Vous vous demandez certainement que fait un officier de marine, amiral et ancien commandant de sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE), auprès d'un groupe spécialisé dans l'espace. En réalité, de nombreux points communs existent entre la haute mer et l'espace, ne serait-ce qu'en termes de besoin de permanence.
ArianeGroup salue bien entendu l'effort consenti par la Nation au travers de cette LPM, en particulier pour la dissuasion, qui représente 13 % de l'enveloppe globale. Nous sommes aussi satisfaits de la priorité nouvelle accordée à la maîtrise spatiale.
Permettez-moi de rappeler quelques éléments concernant ArianeGroup, qui n'est pas aussi connu que ses deux actionnaires Airbus et Safran, qui la détiennent à 50 % chacune. Notre société est 100 % duale civile et militaire. ArianeGroup est à la fois maître d'œuvre des lanceurs Ariane, mais également du missile M51 embarqué dans nos SNLE. Les programmes liés à la défense dans son ensemble représente environ 50 % de notre chiffre d'affaires. Deux évènements récents illustrent cette dualité : le 14 avril, nos équipes et celles du Centre national d'études spatiales (Cnes) procédaient à Kourou au lancement de la sonde JUpiter ICy moons Explorer (Juice) sur Ariane 5, avec la précision que vous connaissez ; cinq jours après, nos équipes participaient au tir d'acceptation du M51 à bord du sous-marin Le Terrible au large des côtes du Finistère, sous la maîtrise d'ouvrage de la DGA.
Cette exigence de résultat, pour un tir aussi important, n'est pas une exigence ponctuelle. C'est notre quotidien, et nos ingénieurs et techniciens sont aux côtés de nos marins, à L'Île Longue et à bord du sous-marin, durant les périodes d'entretien entre les patrouilles. Dans ce contexte, et de notre point de vue, le premier enjeu de cette LPM consiste bien à conforter la visibilité à long terme dans les choix capacitaires et les décisions budgétaires qui permettront d'assurer ce socle de compétences, la plupart extrêmement rares, le tout dans la durée, de manière à pouvoir continuer, dans les temps à venir, à concevoir, produire et maintenir en conditions opérationnelles des systèmes de cette complexité.
Vous comprendrez que la dissuasion ne fonctionne que si elle demeure crédible dans toutes ses dimensions, y compris technologiques. Nous sommes dans une logique binaire, selon laquelle le glaive doit toujours potentiellement l'emporter sur le bouclier – ou le canon sur la cuirasse. Pour remplir sa mission, ArianeGroup se doit d'abord d'assurer une veille active et précise sur l'évolution des défenses adverses potentielles, qui se renforcent partout dans le monde, en particulier au sein des grandes puissances dotées de l'arme nucléaire, dans un contexte international particulièrement volatile, avec un risque accru de prolifération dans un certain nombre d'États tiers. 2022 fut d'ailleurs une année record en termes de tirs balistiques militaires avec 376 lancements, contre seulement 186 tirs de lanceurs civils.
Dans ce contexte, et dans sa logique de stricte suffisance, la dissuasion nucléaire française, pour ce qui concerne ArianeGroup, est fondamentalement liée à la performance de ses systèmes d'armes embarqués à bord des SNLE. La performance du missile M51 doit être continûment adaptée en fonction du développement des défenses antimissiles adverses : le glaive doit toujours pouvoir l'emporter sur le bouclier. Cette exigence doit s'accompagner d'un effort budgétaire constant, dans la mesure où nous nous inscrivons dans le temps long, avec des évolutions régulières – des incréments – du M51. De ce fait, la LPM prévoit bien de concourir à la crédibilité technique de la dissuasion en poursuivant le financement de la fin du développement de l'incrément actuel et sa mise en service au cours de la prochaine LPM. Par ailleurs, elle prévoit aussi le démarrage du développement de l'incrément suivant, en collaboration étroite avec la division forces nucléaires de l'État-major des armées et la DGA ; rappelons que cet incrément devra permettre de répondre à des besoins opérationnels à horizon 2035-2040, ce qui prouve bien que nous nous inscrivons dans le temps long.
Il me paraît extrêmement important de revenir sur la notion de dualité que j'évoquais en introduction. Celle-ci favorise une démarche d'innovation continue et stimulante entre les équipes défense et civiles, permettant d'intégrer les technologies éprouvées au sein de l'un ou l'autre des deux programmes, via la fertilisation croisée, et de concevoir ainsi des engins ou des objets capables de manœuvrer en orbite, non seulement pour aller dans l'espace, mais aussi pour naviguer, assurer une permanence spatiale et rentrer dans l'atmosphère – ce que l'on nomme la réutilisation.
En matière de défense, la rentrée dans l'atmosphère renvoie aux planeurs hypersoniques. Nous nous félicitons que le ministère des armées ait confié à ArianeGroup, dans le cadre de la précédente LPM, le soin de lancer un démonstrateur de planeur hypersonique. Ce planeur hypersonique, véhicule manœuvrant expérimental (V-max), permettra un premier niveau d'exploration et de démonstration en vol dans un domaine tout à fait nouveau et développé à très grande échelle par toutes les autres grandes puissances, à commencer par les États-Unis, la Russie et la Chine. Au-delà des aspects techniques, ce programme de démonstration V-max apportera à la France une technologie particulière offrant de potentielles retombées dans le domaine civil. Ainsi, la dualité s'inscrit également dans les affaires de rentrée dans l'atmosphère. Dans ce domaine, nous nous réjouissons que V-max se poursuive dans le cadre de la prochaine LPM sous sa prochaine version V-max 2.
Nous devons enfin nous réjouir que la maîtrise spatiale et l'action dans l'espace soient désormais jugées prioritaires par la LPM. Face à la multiplication des menaces et des satellites d'observation, la connaissance et la compréhension de la situation spatiale deviennent clés, du moins si l'on veut continuer à pouvoir agir en temps réel et garder notre liberté d'action. ArianeGroup avait développé, sur fonds propres, un système de surveillance fine de l'espace à base de capteurs optiques nommé GEOTracker ; il est aujourd'hui au service du commandement de l'espace, sachant que ce réseau permet de détecter les menaces éventuelles et de disposer surtout du support indispensable aux moyens potentiels de rétorsion. Parmi ceux-ci, comme le ministre des armées l'a récemment indiqué dans la presse, la LPM propose de continuer à expérimenter le démonstrateur d'illumination ou d'aveuglement momentané d'un satellite adverse depuis le sol. Ce système Bloomlase conçu par ArianeGroup s'appuie sur des briques technologiques déjà éprouvées pour la détection, la poursuite et le tir précis de laser à grande distance. L'objectif est bien de doter la France d'une capacité opérationnelle, à l'instar d'autres puissances spatiales, durant la prochaine LPM, grâce à une démarche agile entre la DGA et sa base industrielle, en lien étroit avec l'État-major des armées.
En conclusion, nous sommes évidemment satisfaits du maintien dans la durée des efforts relatifs à la dissuasion océanique. Nous demeurons néanmoins vigilants pour conforter dans le temps les nouvelles dynamiques concernant V-max et ses suites (V-max 2) et Bloomlase qui sont, à notre sens, deux projets s'inscrivant fort bien dans l'esprit de l'économie de guerre.