Nous vous remercions de nous recevoir pour cet exercice, annuel pour ce qui concerne le projet de budget des armées, et septennal pour le projet de LPM. Ayez bien conscience que c'est avec un arrière-goût amer que nous sommes ici aujourd'hui. Et même si nous savons bien que cette commission n'est pas exactement le lieu, l'UNSA tient à vous dire que l'exercice du projet de réforme des retraites, auquel l'exécutif a soumis les organisations syndicales depuis bientôt six mois, laissera des traces durables et sans doute indélébiles, le dialogue social a été méprisé.
Les fondements de cette démocratie sociale que nous avons toutes et tous ici chevillée au corps ont été et resteront durablement ébranlés. Comme une ultime gifle à cette réalité, le Président de la République, qui disait pourtant il y a tout juste un an « Ce vote m'oblige », promulgue une loi rejetée par 92 % des salariés et 75 % de l'opinion, en pleine nuit, le jour même de l'avis rendu par le Conseil constitutionnel. Ce n'est pas faute aux organisations syndicales d'avoir fait montre de sérieux, de contre-propositions cohérentes et finançables dans le temps, en évitant de recourir sans cesse aux seules mesures paramétriques de l'âge et de la durée de cotisation.
Il y a peu, il fallait applaudir les salariés des métiers essentiels, les premières lignes. Aujourd'hui ils sont les premiers pénalisés par les conséquences de cette loi, en termes de pénibilité, d'inégalité femmes-hommes, d'entrée jeune sur le marché du travail. Cet épisode laissera des traces, évidemment. Cette loi brutale, injuste et injustifiée, porte en elle les germes de bien des inégalités manifestes qui se révéleront dans le temps.
Avouons aussi que rajouter une crise sociale d'une telle ampleur, au lendemain d'une crise sanitaire inédite qui, elle aussi, a révélé des inégalités sociales majeures, à une crise climatique aujourd'hui irréversible et une crise économique détruisant les plus précaires de nos concitoyens, ne constitue pas un modèle de stratégie. Les séquelles seront durables, en raison à la fois de cette loi injuste, mais aussi de la manière irrespectueuse et arrogante avec laquelle les représentants des salariés ont été traités.
Cela pourrait prêter à sourire, et pourtant notre démocratie, notre modèle de sixième puissance économique au monde, en est rendue à publier des arrêtés préfectoraux interdisant l'achat de casseroles dans les lieux où se rend le Président de la République. On marche sur la tête. Demain, en cas de risque potentiel à l'œuf, faudra-t-il un inspecteur derrière chaque poule pour s'assurer qu'aucune ne ponde dans un délai de 48 heures précédant la visite d'un représentant de l'exécutif ?
De 295 milliards d'euros pour la période 2019-2023, le budget des armées s'établit pour la période 2024-2030 à 413 milliards, même si sa sincérité semble ne pas être totalement acquise. Nous connaissons le contexte international bien sûr, notamment la guerre en Ukraine et le drame terrible que vit le peuple ukrainien, ces femmes et enfants jetés à la rue au son des sirènes d'une attaque imminente. Nous sommes également conscients de l'instabilité et des risques pour nos ressortissants dans nombre de pays.
Le projet de LPM intègre cette réalité dans ses choix budgétaires. L'UNSA, fidèle à ses principes, ne vient pas ici pour juger des choix stratégiques du Président de la République en matière de défense de l'intégrité du territoire, de choix opérationnels ou d'engagements sur différents théâtres d'opérations. Nous sommes ici pour représenter cette communauté des personnels civils, soit 65 000 agents, qui semblent totalement transparents dans les mots et dans la reconnaissance de l'exécutif comme dans la considération de l'institution.
Le terme de « personnels civils » n'apparaît qu'une seule fois dans les 376 pages du projet de loi, tout comme dans les 119 pages du rapport annexé. Cette invisibilité chronique est humiliante. Ce projet de LPM est inédit par l'ampleur de son budget et la prise en compte de nouvelles modalités de défense (cyber, quantique, espace, fonds marin). Mais l'inflation durable des prix des carburants sans impact sur le budget initial ; l'éventualité d'un budget OPEX abondé en interministériel en cas d'engagement extérieur en cours d'exercice et non programmable de fait ab initio et la restitution au seul ministère des armées des rentes des cessions des emprises immobilières des armées, sont autant de révélateurs qui démontrent l'impérieuse nécessité de sanctuariser notre modèle.
Par ailleurs, le projet de LPM modifie également en profondeur nombre d'articles du code de la défense. L'UNSA relève l'immense défi de l'attractivité des métiers et de la fidélisation des compétences. Un ensemble de mesures est pris pour préparer ce défi, mais elles sont toutes colorées en kaki. Pourtant, que serait l'opérationnel de nos armées, sans ce bataillon des 65 000 personnels civils qui chaque jour, œuvrent à assurer le soutien commun ou opérationnel de ces 210 000 militaires, afin de leur garantir des conditions de vie, d'exercice de leur métier, de sécurité et de fiabilité optimales des matériels ?
Ces personnels civils ont une conscience permanente de la militarité de notre institution et des soutiens sans faille qu'ils doivent apporter aux femmes et aux hommes qui s'engagent en notre nom à tous, jusqu'à leur vie parfois, comme aux matériels qu'ils utilisent. Aussi, l'ensemble de l'exercice lié à l'attractivité et à cette fidélisation est à transposer aux compétences civiles. Doit-on ici vous convaincre des métiers, des compétences, des expertises, des essais, du maintien en conditions opérationnelles des matériels, de la fiabilité des ressources humaines et de la paie, des études amont, des achats, des systèmes d'information, de la sécurité, de la logistique, du ravitaillement, des munitions, de la santé ?
Après une LPM « À hauteur d'homme », le ministre des armées lui-même évoque un budget « d'économie de guerre ». Cette économie de guerre n'a pas attendu la présentation de ce projet de LPM : elle est déjà, hélas, une réalité entre industriels de la défense et secteur étatique. Si cette économie de guerre consiste simplement à constater impuissants, le dépouillement des compétences étatiques au profit des industriels du secteur, eux aussi en peine d'attractivité mais capables d'offrir des conditions salariales sans commune mesure avec celle du secteur public, la feuille de route sera difficile, voire impossible.
Le nombre de démissions est en augmentation permanente. Déployer autant d'efforts pour rendre attractifs les postes et les métiers du ministère des armées, mais ensuite refaire le chemin à l'envers quelques mois après seulement est non seulement chronophage mais décourageant pour les RH. L'attrition de candidats au recrutement est par ailleurs une réalité visible. Aux armées comme ailleurs au sein de la sphère publique, si rien n'est fait pour l'amélioration des rémunérations, une société différente nous attend. Qui demain acceptera un engagement public dans des conditions salariales indignes, pour des fonctions que l'on jette en pâture à la première occasion ?
Mesdames et Messieurs les députés, vous nous recevez aujourd'hui en qualité de membres de cette commission de la défense. L'UNSA vous interpelle et vous demande de porter l'impérieuse revalorisation des salaires publics. Au ministère des armées plus qu'ailleurs, les compétences techniques sont indispensables aux soutiens opérationnels, car la moindre des défaillances peut engendrer des conséquences dramatiques.
En conséquence, l'UNSA le répète : on ne fera pas une armée du troisième millénaire avec des rémunérations civiles indignes. Pour preuve, il y a trois jours, face à l'inflation que nous connaissons tous, le SMIC augmentait de 2,19 %. Le minimum garanti de la fonction publique a quant à lui été augmenté de huit points, passant de l'indice 353 à 361, soit 38 euros supplémentaires par mois. Plus de 400 000 agents sont concernés, titulaires comme contractuels. En l'absence de révision de l'ensemble des grilles de la fonction publique, la conséquence est inévitable : le nouveau tassement des grilles indiciaires affaiblira d'autant le principe d'évolution de carrière.
Quel salarié accepterait une stagnation de sa rémunération pendant dix ans, malgré l'acquisition de nouvelles compétences et une expérience croissante ? Savez-vous quels sont les pieds de grille des agents publics en 2023 ? Ils sont de 1 747 euros bruts pour un agent de catégorie C et B, 1 891 euros bruts pour un agent de catégorie A, 1 894 euros pour un ingénieur contractuel et 1 750 euros bruts pour un technicien contractuel. Pensez-vous sérieusement relever le défi de l'attractivité et de la fidélisation avec des rémunérations à ce point repoussantes à bien des égards ?
Pensez-vous encore écoper les démissions prévisibles face à des industriels ayant les mêmes besoins de compétences que nous, mais disposant d'outils de guerre économique sans commune mesure avec ceux de la fonction publique ? L'UNSA, comme l'ensemble des organisations syndicales, tire depuis longtemps la sonnette d'alarme et tel un tsunami, il y a des signes précurseurs annonciateurs d'une catastrophe imminente. Personne ne pourra dire qu'il ou qu'elle ne savait pas.
L'UNSA relève dans ce projet de LPM l'effort, le développement et la surveillance de notre base industrielle et technologique de défense (BITD). Elle est indispensable au fonctionnement comme au futur de nos armées. Pour ne citer que ce cas, l'entreprise Latécoère, après un investissement de 47 millions d'euros soutenus par l'argent public en 2017, annonce la délocalisation des activités de son site de Montredon vers la Tunisie, dont celles liées à la fabrication des pièces de l'avion de transport tactique sur lequel s'appuieront les armées à hauteur de 75 % en 2030, avec la disponibilité de 35 appareils A400M. Où sont les engagements de maintien des entreprises de souveraineté sur le territoire national ? Où sont les promesses de relocalisation industrielle sur le territoire post Covid ?