C'est un véritable honneur de prendre la parole devant votre commission d'enquête. Taïwan se situe au premier plan des puissances mondiales en matière de démocratie numérique. Confrontés à une myriade de cyberattaques perpétrées depuis l'étranger, nous nous défendons contre les intrusions de l'autoritarisme. Taïwan est un terrain privilégié en matière de lutte pour la cybersécurité : entre 2021 et 2022, les cyberattaques exploitant des failles de sécurité ont été menées contre les agences gouvernementales de Taïwan à un rythme deux fois plus élevé que par le passé. Par ailleurs, lors de la visite à Taïwan, au mois d'août 2022, de Mme Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants américaine, nous avons relevé vingt-trois fois plus d'attaques par déni de service distribué en une seule journée que le précédent record enregistré en la matière. À ces attaques se sont ajoutées des actions de piratage contre des affichages numériques afin de diffuser des messages malveillants. Notre démocratie est toutefois parvenue à l'emporter contre ses attaquants.
La situation de Taïwan n'est pas sans rapport avec celle de l'Europe. Chacun a pu constater l'importance accrue de la cyberguerre, à l'occasion notamment de l'agression de la Russie contre l'Ukraine. Taïwan est un partenaire démocratique. À ce titre, elle est hautement consciente de la menace que pose l'expansionnisme autoritaire. Elle a donc proposé son aide à l'Ukraine sans aucune hésitation.
En tant que puissance importante au sein de l'Europe et du camp démocratique, la France doit également renforcer et accélérer ses partenariats en matière de démocratie numérique. En effet, nous sommes tous confrontés à la même difficulté, posée par des régimes totalitaires qui exploitent les progrès technologiques afin de consolider leur assise, de redéfinir les normes en ligne et de manipuler internet pour contrôler et polariser les communautés en ligne. Les technologies émergentes, comme les deep fakes interactives mues par l'intelligence artificielle sont amenées à causer des dommages et à nourrir la criminalité.
En réponse, Taïwan a choisi de créer un ministère des affaires numériques. Sa mission est de garantir la résilience numérique à tous. Il contribue à ce que chacun puisse se remettre rapidement d'une attaque, s'adapter aux évolutions technologiques et tirer profit de son expérience afin de renforcer son état de santé numérique. Dès la création du ministère en août 2022, nous avons revu les réglementations afin de limiter les produits à risque et de renforcer la sécurité des affichages électroniques et notre défense contre les cybermenaces. Il s'agissait du premier document que j'ai signé à titre officiel.
Les ressources publiques et privées en matière de cybersécurité sont désormais mises en commun. Nous organisons des exercices afin de garantir nos infrastructures sensibles en cas d'urgence. Nous avons construit une architecture « Zero Trust » au sein de nos organisations d'État. En intégrant de nouveaux fournisseurs satellites, nous veillons au maintien des communications en cas de crise, afin de maintenir la résilience de la société et d'assurer des communications avec des amis, des alliés et des partenaires aux quatre coins du monde. Même si un séisme détruisait nos câbles sous-marins et nos centres de données, nous pourrions continuer à assurer ces services grâce à nos investissements dans les réseaux de secours.
Nous avons également œuvré pour le développement des récepteurs satellites, en montant des projets pour en démontrer la viabilité. Des récepteurs ont été installés sur trois sites étrangers et sept cents sites à Taïwan ainsi que sur les îles périphériques et dans les zones reculées. Nous avons investi environ 160 millions d'euros dans ce projet pour les deux prochaines années. L'objectif est de veiller à ce que les satellites continuent à remplir leur fonction, comme l'accès aux vidéoconférences ou la diffusion en direct. Ces récepteurs garantissent une résilience d'urgence et répondent de manière efficiente aux crises auxquelles nous pourrions être confrontés, qu'il s'agisse de cyberattaques d'ampleur ou de catastrophes naturelles.
Dans le même temps, Taïwan s'emploie à donner à la société civile les moyens d'agir en se connectant à ce réseau démocratique mondial. Ainsi, notre site internet utilise le système de fichier interplanétaire (IPFS). Cette technologie émergente s'appuie sur le partage décentralisé et démocratique pour résister à la censure. En cas de besoin, elle permet à tout un chacun de contribuer à la connectivité, mais aussi de tendre la main aux journalistes qui vivent dans des autocraties pour garantir la conservation de leurs reportages sans modification ni falsification aucunes. Cette approche incarne parfaitement la vision du ministère des affaires numériques. Nous avons également intégré les principes du Web3, en utilisant des systèmes de signature numérique pour renforcer la résilience grâce à des technologies d'identification publiques transparentes, applicables partout dans le monde et inviolables, tout en renforçant notre connexion avec nos partenaires démocratiques. Nous souhaitons assurer à chacun la possibilité de se connecter, de créer son propre contenu, de partager ses avantages et de contrôler ses données sans aucune limite. Dans ce but, nous avons rejoint des organisations internationales comme le World Wide Web Consortium (W3) ou l'Alliance Fido pour l'identification en ligne, et nous travaillons avec nos partenaires internationaux pour créer et promouvoir des applications diverses dans ce domaine.
En avril 2022, avec la France et soixante partenaires dans le monde entier, nous avons signé la déclaration sur l'avenir de l'internet. Nous nous sommes engagés à créer un internet résilient, pluriel et inclusif, qui respecte les libertés et les droits humains. Cette déclaration prend ses racines dans des valeurs communes : elle est un remarquable exemple de collaboration transfrontalière et témoigne de notre respect pour la démocratie, les droits humains, la règle de droit et l'ordre international. Nous sommes impatients de poursuivre ce travail avec nos partenaires pour renforcer la démocratie numérique et la résilience.
Pour finir, cette approche s'incarne dans la vision de pluralité ou diversité collaborative adoptée par le ministère. Lorsque les citoyens de tous horizons sont en mesure de partager et de contribuer à des espaces publics numériques, nous pouvons leur donner les moyens de surmonter leurs différences idéologiques et d'identifier leurs valeurs communes.
Nous avançons en eaux troubles ; aussi, je vous invite avec instance à partager notre objectif : nous devons tirer parti de notre intelligence collective, de notre capacité d'innovation et de notre détermination à imprimer un changement réel. Longue vie et prospérité !