Je vous remercie pour cette audition qui, malgré le temps contraint de l'examen parlementaire, doit donner à la représentation nationale une vision plus précise d'une LPM qui va déterminer notre politique de défense et la dynamique de notre industrie de défense – que nous représentons ici – au-delà de cette décennie, dans un contexte de guerre aux portes de l'Europe.
Disposer d'une LPM permettant de programmer, dans la durée, l'effort de défense et les programmes d'armement est un motif de satisfaction en soi, que de nombreux pays nous envient. Les sommes conséquentes planifiées jusqu'en 2030 constituent, de surcroît, un signal très fort envoyé à nos partenaires et nos concurrents et un facteur de crédibilité stratégique autant qu'industrielle.
Si la LPM confirme et conforte la complétude du modèle d'armée et les grandes orientations de la BITD terrestre, dont Nexter est le chef de file, elle se traduit par des ajustements capacitaires pour tenir compte des réorientations de priorités. J'en citerai trois.
Tout d'abord, les cadences de livraison du programme Scorpion sont étalées pour partie après 2030, sans remise en cause des cibles finales à horizon 2035. Je souhaiterais insister sur le fait que l'industrie a démontré sa capacité à produire et à tenir ses engagements depuis le début du programme. Les livraisons de Griffon, de Jaguar, de Serval sont intervenues exactement à la date prévue, alors que la BITD n'avait plus produit de véhicule neuf jusqu'à 2017. Nous allons produire et produisons d'ores et déjà plusieurs centaines de véhicules, conformément à nos engagements, dont nous avons démontré notre capacité à les tenir. Nous avons mis en place un outil industriel permettant d'accompagner et de soutenir cette montée en cadence industrielle. Nous nous montrerons flexibles pour envisager, en lien étroit avec le ministère des armées et l'ensemble de ses composantes, des mesures de remédiation au cas par cas et programme par programme, afin de limiter la déstabilisation du tissu industriel – non seulement Nexter, mais aussi toute la BITD que nous entraînons derrière nous – et les surcoûts inévitables de ce type de mesures. Cela prouve d'ailleurs, au passage, que seules les commandes fermes pourvoient à l'indispensable visibilité industrielle que nous appelons de nos vœux.
Ensuite, la LPM prévoit également de nouvelles priorités capacitaires dans le domaine de compétence et de légitimité de Nexter, pour lesquelles nous sommes et serons force de proposition : défense sol-air basse-couche ; lutte anti-drone, où le canon est probablement indispensable en complément du missile ; munitions téléopérées ; frappe de longue portée en remplacement des lance-roquettes unitaires (LRU) si souvent évoqués. Sur ce dernier point, nous avons formulé et continuerons à formuler, avec nos partenaires industriels, des propositions cohérentes avec le besoin et les délais exprimés par les armées. Le besoin de développement agile d'une telle capacité pourrait d'ailleurs être le symbole du faire autrement souhaité par le ministre.
Enfin, les munitions devront faire l'objet d'un effort particulier dans un contexte de profonde reconfiguration de l'industrie munitionnaire européenne, en particulier sous l'impulsion des institutions européennes. Le commissaire Thierry Breton est venu visiter plusieurs de nos sites, ce qui manifeste le rôle particulier qu'entend jouer la Commission européenne. La France se doit d'y jouer un rôle premier, de faire preuve de leadership. Du côté de Nexter, nous nous sommes déjà mis en ordre de bataille. À horizon mars 2024, nous aurons augmenté de 50 % notre capacité de production de munitions de gros calibre, et en particulier d'obus d'artillerie, par rapport ce qu'elle était au début de l'année 2023. Nous avons par ailleurs soumis des propositions pour augmenter très significativement la production, au-delà de cette hausse de 50 %, tout en renforçant notre empreinte européenne.
En outre, la LPM se traduit également par une volonté d'accroître le niveau d'activité des forces, donc potentiellement le MCO, pour lequel l'industrie privée – et Nexter en particulier – a largement démontré son apport et ses compétences. Nous gérons en effet des parcs d'entraînement et l'approvisionnement en pièces de rechange et en soutien pour l'ensemble des régiments de France et de Navarre.
Sur le plan normatif, la LPM pourvoit au bras réglementaire de l'économie de guerre, avec en particulier l'imposition administrative de stocks et la priorisation nationale de commandes à l'export. Dans le cadre du soutien français à l'Ukraine, nous avons déjà été confrontés à ces problématiques en réalisant des stocks conséquents en autofinancement et en acceptant de prendre des risques, en bonne intelligence avec le ministère des armées. Néanmoins, une vigilance particulière s'impose pour que ces dispositions n'obèrent ni notre compétitivité en faisant peser une charge durable sur la trésorerie ni l'attractivité de l'offre française en faisant peser une hypothèque de préemption sur les commandes à l'export. Cela vaut d'autant plus dans un secteur terrestre dont l'intensité concurrentielle est très forte et en croissance. Un examen partagé entre État et industrie en amont de toute décision relevant de ces dispositions me semble d'ailleurs indispensable. Le contexte d'économie de guerre ne doit pas nous faire oublier que nous sommes également confrontés à une guerre économique.
Parmi les axes majeurs d'effort, je crois nécessaire d'insister sur le besoin d'un effort particulier sur la préparation de l'avenir dans le secteur terrestre, comme l'ont mentionné mes deux précédents homologues, par davantage de financement de recherche et technologie (R&T) pour préparer les programmes majeurs et entretenir les compétences des bureaux d'études. Avec la fin des développements Scorpion, que nous aurons peut-être l'occasion d'évoquer, j'insisterai fortement sur la compétence industrielle en matière de chars et d'artillerie du futur.
Je tiens également à rappeler que l'export est absolument constitutif de l'équilibre de notre modèle industriel, pour Nexter comme pour l'ensemble de la filière terrestre, dont je me fais aujourd'hui le porte-parole. Les sujets terrestres doivent être davantage soutenus et visibles à l'export, comme c'est le cas avec le camion équipé d'un système d'artillerie (Caesar). De même, le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) en équipe de France a encore des prospects stratégiques devant lui, et une impulsion forte doit être donnée pour exporter des véhicules Scorpion. Nous disposons d'une magnifique gamme de produits Scorpion, dont les créneaux de production ont été rendus libres et que nous pouvons utiliser à l'export.
Enfin, la capacité pour la France à proposer des contrats d'État à État allégés et demandés par de nombreux pays partenaires constituerait un différenciant majeur, qui permettrait de renforcer et de catalyser nos performances à l'export, consubstantielles de la robustesse et de la performance globale de notre industrie.