversité française se trouve en outre-mer. On recense trente-cinq fois plus de plantes endémiques en outre-mer que dans l'Hexagone. La France dispose de l'un des quinze derniers grands massifs de forêt primaire équatoriale encore largement préservés, en Guyane. Les conséquences de forts incendies en outre-mer seraient dévastatrices pour l'ensemble du pays.

Afin de lutter contre le risque incendie dans les territoires ultramarins, il est urgent d'y mettre davantage de moyens humains et matériels. À La Réunion, que je connais bien, nous ne disposons d'aucun bombardier d'eau à demeure. Un Dash 8 n'est envoyé sur l'île que pendant la saison sèche. En cas de feu de forêt majeur, lorsque des renforts humains sont envoyés de l'Hexagone, ils sont confrontés à un manque de matériel, notamment de véhicules. Que font ces pompiers, sans véhicule de secours et sans matériel de lutte contre les incendies ?

Je salue le courage et le dévouement des pompiers réunionnais qui se sont portés volontaires pour aller combattre le feu lors des incendies dévastateurs dans l'Hexagone en août 2022. La Réunion peut compter sur les pompiers de l'Hexagone, mais la réciproque est également vraie. Cependant, dans un futur proche, alors que la période des incendies et les zones concernées par ce risque vont considérablement s'accroître, la solidarité ne suffira plus. Les syndicats s'interrogent déjà : « Comment participer à l'effort national lorsque nous ne sommes même pas à la hauteur des enjeux locaux ? » La réponse est sans appel. L'outre-mer doit se doter de véritables centres de sécurité civile, pourvus de moyens humains et matériels suffisants. Or, le texte que nous examinons ce matin donne une vision très technocratique de la lutte contre les incendies : révision des documents d'urbanisme, plan de prévention et de gestion, documents stratégiques, schémas départementaux, cartes d'aléas et autres recommandations techniques forment l'essentiel de votre politique. J'espère au moins que les professionnels de terrain seront consultés et activement associés à l'élaboration de tous ces documents. En tout état de cause, tout cela restera bien inutile si vous ne donnez pas les moyens suffisants à nos Sdis pour lutter contre les incendies.

Enfin, cette proposition de loi ne dit pas un mot de la lutte contre le changement climatique. Nous nous contentons d'envisager des conséquences comme une issue inéluctable. Je me demande si cette proposition aurait vu le jour si des incendies ravageurs n'avaient pas sévi l'année dernière. Encore une fois, nous légiférons sous le coup de l'actualité. À défaut de mieux, nous saluons au moins le fait qu'on puisse, dans cette assemblée et dans cette commission, se saisir du sujet.

Nos collègues du Sénat ont voté en faveur de cette proposition de loi. Nous ferons de même, sans omettre de rappeler à la majorité gouvernementale qu'elle a le pouvoir et l'obligation de faire plus.

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