Votre amendement soulève deux questions : la transformation organique des armées et la dimension européenne. Sur le premier point, il ne faut pas sous-estimer la transformation en profondeur, notamment de l'armée de terre, dans les années à venir. Quelque 10 000 ou 15 000 militaires vont voir leur métier complètement évoluer, en particulier en raison du cyber ou de la guerre électronique. Cette transformation sans précédent n'est pas sans incidence sur la manière de fidéliser et de recruter, ou sur le pyramidage des grades.
La fonte des crédits budgétaires pour les armées durant les vingt dernières années a permis de protéger certaines fonctions. Si certaines ne sont pas consensuelles, comme la dissuasion nucléaire, d'autres le sont davantage. Je pense à nos forces spéciales, qui ont été plutôt épargnées – à l'exception des hélicoptères. En revanche, les capacités expéditionnaires ont été globalement abîmées, s'agissant notamment des soutiens. Le service de santé des armées en est un des exemples les plus édifiants, tout comme le service du commissariat des armées (SCA) ou les infrastructures. La remise en cohérence concerne donc non seulement le matériel, mais aussi la capacité à projeter – deux brigades, une division, à terme, en 2030, un niveau corps d'armée. Au sein de l'Otan, à part les États-Unis, personne ne sait le faire : les britanniques le peuvent avec des manques, en raison des coupes budgétaires violentes et importantes qu'ils ont subies, et nous, avec des lacunes, d'où un important champ de transformation pour les combler – défense sol et air, guerre électronique, capacité de tir dans la profondeur. Ainsi, le sujet n'est pas tant d'avoir des Griffons dans chaque régiment, mais d'armer une division tout entière. Les parlementaires qui ont eu l'occasion de voir l'exercice Orion ont compris les propositions des états-majors.
Le spatial, le cyber et les fonds marins sont aussi des champs de transformations importants pour les armées. Je conçois que vous refusiez de donner le point au Gouvernement, pour des raisons politiques, mais lorsque vous visiterez un régiment d'infanterie dans les dix prochaines années, il aura énormément évolué.
Sur la dimension européenne, je vous trouve dure ou pessimiste : jamais l'Europe de la défense n'a autant avancé, sur certains items jusque-là bloqués. La facilité européenne de paix en est un bon exemple. Il est extraordinaire que les membres de l'Union européenne aient été capables d'imaginer un fonds de mutualisation, abondé, permettant à chaque pays de donner des armes à un allié – l'Ukraine – et de se faire rembourser dans une logique de solidarité totale, à due proportion des moyens des pays. Sous la présidence française, un tel instrument avait été imaginé pour l‘Afrique : de fait, il sert aujourd'hui surtout pour l'Ukraine.
Un autre exemple réside dans le dispositif que les armées ont mis en place à Khartoum, au Soudan, avec la capacité à mettre en protection puis à évacuer, non seulement nos diplomates, mais aussi nos ressortissants et la plupart de ceux de l'Union européenne. C'est un cas pratique concret de ce que nos armées doivent pouvoir faire à l'avenir, dans des pays déstabilisés. Sur le volet européen, le texte comporte donc des avancées qui peuvent être consensuelles, ce d'autant que nous ne sommes pas dans une communautarisation, mais dans une Europe de la défense qui respecte la souveraineté nationale.
Les coopérations militaires – système de combat aérien du futur (SCAF), système principal de combat terrestre (MGCS), projets de commandes avec la base industrielle et technologique de défense européenne (Bitde) – sont moins consensuelles, en revanche, mais c'est mieux aujourd'hui qu'il y a dix ou vingt ans.