Vous avez évoqué un retentissement dans la presse française au moment du lancement de notre média. En dehors du Monde, de Mediapart, de Libération et de Télérama – qui appartiennent à la même sphère idéologique –, je n'ai pas constaté d'émoi ou de levée de boucliers dans la presse française concernant Omerta.
Vous expliquez que les Russes se sont penchés sur notre documentaire « Front russe ». Je peux vous en décrire le contenu. Je pense être le seul journaliste présent dans la ville de Kherson, à l'époque, à qui les Russes ont présenté les nouveaux manuels scolaires à destination de la jeunesse ukrainienne des oblasts conquis par l'armée russe. J'y ai noté que la question de l'Holodomor était relativisée, voire intégrée à l'histoire russe. Dans le documentaire, on constate l'embarras de l'institutrice lorsque je lui demande des explications et qu'elle me montre la manière dont était présentée la grande famine perpétrée par Staline dans les anciens manuels.
Vous dites que ce documentaire a été jugé pro-russe : ce sont des approximations. J'ai tenté d'y intégrer du contradictoire. J'y pose des questions essentielles aux soldats russes. Or, cette description sommaire d' Omerta comme média pro-russe fait l'économie totale de nos autres activités. Lorsque notre documentaire sur l'Afghanistan paraîtra, personne ne nous accusera d'être complices des talibans ! Nombre de mes confrères qui travaillent pour des médias mainstream considèrent comme moi qu'il est important de couvrir l'autre côté lorsqu'on peut le faire : il faut comprendre la situation du côté russe, en appliquant les règles strictes du reportage, ce qui a toujours été mon leitmotiv au cours de ma carrière – quitte à ne pas être réinvité, voire à y aller contre ma conscience. En septembre 2020, j'ai couvert la guerre du Haut-Karabagh non pas du côté arménien, mais du côté azerbaïdjanais. Or mon cœur battait davantage du côté arménien ; mais puisque nombre de reportages de Paris Match avaient déjà présenté ce point de vue, il me paraissait légitime de voir ce qui se passait de l'autre côté.
Il y a un vrai problème aujourd'hui : on risque notre vie en allant couvrir ces conflits, qui sont à l'origine de sérieux traumatismes ; et quand on en revient, on entend des critiques telles que celles que vous évoquez, formulées par des gens qui ne bougent pas de leur siège !
J'ai écouté un certain nombre des auditions que vous avez conduites. J'ai entendu que M. Nicolas Tenzer m'accusait d'être « un agent russe ». J'ai regardé de qui il s'agissait. Sur Wikipédia, on apprend : « En 2022, il rejoint le CEPA ( Center for European Policy Analysis ), un institut de recherche à but non lucratif et non partisan créé en 2005 à Washington, dédié à l'étude de l'Europe centrale et orientale, une institution d'influence américaine qui se voue à “travailler à une alliance transatlantique forte et durable, enracinée dans les valeurs et principes démocratiques”. » Et il me traite « d'agent russe » ! Lui avez-vous demandé par qui il est payé ? J'ai trouvé cela scandaleux.