Nous vous remercions de nous inviter à nous exprimer devant vous à propos de la future loi de programmation militaire, exercice d'autant plus difficile que nous n'avons eu à ce jour aucune communication de la part du ministre ou de ses services sur cette LPM. Nous avons donc été amenés à chercher des informations et le texte du projet de loi sur internet. Il est vrai que la période actuelle, globalement depuis le 19 janvier, ne se prête guère à un dialogue social apaisé et constructif.
Ce n'est bien sûr pas l'objet de la LPM ni même de l'audition d'aujourd'hui d'aborder cette question, mais nous devons revenir sur l'actualité et la réforme des retraites, pas tant sur la réforme en elle-même que nous rejetons et que nous continuerons de combattre, mais aussi et surtout sur les questions qu'elle pose en matière de conception de notre démocratie sociale, de la place que l'on entend donner au dialogue social et du rôle que l'on veut faire jouer aux corps dits intermédiaires que sont les organisations syndicales.
Nous ne nous trompons pas de cible, vous ne représentez pas l'exécutif, mais votre rôle en tant que députés consiste à rappeler parfois le gouvernement à la raison et notre présence aujourd'hui démontre notre attachement à la représentation nationale et aux institutions. Nous auditionner doit consister aussi à nous entendre et à considérer parfois que nous avons raison.
Nous ne pouvons que vous engager à relire nos interventions lors des auditions précédentes, pour que vous vous aperceviez de la justesse de certaines de nos analyses. Si ne serait-ce qu'un dixième de ce que nous avions dénoncé lors de la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dans notre ministère avait été pris en compte, nous aurions évité un nombre conséquent de gabegies que nous payons encore. Bien entendu, les responsables de ce désastre ne rendront jamais de comptes. Refonder notre démocratie, comme certains s'y étaient engagés, passe aussi par un minimum de respect envers les interlocuteurs que nous sommes. Malheureusement, les évènements et le mépris qui nous est témoigné disqualifient le gouvernement, qui ne nous considère pas comme des partenaires sociaux.
Cela fait maintenant plusieurs années que nous subissons cette manière de faire. À quel moment a-t-on trouvé judicieux et pertinent, à travers la loi de transformation de la fonction publique, fomentée par le même ministre qui a porté la réforme des retraites, de nous éjecter de tout droit de regard sur le déroulement de carrière des agents à travers les commissions administratives paritaires et de supprimer les CHSCT ? Quel était le but recherché si ce n'est celui de réduire l'audience des organisations syndicales et le nombre de leurs mandants ?
Puisque nous ne sommes pas des partenaires, nous agirons en conséquence. Sans l'écoute et la manière dont nos revendications seront traitées, les mêmes causes produiront les mêmes effets et le dialogue social se refermera aussi vite qu'il s'est rouvert. Lors de notre audition le 20 avril dernier, M. le rapporteur de la LPM nous disait qu'il était temps de retrouver le chemin du courage et de la responsabilité. Nous le prenons au mot, et proposons de mettre un terme à la main mise de la fonction publique et de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) sur les ministères, pour redonner de la marge de manœuvre à la négociation au sein des administrations.
Cette vision de la DRH de l'État, instaurée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, n'a fait que brider le dialogue social en considérant les administrations irresponsables. Puisque nous sommes contraints par la masse salariale, redonnons aux ministères la marge nécessaire pour recruter et améliorer les parcours professionnels. On ne pourra pas afficher une LPM à 413 milliards d'euros et, dans le même temps, restreindre les recrutements de personnels civils, les mesures catégorielles ou les taux d'avancement pour la seule raison que la DGAFP l'interdit.
Fidèle à ses principes d'indépendance et rejetant toute idée de cogestion, Force Ouvrière ne s'exprimera pas sur la politique de défense du pays, ni sur les aspects opérationnels des choix opérés par la LPM. Notre rôle consiste à vous alerter sur les conséquences de ces choix pour les personnels civils, tant du ministère que des industries d'armement telles que Naval Group, Nexter ou Eurenco.
