Pour la CGT, ce projet de LPM fait encore la part belle au concept dispendieux d'une défense des intérêts de l'État et de ses citoyens au travers de la dissuasion nucléaire. Ce concept a été dessiné dans les années 1960, puis remis à jour dans les années 1990. Dire que ce modèle ne répond plus depuis longtemps aux enjeux des théâtres d'opérations n'est pas faire offense aux centaines de personnels civils et militaires qui œuvrent chaque jour pour en assurer le maintien opérationnel. Il s'agit là de regarder, en responsabilité, les choses en face et d'assumer que les menaces d'antan ne sont plus les enjeux de demain.
La CGT milite depuis plusieurs années pour une ratification par la France, du traité d'interdiction des armes nucléaires comme l'ont déjà fait cinquante pays. Cette ratification associée à un calendrier, conduirait à l'élimination vérifiée et irréversible de son programme d'armements nucléaires. Veuillez noter qu'il ne s'agit pas pour la CGT de s'attaquer à la filière nucléaire, mais uniquement à l'arme nucléaire en tant qu'arme de destruction massive mettant en danger tant nos voisins que toute la planète.
Dans le même registre d'une défense au service de la paix, nous considérons que l'appartenance à l'OTAN n'est pas un bouclier, mais l'illustration d'un carcan piloté par le capitalisme au profit de l'économie de guerre. Nous en voulons pour preuve l'obligation d'établir un budget de dépenses proportionnel au PIB égal au moins à 2 %, au lieu de l'établir en fonction du juste besoin. En conséquence, la CGT soutient la sortie de la France de l'OTAN.
À propos du financement de cette LPM, après la décision prise à l'Assemblée nationale en conférence des présidents, de suspendre l'examen du projet de LPM et de porter l'affaire devant le Conseil constitutionnel pour cause de non-sincérité de l'étude d'impact, nous lisons dans la presse l'impérieuse nécessité de requérir un nouveau mode de financement pour permettre de ne pas décaler le lancement du programme concernant le porte-avions nouvelle génération.
Nous nous adressons à vous, représentants du peuple et garants de la bonne utilisation des finances publiques, pour connaître vos positions sur ces spéculations capitalistes dangereuses, qui représentent 20 % du montant initial, soit un milliard d'euros. Pour la CGT, il n'est pas acceptable que l'équilibre budgétaire de la LPM soit assuré par la vente d'armes à l'export, ces mêmes armes qui immanquablement tueront un jour nos ressortissants à travers le monde. En outre, que dire d'un budget consacré au stock de munitions qui augmente de 45 % par rapport à la précédente LPM, elle-même en augmentation, portant l'effort à 16 milliards sur la période ?
Pour la CGT, les armes ne sont pas des marchandises. À ce titre, elles ne peuvent être une variable dimensionnant notre capacité à défendre nos citoyens. Voir et présenter les choses autrement, c'est concevoir la LPM dans un esprit de « va-t-en-guerre ». Cela revient à considérer que tout conflit est bon pour faire de l'argent, y compris en l'alimentant si nécessaire en stocks d'armes. La CGT ne partage pas cette vision capitaliste où le financier et le profit priment sur tout le reste. En effet, nous considérons qu'il n'est pas antinomique de travailler dans l'industrie de défense et de défendre la paix et le désarmement.
Dans le même ordre d'idées, la CGT a bien noté le changement de nom et de portage de la Revue nationale stratégique. Autrefois appelée Revue stratégique de défense et de sécurité portée par le ministre, la nouvelle Revue nationale stratégique est portée exclusivement par le Président, chef des armées. Il s'agit là d'une manière d'ancrer encore plus l'idée que nous sommes passés du ministère de la défense, qui était un ministère d'objectif, au ministère des armées, qui est un ministère de moyens. Cette modification n'est pas anodine et dépasse le simple changement linguistique. Il conforte l'objectif de guerre plutôt que la défense de la paix.
