Intervention de Lionel Collet

Réunion du mercredi 12 avril 2023 à 9h00
Commission des affaires sociales

Lionel Collet :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis conseiller d'État depuis dix ans, après une carrière de médecin hospitalo-universitaire aux Hospices civils de Lyon, où j'ai occupé les fonctions de professeur des universités et praticien hospitalier pendant vingt et un ans et de chef d'un service d'audiologie pendant une douzaine d'années. Sur le plan universitaire, j'ai créé au sein du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) une unité mixte de recherche que j'ai dirigée pendant quinze ans, ainsi qu'un groupement de recherche sur la prothèse auditive dont j'ai occupé la direction pendant quatre ans. Mes travaux, qui portaient sur les neurosciences sensorielles et plus spécifiquement sur l'audition humaine, se situaient à l'interface des sciences biologiques et des sciences humaines et sociales. Par ailleurs, mon travail sur les prothèses auditives portait sur des dispositifs médicaux.

Au cours de ma carrière, qui a duré un peu moins de quarante ans, j'ai occupé des responsabilités en cabinet ministériel pendant deux ans : un peu plus d'une année en tant que directeur de cabinet de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, et un peu moins d'un an en qualité de conseiller spécial de la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn.

Avant de vous présenter ma vision de la Haute autorité de santé, je souhaiterais rendre hommage à Dominique Le Guludec, qui a présidé cette institution durant la pire période sanitaire que le pays ait connue, et à l'ensemble des personnels de la HAS.

La HAS exerce une mission singulière dans le paysage des organismes publics d'expertise en santé : chargée d'expertiser la qualité du système de santé, elle a été créée à des fins de régulation de ce système par la qualité et l'efficience et est la seule, en ce domaine, à bénéficier du statut d'autorité publique indépendante.

Autre particularité : le législateur a souhaité que les dispositions la régissant soient codifiées dans le code de la sécurité sociale et non dans celui de la santé publique, alors que la HAS intervient certes dans le champ de l'assurance maladie, mais aussi dans celui de la santé publique. Cette spécificité est le fruit de l'histoire, puisque la HAS a été créée par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie afin, d'une part, d'évaluer l'utilité médicale des actes, produits de santé et prestations pris en charge par l'assurance maladie et, d'autre part, de promouvoir les bonnes pratiques professionnelles dans le système de santé.

Il est frappant de constater qu'en vingt ans, la disposition du code de la sécurité sociale définissant ses missions aura connu trente versions, par ajouts successifs. En 2004, les missions dévolues à la HAS étaient numérotées de un à cinq. Le 1er janvier 2024, la numérotation ira de un à vingt-deux, sans compter un bis et d'autres dispositions non numérotées. Cette évolution traduit l'attente du législateur et des pouvoirs publics vis-à-vis de la HAS, qui est garante de la qualité du système de santé français. Notez que les propositions de loi relatives à l'accès aux soins et au bien-vieillir prévoient de lui confier de nouvelles tâches.

Au fil du temps, la HAS a ainsi vu son champ d'action s'élargir, sous l'effet, notamment, du renforcement de l'évaluation médico-économique, de la création en son sein de la commission technique des vaccinations ou encore de l'intégration des missions de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux. La HAS développe ainsi la qualité dans le secteur sanitaire, mais aussi dans le champ social et médico-social, ce qui fait écho à la définition de la santé donnée par l'Organisation mondiale de la santé, qui l'envisage comme un « état de complet bien-être physique, mental et social ».

La HAAS s'est également beaucoup investie dans le champ de la e-santé, l'essor croissant des nouvelles technologies impliquant de pouvoir donner des avis sur la qualité et la sécurité de ces outils.

Ainsi, la HAS fournit un travail considérable : elle rend des avis sur des produits de santé en vue de leur remboursement, formule des recommandations – vaccinales, de bonnes pratiques – et prend des décisions, en matière notamment de certification des établissements de santé et d'accréditation des spécialités médicales à risque.

Je vous propose à présent de raisonner à plus long terme et d'imaginer la HAS à un horizon de dix à quinze ans. On peut raisonnablement penser qu'au-delà des missions traditionnelles relatives à la qualité du système de santé, qui perdureront, une place plus importante sera accordée dans le champ de l'expertise aux usagers et aux patients, qui détiennent un savoir nourri par l'expérience. Le rôle des experts en sciences humaines et sociales, qui nous renseignent sur l'impact des mesures prises sur la société, ainsi que sur l'appropriation des recommandations de la HAS, sera également consolidé. Je m'engage, si vous m'accordez votre confiance, à renforcer la place de ces deux catégories d'experts.

Dans les dix à quinze années qui viennent, les recommandations de la HAS devront avoir encore plus d'impact qu'elles n'en ont aujourd'hui. Bien que de très grande qualité, elles sont en effet encore insuffisamment connues et appliquées par les professionnels de santé. Il faut simplifier leur présentation. Il importe également d'approfondir les relations avec les sociétés savantes, tout en tenant compte de leurs liens, voire de leurs conflits d'intérêts, ce qui implique de veiller au respect du cahier des charges très strict élaboré par la HAS. En outre, ces recommandations doivent être enseignées aux professionnels de santé, dans le cadre de leur formation initiale et continue ainsi que de leurs certifications périodiques.

Le législateur a chargé la HAS de remettre au Parlement et au Gouvernement un rapport annuel comportant une analyse prospective et des propositions d'amélioration du système de santé sur le plan de la qualité, de l'efficience et de l'efficacité. Chaque année, depuis la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018, la HAS publie ce document d'analyse prospective et y aborde un thème spécifique, par exemple la révolution numérique en santé ou, cette année, l'expertise publique en santé en situation de crise.

