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Intervention de Emmanuel Chiva

Réunion du mardi 2 mai 2023 à 21h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement (DGA) :

Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui et vous remercie de faire la promotion des carrières au sein de la DGA. Comme vous le savez, la question des ressources humaines est un sujet de préoccupation constante, notamment afin de pouvoir attirer les plus jeunes. Nous pourrons d'ailleurs en discuter si vous le souhaitez.

La LPM constitue l'outil indispensable à la programmation de notre système de défense, nécessaire au besoin des forces et à la préparation de l'avenir. Cet outil nous offre une visibilité partagée entre forces, DGA et industrie, pour les sept prochaines années au moins.

La loi de programmation militaire nous permet de piloter, avec cohérence, le fonctionnement et l'évolution d'ensemble de notre système de défense. Nos discussions interviennent après une LPM 2019-2025 qui constituait déjà un effort majeur et dont vous venez de discuter dans l'hémicycle. Cette LPM proposait une trajectoire financière déjà en forte hausse, avec 295 milliards d'euros alloués. Pour la première fois, cette LPM a été exécutée à l'euro près, ce qui a renforcé significativement la crédibilité de cet exercice de programmation.

Nous veillerons à assurer cette même exécution à l'euro près pour la période 2024-2030. Cette nouvelle LPM représente un effort financier inédit proposé à la représentation nationale, pour finir de reconstruire, pour transformer et préparer l'avenir. En termes de méthode, cette LPM a été bâtie dans une coopération franche, une communauté de destins, entre la DGA et l'état-major des armées (EMA) sous l'égide du ministre des armées. Je suis sincèrement convaincu qu'elle répond au modèle et au format des armées proposé par l'EMA et retenu par le Ministre et le Président de la République.

La LPM vise à garantir notre autonomie stratégique, à assurer nos engagements au titre de notre statut d'allié et de membre de l'Union européenne et de l'OTAN, et porte l'ambition d'une France puissance d'équilibres. Les priorités politiques et militaires qui en découlent sont les suivantes : d'une part, garantir la crédibilité dans la durée de la dissuasion nucléaire, clef de voûte de notre outil de défense ; et d'autre part, transformer nos armées pour conserver notre supériorité opérationnelle et être en mesure de faire face à l'ensemble des menaces actuelles et futures, y compris dans les nouveaux espaces de conflictualité. Le rôle de la DGA consiste donc à fournir à nos armées les moyens de remplir leurs missions actuelles et futures.

Outre les programmes de la dissuasion, cette action passe par trois vecteurs principaux :

- les programmes à effets majeur (PEM), c'est-à-dire la soixantaine de grands projets les plus structurants pour les forces, qui représentent environ 100 milliards d'euros dans cette LPM ;

- les études amont, soit les crédits alloués à la préparation de l'avenir et à l'innovation, qui s'élèvent à 7 milliards d'euro contenus dans le patch de 10 milliards d'euros dédiés à la défense ;

- les autres opérations d'armement (AOA) s'élèvent à 13 milliards d'euros et recouvrent des opérations diversifiées, comme les commandes de stocks de munitions ou les commandes de radios.

L'agrégat équipement atteint au total 268 milliards d'euros dans cette LPM.

Je souhaite également évoquer plus en détail quelques éléments prégnants du point de vue de la DGA, en commençant par la dissuasion. Le contexte du conflit en Ukraine et le comportement de la Russie nous rappelle en effet la réalité et la nécessité de la dialectique nucléaire et donc la pertinence pour la France de disposer de sa propre dissuasion. Ainsi, le ministre des armées a bien rappelé durant son audition que cette LPM s'appuyait sur l'héritage de notre modèle de défense.

La dissuasion est probablement notre héritage le plus solide, mais également le fondement de la création de la DGA en 1961. Lorsque j'étais venu vous en parler il y a quelques mois, j'avais d'ailleurs réaffirmé l'importance de cette mission dans ma vision stratégique. À ce titre, je me réjouis que certains d'entre vous aient pu visiter notre centre DGA Essais de missiles à Biscarosse, où vous avez pu voir in situ ce que signifie réellement de disposer d'une dissuasion nucléaire crédible. L'île du Levant constitue en outre un site particulièrement intéressant de ce point de vue.

La modernisation de nos deux composantes vise à pérenniser la crédibilité de la dissuasion et répond au principe de stricte suffisance. En LPM 2024-2030, elle se matérialise particulièrement par les éléments suivants :

- la poursuite des travaux sur les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) de troisième génération ;

- la mise en service du M51.3 doté de la future tête nucléaire océanique et la préparation du M51.4 ;

- le renouvellement de la composante nucléaire aéroporté avec l'ASN4G, dont le lancement de la phase de réalisation aura lieu en 2025.

Ensuite, la LPM 2024-2030 fait également apparaître de nouveaux objets ambitieux pour répondre aux menaces actuelles et futures, dans tous les espaces et tous les champs de la conflictualité.