Pour la CGT, il ne s'agit pas dans cet exercice de juger de l'opportunité capacitaire pour les forces armées. Cependant, il serait irresponsable de ne pas regarder les impacts sur les diminutions drastiques de fournitures d'armements et de systèmes d'armes, ou encore sur les glissements de programmes d'ores et déjà annoncés. Le risque d'une fragilisation de la BITD est plus que certain et déjà l'on voit des entreprises, comme Arquus à Limoges ou Naval Group à Lorient, s'interroger sur leurs capacités à maintenir leurs personnels au niveau actuel.
De plus, ces glissements de programmes vont inévitablement engendrer des surcoûts en MCO (déjà en hausse de 40 % par rapport à la précédente LPM) et en valeur d'achat (30 milliards d'euros dévolus à l'anticipation de l'inflation). S'il est raisonnable de planifier en fonction des besoins et de la réalité des capacités de production, il est inquiétant de voir que l'ensemble des données socioéconomiques n'aient pas été considérées. De plus, que dire des impacts collatéraux sur le maintien des moyens, des procédures d'évaluation, d'expertise et d'essai ou encore des compétences qui de fait seront mis à mal ?
À propos de la condition des personnels civils, la CGT regrette que la LPM ne mentionne pas les moyens pour assurer l'attractivité et la fidélisation des personnels, de l'ouvrier à l'ingénieur. La CGT affirme que cela passe par des revalorisations salariales à la hauteur du marché concurrentiel des industries de défense mais aussi par l'amélioration des conditions et de l'organisation du travail. Un certain nombre de mesures doivent être mises en œuvre au plus vite :
- la semaine de 32 heures ;
- l'augmentation des possibilités de télétravail ;
- la protection sociale complémentaire à la hauteur des enjeux économiques ;
- l'application du treizième mois ;
- la revalorisation immédiate des salaires ;
- la suppression des abattements de zones ;
- une grille de salaire unique de l'ouvrier à l'ingénieur ;
- l'indexation du point d'indice, et donc des salaires au sens large, sur l'inflation ;
- l'abrogation du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) et de tous les soi-disant systèmes méritocratiques.
Mais les conditions de travail concernent également les locaux. Il ne suffit pas de dépenser une importante somme d'argent (16 milliards d'euros, contre 12 milliards sur la période précédente) pour résoudre tous les problèmes. En outre, si la somme peut paraître conséquente, elle doit être mise en perspective avec un service de SID qui se paupérise en compétences à la lueur des restructurations successives et d'autres projets destructeurs qui semblent s'annoncer.
En matière de lutte contre les harcèlements, les discriminations et les violences sexistes et sexuelles, la CGT a déjà fait savoir que la cellule Thémis, le moyen dont le ministère s'est doté il y a neuf ans, n'est pas suffisante. Par exemple, elle ne dispose pas de pouvoir d'injonction. Cela ressemble trop à une case cochée sur une liste des « choses à faire », plutôt qu'à une véritable politique de lutte contre ces atrocités vécues par certains personnels, qu'ils soient civils ou militaires.
Ensuite, après l'hémorragie organisée par le plan SSA 2030, la CGT s'interroge sur les leviers qui seront utilisés pour mettre en œuvre les nouvelles antennes spécialisées voulues par le ministre, dont la feuille de route de redéploiement n'est pas connue de nous à ce jour. En outre, qu'en est-il du plan Famille pour les personnels civils ? Je rappelle en effet que celui qui est présenté au titre de cette LPM ne concerne que les personnels militaires. La CGT n'oppose pas ces catégories de personnels mais regrette cependant que rien ne soit évoqué ni dimensionné pour les personnels civils.
En conclusion, la véritable question qui se pose est de savoir de quelle armée nous avons besoin pour défendre notre territoire. Est-il nécessaire comme le prétend le Président de la République que la France soit au pivot du monde ? La précédente LPM visait à réparer les armées, à sortir de la logique de pénurie et à leur redonner le souffle, les leviers d'action ainsi que les moyens dont elles ont besoin. La nouvelle loi de programmation militaire se présente comme la poursuite de cette réparation et de cette transformation, mais elle néglige encore une fois la place des personnels civils au sein du ministère.