Il me semble que, pour répondre aux attentes du législateur, le collège de la HAS pourrait publier une fois au cours de son mandat, soit tous les six ans, un autre type de rapport d'analyse prospective qui explique de quelle manière les innovations les plus significatives pourraient modifier l'organisation du système de santé, ce afin d'anticiper et de faciliter l'accès aux soins. La HAS occupe une place idéale pour mener ce type de réflexion, puisqu'elle est au contact permanent des innovations par les dossiers qu'elle instruit concernant les médicaments et les dispositifs médicaux. Il me semble logique qu'un tel rapport puisse être élaboré de façon régulière ; il serait piloté par la HAS en lien avec les autres agences et organismes travaillant dans le domaine de l'innovation, parmi lesquels l'Agence de l'innovation en santé, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et les organismes de recherche comme l'Institut national de la santé et de la recherche médicale et le CNRS.

Je pense par ailleurs que dans dix ou quinze ans, les conséquences de la crise du covid seront toujours perceptibles. Au cours de celle-ci, la HAS a dû s'adapter à la nécessité de formuler en urgence des avis et des recommandations, sortant ainsi du temps traditionnellement long de l'expertise. Elle a ainsi acquis une efficacité administrative, qui se renforcera encore à l'avenir et qui lui permettra de se conformer aux délais de remise de ce qui lui sera demandé.

Je mets de côté, faute de temps, les sujets liés à l'Europe et à l'international, mais nous pourrons en discuter, si vous le souhaitez.

J'en viens à la manière dont je conçois la présidence de la HAS. Il s'agit d'une présidence doublement exécutive, puisque le président de la HAS, qui est une autorité publique indépendante, préside également le collège de la HAS. Le président de la HAS est donc soumis à la législation sur les autorités publiques indépendantes : les services sont placés sous son autorité ; il nomme le directeur général et les présidents des commissions spécialisées. Il préside par ailleurs le collège de la HAS, dont les huit membres, renouvelés par moitié tous les trois ans, sont désignés par cinq personnalités différentes : le Président de la République nomme le président de la HAS, les présidents de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental nomment chacun un membre et le ministre de la santé les quatre autres membres.

Le rôle du président est de promouvoir une vision intégrée des travaux de la HAS et d'éviter tout cloisonnement entre ses domaines d'intervention : dès le stade de l'évaluation d'un médicament ou d'un dispositif médical, il faut en examiner les conséquences sur les recommandations et les certifications. Il incombe au président de hiérarchiser les actions.

Les enjeux de la régulation sont essentiels. En tant que corapporteur des quatre derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) au Conseil d'État, j'ai eu l'occasion de développer une vision de la régulation par les textes. Il faut insister sur le fait que le président de la HAS et de son collège doit garantir l'indépendance de l'instance, conformément à la disposition législative selon laquelle « les membres des autorités administratives [...] et publiques indépendantes ne sollicitent ni ne reçoivent d'instruction d'aucune autorité ».

L'indépendance n'empêche toutefois pas un dialogue, le plus fluide possible, avec les pouvoirs publics, les patients, les usagers, les professionnels de santé, les autres agences, les organismes de recherche, mais aussi les industriels, avec lesquels j'ai eu l'occasion de m'entretenir dans le cadre de mes fonctions de coordonnateur de la réunion du Conseil stratégique des industries de santé (Csis) de 2016.

Mon expérience au sein du Conseil d'État m'a montré qu'il est tout à fait possible de concilier indépendance et intérêt général : on peut se prononcer sur un sujet donné sans céder en aucune façon à la compromission, si l'on rend un avis totalement indépendant. Je souhaite m'inspirer de ce modèle pour présider la HAS et veiller à l'indépendance de l'instance tout en privilégiant la fluidité du dialogue.

Le président de la HAS doit également être garant de la qualité de l'expertise scientifique. Cela suppose de faire appel à des experts indépendants, n'ayant aucun conflit d'intérêts avec le sujet traité et intervenant dans un contexte de totale transparence quant à l'existence d'éventuels liens d'intérêts. Je connais fort bien ces problématiques, que je traite quotidiennement en tant que coordonnateur du collège de déontologie de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris depuis quatre ans et référent déontologue du centre hospitalier universitaire de Bordeaux depuis plusieurs années.

Il importe par ailleurs de s'assurer de la qualité des experts sur le plan scientifique. À cet égard, je vous précise que j'ai été pendant neuf ans membre du comité national de recherche scientifique, qui recrute et évalue les chercheurs du CNRS.

Enfin, le président de la HAS doit assurer la bonne administration de l'institution, sur les plans humain et budgétaire. Il doit d'abord veiller, en lien avec le directeur général, à la qualité des ressources humaines, des conditions de travail et du dialogue social. Si vous m'accordez votre confiance, je fixerai dès mon arrivée un rendez-vous avec les représentants du personnel.

S'agissant des moyens financiers, les ressources de la HAS proviennent pour l'essentiel d'une ligne de la LFSS. Cette dotation annuelle, de l'ordre de 54 millions d'euros, parvient à la HAS par l'intermédiaire de l'assurance maladie. Or en 2022, les charges de la HAS atteignaient environ 72 millions, soit une différence de 18 millions. Jusqu'en 2014, cet écart était comblé par la perception de taxes et de redevances payées par les industriels. Ces versements ont toutefois cessé, afin de garantir la totale indépendance de la HAS. Dès lors, elle a puisé chaque année dans son fonds de roulement, mais celui-ci sera épuisé fin 2023. Il me paraît donc indispensable, pour que la HAS puisse assumer la totalité de ses missions, que la dotation prévue par la LFSS 2024 augmente de l'ordre de 20 millions d'euros, afin de compenser la somme prélevée chaque année depuis 2014 sur le fonds de roulement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion