Madame la présidente, chers collègues, je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission pour présenter ce texte inscrit à l'ordre du jour de la niche du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES.
Son sujet peut sembler technique et plus proche des thématiques dont s'empare la commission des finances, notamment dans le cadre du projet de loi de finances (PLF). Il est en effet question de l'indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l'inflation.
Il faut rappeler que la DGF a été indexée sur l'inflation jusqu'en 2011 avant d'être gelée jusqu'en 2013. Elle a ensuite été mise à contribution de façon drastique pour le redressement des finances publiques, à hauteur d'environ 11 milliards d'euros : de 41,5 milliards en 2013, son montant est ainsi passé à environ 31 milliards en 2017, avant que la part de la DGF versée aux régions ne soit supprimée. La Cour des comptes a mis en évidence l'impact de cette diminution sur les dépenses d'investissement des collectivités territoriales, ces dépenses ayant reculé de 11 % pendant la période.
Une telle mesure touche au principe même de l'autonomie financière des collectivités territoriales, pendant financier du principe constitutionnel de leur libre administration. Le sujet est au cœur des compétences de la commission des lois et nous passionne tous parce qu'étant élus d'un territoire composé de collectivités, nous sommes en lien quasi quotidien avec elles. Plusieurs d'entre vous, dont je fais partie, ont aussi eu la chance d'exercer des fonctions exécutives locales et de faire l'expérience de la réalité vécue par les collectivités territoriales.
La DGF est le principal concours financier que l'État verse aux collectivités territoriales – plus précisément aux communes, aux intercommunalités et aux départements. Elle a vocation à donner un niveau de ressources suffisant à ces collectivités pour qu'elles puissent fonctionner : elle vise à garantir leur autonomie financière.
La DGF comprend deux parties : une dotation forfaitaire ou de compensation, fondée sur des composantes historiques et sur le poids de la population ; des dotations de péréquation, qui visent à soutenir les collectivités ayant des charges particulières. La part de la péréquation au sein de la DGF, particulièrement dynamique, est financée depuis 2017 par un écrêtement de la dotation forfaitaire puisque l'enveloppe globale de la DGF a été gelée.
Entre 2018 et 2022, le montant de la DGF a été stabilisé à périmètre constant, aux alentours de 26,6 milliards. On peut penser que cette stabilisation a eu peu d'impact dans un contexte de faible inflation. C'est oublier l'essence même de la DGF, qui est un dû par l'État, non une subvention. André Laignel, président du Comité des finances locales, dit bien que s'il n'y a pas de remboursement en euros constants, c'est-à-dire en tenant de compte de l'inflation, il y a « spoliation ».
Le fonctionnement à enveloppe fermée de la DGF a des conséquences importantes sur sa répartition entre les différentes collectivités. En effet, la dotation forfaitaire a fait l'objet d'écrêtements, chaque année pendant cette période, au profit des composantes péréquatrices. Ce mécanisme explique qu'environ la moitié des communes et des EPCI – établissements publics de coopération intercommunale – voient chaque année leur DGF diminuer malgré la stabilisation de l'enveloppe globale depuis 2018.
Nos collectivités territoriales sont confrontées à d'énormes difficultés liées à la forte hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation. En 2022 l'inflation s'est établie à 5,2 % environ quand le montant de la DGF restait stable, et elle est estimée à 4,2 % en 2023. Les communes sont particulièrement vulnérables : l'indice des prix des dépenses communales connaît une augmentation bien plus rapide que celle des prix au niveau national. Selon les dernières enquêtes, la hausse des prix du « panier du maire » a atteint 7,2 % en 2022.
Les collectivités territoriales doivent aussi prendre à leur charge la revalorisation du point d'indice, une mesure indispensable mais qui pèse sur les budgets locaux.
L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) alerte déjà sur la contraction de l'investissement dans les collectivités territoriales en 2023, en raison de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt. Soutenir les collectivités territoriales, c'est également soutenir la croissance et l'activité économique puisque l'investissement local représente 70 % de l'investissement public.
Le Gouvernement a pris quelques mesures, tel le filet de sécurité, pour compenser les surcoûts des collectivités territoriales, mais elles sont mal calibrées et bénéficient finalement à un petit nombre de collectivités.
Ces difficultés s'ajoutent à celles qui résultent de la réforme de la fiscalité locale, avec la suppression progressive de la taxe d'habitation et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui a des conséquences importantes sur le niveau de ressources et l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Ces suppressions se sont d'abord traduites par une baisse directe des ressources des collectivités territoriales puisqu'elles n'ont pas été compensées à l'euro près par l'État. Ensuite, le remplacement d'impôt locaux par des fractions d'impôt national comme la TVA ou par des dotations sans lien avec les politiques menées par les collectivités territoriales conduit à une perte d'autonomie fiscale. Ce mouvement de recentralisation de la fiscalité locale menace la capacité des collectivités à maîtriser leurs coûts et contribue à affaiblir le lien entre le contribuable et l'élu.
Il est aujourd'hui urgent d'agir pour garantir aux collectivités territoriales les moyens de leur subsistance. Cette année, face aux pressions inflationnistes, le Gouvernement a été contraint d'augmenter de 320 millions la DGF pour financer la progression de la péréquation dans le bloc communal : elle atteint désormais 26,9 milliards. Cette enveloppe supplémentaire est bien insuffisante puisqu'elle représente une hausse de 1,7 % de la dotation allouée aux communes, soit un niveau très inférieur aux 4,2 % d'inflation estimés sur l'année.
À titre de comparaison, le montant de la DGF se serait élevé à 27,7 milliards s'il avait été indexé sur l'inflation estimée dans le PLF pour 2023, ce qui représenterait une hausse de 1,12 milliard, dont 770 millions pour le bloc communal.
Le groupe GDR-NUPES propose d'en finir avec des augmentations ponctuelles, liées à la conjoncture. Il souhaite une réforme plus juste, qui passe par une mesure d'indexation de la DGF sur la prévision d'évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation hors tabac, fixée chaque année dans les documents annexés au projet de loi de finances. Nous avons souhaité inscrire cette mesure dans la loi organique pour garantir sa pérennité et lui conférer un statut particulier.
L'indexation est d'autant plus nécessaire qu'une réflexion structurelle sur l'avenir de la DGF doit être engagée, maintenant que la ville de Paris ne contribue plus à l'effort de financement des besoins puisqu'elle ne perçoit plus de dotation forfaitaire. L'abondement de 320 millions décidé en 2023 ne peut être qu'une solution temporaire, et la soutenabilité de l'ensemble du dispositif pose question. Il est temps que la DGF progresse chaque année du niveau de l'inflation pour compenser les coûts de fonctionnement auxquels font face les collectivités territoriales et pour répondre ainsi à son objectif premier de garantir leur autonomie financière.
Dans les prochaines années, une fois cette indexation sur l'inflation acquise, une réflexion plus globale sur une réforme de la DGF pourrait utilement avoir lieu.
Je remercie tous les acteurs que j'ai pu auditionner.