Dans l'espace, il convient de relever une très nette accélération de notre ambition au sein de cette LPM. Je pense notamment au programme à effet majeur (PEM) ARES qui vise à disposer en 2025 d'un démonstrateur de capacité d'action dans l'espace. Il comporte plusieurs composantes, notamment YODA, un projet d'innovation dont je vous avais parlé et qui devient un démonstrateur de nos capacités de sécurisation de nos actifs dans l'espace en orbite géostationnaire. La surveillance spatiale est également concernée à travers le système GRAVES NG. Enfin, le système de commandement des opérations spatiales (C4OS), incluant une brique d'intelligence artificielle, est rendu possible par cette LPM, pour une mise en service en 2027.

En défense sol-air, le retour d'expérience (RETEX) du conflit en Ukraine a remis les enjeux de la défense sol-air (DSA) sur le devant de la scène. Il est bien pris en compte dans cette LPM qui prévoit en 2030 vingt-quatre plateformes terrestres MISTRAL ; huit tourelles MISTRAL pour la DSA très courte portée navale et le développement de moyens terrestres blindés dédiés à la lutte anti-drones (douze plateformes en 2030). Sur la DSA courte portée terrestre nous menons également des efforts particuliers avec le VL MICA, notamment pour répondre aux besoins de la sécurisation des Jeux olympiques 2024.

Dans le cyberespace et les champs immatériels, nous réalisons un très gros effort financier, avec un patch à 4 milliards d'euros, soit 300 % d'augmentation, dans le but de mener à bien les actions suivantes :

- conserver la souveraineté des équipements de cryptographie pour protéger nos communications régaliennes ;

- adapter la lutte informatique défensive aux nouvelles menaces et l'étendre aux systèmes d'armes et à l'écosystème du ministère, c'est-à-dire la base industrielle et technologique de défense (BITD) et les fournisseurs ;

- développer l'arsenal de lutte informatique offensive pour tenir dans la durée d'une confrontation ;

- industrialiser la lutte informatique d'influence pour faire face au foisonnement des réseaux sociaux.

La LPM prévoit également une accélération dans le domaine de la maîtrise des fonds marins, avec l'acquisition des premières capacités propres du ministère des armées, notamment le développement d'une filière industrielle souveraine, en s'appuyant sur le dispositif France 2030.

La LPM poursuit les travaux sur les grands projets structurants : le porte-avions nouvelle génération (PANG) ; le démonstrateur du système de combat aérien du futur (SCAF) et le programme Scorpion. Elle vient aussi renforcer plusieurs segments préexistants comme le programme Parade de lutte anti-drones (LAD), soit 15 systèmes en 2030 ; la LAD navale (20 systèmes en 2030) et un patch drone ambitieux à 5 milliards d'euros, qui double le budget alloué sur la période 2019-2025, dans le but de développer des capacités de drones sur tout le spectre, notamment les munitions téléopérées, le système Euromale et les drones Patroller.

Le ministre des armées, sur proposition de l'EMA et de la DGA, a pris des mesures programmatiques qui consistent à réaliser des étalements de livraison, qui font glisser certaines cibles de 2030 à l'horizon 2035, ce qui permet d'intégrer les objets nouveaux que je viens de citer mais également de garder un modèle cohérent (MCO, carburant, formation).

Il faut bien garder en tête que la LPM 2024-2030 se projette en réalité bien au-delà dans le temps. Nous engageons ainsi aujourd'hui dans cette LPM des dépenses de développement qui aboutiront à des programmes livrés une ou deux LPM plus tard. Les exemples les plus marquants en la matière concernent la dissuasion et les capacités navales.

C'est la raison pour laquelle la DGA continue aussi de préparer l'avenir à travers la consécration inédite de 10 milliards d'euros pour l'innovation. Ce patch est constitué de 7 milliards dévolus aux études amont et 3 milliards consacrés aux opérateurs (écoles, Office national d'études et de recherches aérospatiales, Institut Saint Louis), et quelques dizaines de millions aux études opérationnelles et technico-opérationnelles et aux études de prospectives stratégiques. Ce patch vise à répondre aux menaces nouvelles ; à consolider notre supériorité technologique et à garantir la maîtrise des nouveaux champs de conflictualité (espace, fonds marins, champ informationnel, cyber) ; à avoir de l'audace et de l'ambition pour gagner en agilité et rapidité de déploiement dans les forces et à explorer les ruptures technologiques très en amont, pour poursuivre l'action de l'Agence de l'innovation de défense (AID).

Cela passe par des démonstrateurs d'envergure (les armes à énergie dirigée ; l'hypervélocité ; le quantique ; l'intelligence artificielle et les énergies hybrides), mais également des efforts particuliers sur les munitions téléopérées et la robotique (250 à 300 robots terrestres).

Cette action de l'État doit naturellement s'accompagner d'une mobilisation indispensable de la BITD pour nous proposer dès aujourd'hui des projets d'innovation autofinancés destinés à nos armées, mais également à nos partenaires à l'export.

