Je passerai rapidement sur les points déjà abordés par mes collègues, et je m'abstiendrai également de présenter le groupe Thales.
Les 413 milliards d'euros consacrés par cette nouvelle LPM représentent un effort conséquent, que nous tenons à saluer, au même titre que la continuité affichée par rapport à la présente LPM exécutée à l'euro près. Cette nouvelle loi consacre des moyens significatifs à des domaines capacitaires délaissés ces dernières années, dont les chaînes de production n'étaient restées ouvertes que grâce à l'exportation, parfois avec des cadences extrêmement faibles. Elle comble donc un vide, en particulier pour les activités munitionnaires et de défense antiaérienne. Elle permet également d'investir les nouveaux enjeux associés aux nouveaux champs de conflictualité : cyberdéfense, renseignement, commandement, drone, quantique, intelligence artificielle (IA), interopérabilité. Ces thématiques reflètent l'accélération des évolutions techniques et technologiques, sur lesquelles Thales investit massivement depuis des années.
Retraitée de l'inflation – 30 milliards d'euros sur la période – consommant une part de la progression, cette LPM offre un champ d'application beaucoup plus vaste que la précédente loi, ce qui génère une certaine dilution de l'effort. Le nombre de plateformes équipant les armées en 2030 progressera donc moins rapidement que prévu. Pour Thales, les impacts portent principalement sur le Rafale R, le Griffon, le Jaguar, le Serval, les frégates de défense et d'intervention (FDI) 4 et 5, le système de lutte anti-mines du futur (Slamf), les systèmes de drone et Syracuse IV, avec en particulier l'annulation de Syracuse IV-C.
Cette clarté sur les formats, qui est très importante pour notre visibilité, ne se traduit pas encore par une grande clarté – pourtant très importante pour nous – sur les évolutions qualitatives programmées sur la période. Quelques domaines prioritaires sont identifiés, mais nous ne sommes pas encore à l'énumération des programmes de renouvellement des forces présentés dans le cadre de la précédente LPM. Le contenu fonctionnel des différentes plateformes n'est pas encore précisé, alors qu'il s'agit pourtant d'éléments fondamentaux pour conserver la supériorité technologique et opérationnelle : comme vous le savez, la technologie occidentale a joué un rôle non négligeable face à la masse russe en Ukraine.
Des choix en matière de supériorité technologique seront donc à effectuer dans l'exécution de cette LPM. La prise de risque dans l'innovation est favorisée, mais nous attendons des explications sur la méthode qui sera mise en œuvre. Nous savons qu'il existe des marges de manœuvre. Pour la préparation de l'avenir, le budget études amont augmente de 10 %, tandis que l'effort total consacré à l'innovation passe à 10 milliards d'euros. À ce titre, une attention particulière doit être portée sur le choix des programmes à très faible nombre d'unités, notamment dans le spatial, qui pourraient conduire à des pertes durables de compétences pourtant nécessaires à notre souveraineté.
Si les quantités programmées sont claires, la visibilité sur nos bureaux d'études ne l'est pas encore, alors même que le ministère des armées nous incite à un autofinancement accru de nos activités. Ce paradoxe apparent ne pourra être résolu que par un dialogue soutenu avec l'administration quant aux choix détaillés effectués pendant l'exécution de la LPM. Ce dialogue doit être massivement orienté vers une perspective d'exportabilité accrue de nos produits, en particulier pour les équipements conventionnels, et à l'exception de ceux liés à la dissuasion. Seule cette exportabilité permet de maintenir voire d'augmenter les cadences de production, malgré des commandes nationales limitées ou différées. Par le biais de l'export, nous disposons d'exemples démontrant que nous pouvons rapidement augmenter les cadences, grâce à un effort de notre part et de nos sous-traitants.
Par ailleurs, le succès à l'export permet de financer des stocks bien dimensionnés de matériels prêts à être intégrés sur demande, dans une vision multi-clients, et d'amortir les frais de développement. Le dialogue avec l'administration doit donc viser à la juste spécification des produits, afin de pouvoir accélérer les cycles de qualification, en diminuant, au moins au début, le niveau des spécificités nationales. Notons d'ailleurs que la coopération européenne et la bonne interopérabilité sont évoquées comme des contributions possibles et souhaitées. La programmation doit donc être exécutée dans cette perspective.
Enfin, Thales souhaite le même dialogue sur les décrets d'application à venir relatifs aux points esquissés dans la LPM, notamment sur les stocks que l'État pourra imposer aux industriels. Telle qu'elle apparaît, cette clause constitue un transfert de risques vers l'industrie, qui sera seule à assumer des coûts de constitution, de conservation, voire d'obsolescence des stocks, en l'absence de garanties fournies par l'État.
L'autre sujet est évidemment la priorisation des flux.
Nous sommes conscients que l'écosystème de défense doit travailler différemment afin d'être plus efficace et plus résilient. Cela nécessite davantage de concertation entre partenaires. La réflexion autour de l'économie de guerre en donne l'occasion, pour peu que les modalités de travail entre la DGA et l'industrie évoluent. C'est ainsi que pourra se produire la transformation souhaitée par le ministre, afin d'alléger les contraintes normatives, de raccourcir les cycles de production et de réduire les coûts d'acquisition et de maintien en conditions opérationnelles (MCO). Les normes et règlements pesant sur tous les acteurs offrent encore l'opportunité de faire fructifier l'impulsion donnée afin d'intégrer l'agilité accrue demandée aux industriels. Cette concertation est d'autant plus indispensable pour nos très nombreux sous-traitants français, pour la plupart des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui, encore plus que les grandes entreprises de la défense, ont besoin de visibilité pour pouvoir recruter, se financer et monter en cadence lorsque cela s'avère nécessaire.
Cette nouvelle LPM nécessite donc encore beaucoup de travail pour nous offrir la clarté qui nous permettra d'atteindre les objectifs fixés par la DGA, le ministère des armées et les forces armées.