Dans ce cadre, la question des effectifs est primordiale, a fortiori avec une LPM à cette hauteur, nonobstant les effets de l'inflation et des coûts de l'énergie sur les budgets. Il serait là aussi difficilement compréhensible d'afficher de telles ambitions sans apporter une attention particulière sur les fonctions de soutien dans lesquelles sont positionnés les personnels civils. Or force est de constater que les personnels civils ne sont abordés ni dans l'exposé des motifs, ni dans l'étude d'impact, ni dans le projet de loi en lui-même, ce qui en dit long sur l'intérêt que nous portent les rédacteurs de la LPM. Parviendrons-nous un jour à ce que ce ministère intègre la place des personnels civils qui contribuent à l'accomplissement des missions et que l'on cesse de croire qu'il n'appartient qu'aux seuls militaires ?
Nos besoins en matière d'effectifs ne portent pas uniquement sur les fonctions de la cybersécurité et du renseignement, même si nous ne minimisons pas la nécessité de renforcer nos capacités en la matière. Nous devons donc dès maintenant anticiper sur les futurs recrutements, en réfléchissant très concrètement aux problématiques d'attractivité et de fidélisation. Notre ministère, après des années de suppression de milliers de postes, compte nombre de métiers en tension, notamment dans les ressources humaines, la restauration et l'infrastructure.
La future LPM doit apporter des réponses à cette question, sous peine de mettre nos capacités de soutien aux forces en danger. Le fantasme qui anime certains états-majors à vouloir détruire l'existant pour réinternaliser les fonctions de soutien au sein des armées n'est pas de nature à répondre aux difficultés. Il y a une propension chez certains à expliquer que quand les choses ne leur appartiennent pas, elles ne fonctionnent pas. Cette vision relève plus de l'instinct grégaire que d'une réelle volonté d'améliorer le soutien aux forces.
Le SCA, la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI), le service d'infrastructure de la défense (SID) ou encore le SSA fonctionnent et remplissent parfaitement les missions qui leur sont confiées, dès lors qu'on leur en donne les moyens, notamment humains.
Encore une fois, pour remplir cette mission, il nous faut des hommes et des femmes. On ne peut pas d'un côté déplorer le nombre de postes vacants dans la fonction publique et, de l'autre, ne pas mettre en œuvre les moyens, notamment en termes de rémunération, pour régler cette situation. Les campagnes de communication n'y suffiront pas. Si pour Force Ouvrière, le premier axe d'effort pour juguler les effets de l'inflation et améliorer le pouvoir d'achat des agents de l'État reste l'augmentation du point d'indice, il nous paraît nécessaire d'avoir à travers cette LPM une lisibilité des mesures catégorielles affectées aux personnels civils.
Le deuxième élément crucial à nos yeux dans la préparation de cette LPM consiste à assurer un plan de charge nous permettant de maintenir un haut niveau de souveraineté et d'indépendance et de conserver les compétences et le savoir-faire, notamment en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO). Réaliser un plan de charge avec ces objectifs nécessite d'avoir recours à des personnels sous statut, entre autres les ouvriers de l'État, avec les mêmes impératifs d'attractivité et de fidélisation, afin de limiter le recours à l'externalisation.
Le ministre a annoncé ses objectifs d'augmenter de façon significative le nombre de réservistes pour atteindre un effectif d'un réserviste pour deux militaires d'active. L'intention est louable et peut permettre aux armées de compter sur une force d'appoint importante et, de plus, constituer un vecteur non négligeable de promotion du lien armées-nation. Néanmoins, nous alertons sur la nécessité d'une bonne utilisation de la réserve opérationnelle qui ne doit en aucun cas pallier les manques d'effectifs sur des fonctions de soutien normalement dévolues aux personnels civils, comme nous le constatons trop souvent dans les établissements. La ministre Florence Parly avait en son temps décidé une mission conjointe entre le contrôle général des armées et l'inspection générale de l'administration sur l'utilisation de la réserve opérationnelle, mais elle n'a jamais été mise en œuvre.
Enfin, j'aborderais la question du plan Famille 2 pour rappeler là aussi que le ministère des armées ne compte pas uniquement des personnels militaires, même si nous avons conscience des risques encourus par nos camarades militaires en OPEX et des conséquences pour leur famille et la nécessité pour la nation d'en tenir compte. Or, rien ne justifie aujourd'hui que les personnels civils ne soient jamais cités sur la plaquette ministérielle du plan Famille de quatre pages.