En effet, outre les volumes et les différentes feuilles de route, deux points clés sont nécessaires pour conserver un modèle équilibré. Il s'agit en premier lieu de l'export : la performance de notre industrie à l'export permet aussi de réaliser des gains économiques et bénéficier d'effets d'échelle indispensables à l'économie globale du modèle. La LPM est donc également bâtie en s'appuyant sur ces perspectives. En second lieu, il convient de mentionner le soutien et la maintenance des équipements. Le ministre des armées m'a déjà confié un mandat dans ce domaine pour, conjointement avec l'EMA et les services de soutien, conduire des négociations sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) afin de permettre d'en améliorer l'efficience et ainsi contribuer à la maîtrise du coût global des équipements, tout en répondant aux besoins d'activités des forces.

Par ailleurs, cette LPM s'inscrit pleinement dans le contexte du RETEX du conflit ukrainien, dont les enjeux capacitaires se détachent et pour lesquels la LPM apporte des réponses. Mais nous réalisons également des efforts conséquents sur les stocks de munitions, en y consacrant 16 milliards d'euros, soit une hausse de 45 % par rapport à la LPM 2019-2025 ; dans le contexte de l'économie de guerre, pour accélérer la production des obus de 155 et relocaliser les poudres et nous doter de munitions téléopérées.

L'autre enseignement de la guerre en Ukraine porte sur la nécessité de transformer notre outil industriel pour répondre aux réalités de cadences et de stocks que démontre hélas le taux d'attrition observé en Ukraine. Ces différents chantiers ont été lancés par le ministre des armées depuis le mois de septembre 2022. Pour appuyer cette ambition, la LPM prévoit aussi des mesures normatives visant à doter l'État d'outils très concrets qui permettront, en cas de crise, de lever certains verrous notamment dans les cadences de livraison.

Ensuite, lorsque l'on évalue la capacité de réaction de notre industrie, deux enjeux doivent être distingués : la R&D et la production. En matière de R&D, il existe une forme de caractère incompressible. En revanche, en phase de production, il est possible de moduler les cadences, notamment à la hausse, et de réduire les délais. C'est précisément cette phase de production qui est visée par les travaux de l'économie guerre.

Dans ce domaine, les industriels ont réalisé de nombreux efforts et je souhaite le souligner devant vous. Je pense notamment aux éléments suivants :

- le canon Caesar de Nexter, dont la production est passée de quatre à huit unités par mois, avec un raccourcissement des délais de 30 à 17 mois ;

- le radar Ground Master de Thales, dont la production est passée de douze à vingt-quatre unités par an ;

- les missiles Mistral de MBDA, dont la cadence de production a été doublée à 40 unités par mois, avec un raccourcissement des délais de 30 à 15 mois.

Ce contexte d'économie de guerre nous rappelle qu'on ne fait qu'un avec notre industrie. Comme l'a dit le ministre, la BITD doit être imbriquée dans notre modèle d'armée. L'État pourra donc venir en soutien à ces efforts en créant des mesures d'exception activables et réellement opérationnelles en cas de crise. Les mesures normatives portent ainsi sur l'obligation de constituer des stocks de matières premières ou de composants stratégiques ; les réquisitions et la possibilité d'exiger l'exécution prioritaire de commandes pour la défense face à des commandes civiles. Ces mesures normatives permettent réellement de nous donner les moyens concrets de ne pas subir en cas de crise, elles participent à ancrer l'économie de guerre dans la durée.

En conclusion, avec la LPM 2024-2030, une DGA en mode « haute intensité » se met en ordre de marche. Pour y parvenir, nous nous transformons afin de gagner en performance. Cette transformation vise notamment les éléments suivants :

- la simplification ;

- le travail sur la performance de la BITD ;

- l'analyse de la valeur, (le CEMA l'a évoqué pendant son audition et je vous confirme que nous sommes pleinement alignés sur ce point) ;

- différentes initiatives comme le traitement rapide de l'instruction du processus d'acquisition, depuis l'expression du besoin jusqu'à la livraison, notamment à travers la création par la DGA d'une force d'acquisition réactive.

En conclusion, la DGA a devant elle des défis extrêmement ambitieux, qui concernent également la dimension des ressources humaines. Nous vivons pleinement la guerre des talents, la DGA étant en concurrence directe avec les industriels pour capter des profils. Nous ouvrons donc la DGA, nous cherchons à la rendre attractive, à travailler sur les parcours de carrière et les rémunérations. La DGA est prête à être au rendez-vous de cette LPM inédite.

Enfin, je tiens à remercier devant vous les équipes de la DGA qui travaillent sans relâche pour préparer cette LPM depuis l'été dernier. Avec l'EMA, le secrétariat général pour l'administration et le cabinet du ministre, nous sommes allés au bout de ce processus de préparation de la LPM. Il faut en outre insister sur le fait que cette LPM va au-delà de sept ans : elle nous oblige, pour assurer la sécurité des générations futures. Finalement, tous les choix que nous faisons aujourd'hui nous permettent de lancer les programmes pour 2030, 2040 et 2050.

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