La solidarité n'existe pas au quotidien car votre Europe n'a cessé de mettre en compétition les travailleurs entre eux. Quant à l'histoire commune, elle existe, inséparable des histoires nationales et de l'histoire mondiale. Encore faudrait-il ne pas la fantasmer ni la réduire à des mythes. En tout état de cause, à elle seule, elle ne peut suffire à faire un peuple.
Quand on n'a aucun projet fondé sur la souveraineté populaire à proposer, ce qui reste, en dernier ressort, est l'identité, une identité que vous pensez pouvoir faire tenir sur un seul drapeau, une identité rabougrie et évanescente, réduite à des valeurs communes mobilisées au gré des circonstances et que vous n'avez de cesse de bafouer vous-mêmes. Dans ce contexte, que peut faire un drapeau, si ce n'est masquer le désastre annoncé ?
Reste, paraît-il, l'« autonomie stratégique » chère au président Macron, autrement dit la souveraineté sans les peuples. Cependant, voilà encore un objectif inatteignable dans le cadre des traités actuels. À supposer qu'on puisse surmonter les antagonismes qui dictent les politiques extérieures des États membres, comment voulez-vous bâtir une autonomie stratégique sans politique industrielle dans les domaines de pointe ?
Ce manque, qui découle encore une fois des dogmes qui corsètent l'Union, aboutit à des aberrations. Comment oser parler de souveraineté européenne lorsque la Banque centrale choisit Amazon pour la phase test des moyens de paiement de l'euro numérique ? Une décision scandaleuse selon l'ancien directeur de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), que j'avais interrogé à ce sujet en commission.