Intervention de Éric Coquerel

Réunion du mercredi 26 avril 2023 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, président :

Votre volonté, vous l'avez dit, est de désendetter la France et de réduire les déficits. Vous niez le terme de politique d'austérité, mais je maintiens que vous menez une politique d'offre, ce que vous ne contestez pas, et une politique d'austérité. Quand on compare les évolutions que vous proposez pour les dépenses de l'État et des collectivités, c'est-à-dire – 0,8 % pour l'État et – 0,5 % pour les collectivités, et la croissance tendancielle qu'il faudrait pour répondre aux besoins de la population dans les années à venir, notamment compte tenu de la démographie, à savoir 1,2 % selon le Gouvernement et 1,7 % selon l'Institut Montaigne, on voit bien qu'il y aura une cure d'austérité, la plus forte que la Ve République ait connue. Par ailleurs, une baisse de 5 points de PIB d'ici à 2027, en dehors des dépenses liées à la charge de la dette, représenterait 135 milliards d'euros d'économies.

Encore cela ne tient-il pas compte des effets de la loi de programmation militaire. Nous avons auditionné, le 5 avril, Pierre Moscovici, en sa qualité de président du HCFP : il nous a dit que pour tenir les objectifs de la loi de programmation militaire, il faudrait en réalité une baisse de 1,4 % de toutes les autres dépenses de l'État. Je maintiens qu'une telle politique mérite le nom d'austérité. Tout cela dépend, en outre, d'une prévision de croissance, de 1,7 % en 2025-2027, que le HCFP vient de considérer, dans son avis, comme optimiste et de chiffres très certainement sous-estimés en matière d'inflation, puisque vous évaluez celle-ci à 2,6 % en 2024.

Vu la situation, que personne ne nie, c'est-à-dire les différentes urgences auxquelles nous avons affaire, qu'il s'agisse de la transition écologique, de la refondation de l'hôpital public, évoquée par le chef de l'État il y a plus de huit jours, notamment la nécessité de faire en sorte que plus un service d'urgence ne soit engorgé – même si ce n'est pas tant la question de l'engorgement qui se pose, mais plutôt celle de la fermeture de certains services d'urgence, faute de moyens –, ou qu'il s'agisse de l'éducation nationale et de la défense, je crois qu'un programme de stabilité ne devrait pas partir de la question impérieuse de la réduction des déficits. Je ne dis pas qu'il ne faut pas les réduire, mais que ce n'est pas ce qui devrait être fixé en priorité ; c'est de la réponse à apporter aux besoins qu'il faut partir. Je continue à considérer qu'après une année 2022 qui a été la plus chaude en mer et sur terre, et au cours de laquelle nous avons atteint un record de fonte des glaciers, notamment en France, la question de la dette écologique que nous laisserons à nos enfants est bien plus importante que celle de la dette financière.

S'agissant du déficit, vous justifiez le fait de redescendre à 2,7 % du PIB par l'augmentation des taux d'intérêt, mais je vous ferai remarquer qu'ils augmentent moins que l'inflation ; les taux d'intérêt réels restent donc encore négatifs. Vous pouvez également dire qu'il faut absolument, afin de rassurer les marchés, faire en sorte que la dette n'augmente pas de manière inconsidérée, mais je vous ferai également observer que la demande pour nos titres est largement supérieure aux montants offerts. Nous ne sommes donc pas dans une situation de risque telle que cela devrait être la priorité absolue.

Quant à l'idée selon laquelle il serait juste qu'après avoir imposé un effort à nos concitoyens, l'État s'en impose un à lui-même, je rappelle que l'État et les services publics sont au service des citoyens, de telle sorte que ce sont, en dernière instance, nos concitoyens qui en paieraient le prix parce qu'ils bénéficieraient de moins de services publics et de mécanismes de solidarité nationale.

Pour ce qui concerne les dépenses publiques, nous pourrions éventuellement nous entendre sur les moyens de réduire la dette si nous estimions que c'était la priorité. Mais, dès lors que vous excluez de remettre en question les dépenses fiscales, qui ont considérablement augmenté – elles représentent 50 milliards d'euros par an depuis 2017 et devraient atteindre 60 milliards par an pour les cinq prochaines années – et qui, comme le montrent toutes les études, servent davantage à nos concitoyens les plus aisés, notamment aux détenteurs du capital, ce sont évidemment les dépenses publiques qui en pâtissent. À cela s'ajoutent les aides aux entreprises, qui ont atteint environ 200 milliards par an, soit une augmentation de 80 milliards par an en cinq ans, sans contrepartie. Je précise à cet égard que, pour nous, les aides aux entreprises, si elles sont légitimes, doivent néanmoins être ciblées, avec des critères et des contreparties, afin d'éviter qu'elles soient, par exemple, utilisées pour distribuer des dividendes. Il existe là d'autres réserves possibles avant de toucher aux dépenses publiques.

Je rappelle, enfin, que les dépenses publiques sont des recettes. Si la France n'a pas connu de récession après la crise des subprimes, c'est parce que le feu de l'activité économique n'était pas entretenu par le marché privé, mais par les dépenses, car celles-ci, en vertu d'un coefficient multiplicateur, rejaillissent dans toute l'économie en termes d'emplois ou de marchés, par exemple pour le BTP via la construction de logements sociaux. La réduction de ces dépenses induit donc un risque récessionniste dans une période économique à venir que je continue à juger inquiétante.

J'en viens à mes questions. Pour réduire le déficit public de l'ordre de 0,5 point de PIB par an et retrouver en 2027 un déficit inférieur à 3 %, il est nécessaire de maîtriser fortement l'évolution annuelle de la dépense publique. Lors du précédent programme de stabilité, cette maîtrise devait s'appliquer dans les mêmes proportions aux dépenses de l'État et à celles des collectivités territoriales. Avec le nouveau programme de stabilité que vous présentez, cette stratégie de maîtrise du rythme de progression de la dépense publique est révisée de manière différenciée pour l'État et pour les collectivités territoriales, qui ne connaîtraient plus la même progression. L'effort portant sur la part des dépenses revenant à l'État est, de fait, accru. Alors que les engagements des lois de programmation déjà votées ou en cours de discussion sont ambitieux et prévoient une croissance forte de certaines dépenses budgétaires, n'est-il pas illusoire de prévoir une aussi faible croissance de l'ensemble de la dépense publique ?

Vous indiquez, en page 56 du programme de stabilité, que les collectivités locales seront « associées à l'effort de modération de la dépense publique selon des modalités qui seront déterminées en concertation avec les différents acteurs, sans rétablissement du mécanisme de sanction de la précédente loi de programmation ». Pouvez-vous nous en dire plus sur ces modalités de modération de la dépense publique locale ?

Dans vos prévisions d'évolution des recettes publiques, vous relevez qu'il est difficile de chiffrer les recettes qui résulteront de la mise en œuvre de l'imposition minimale des grandes entreprises, soit la réforme du pilier 2 de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont vous dites, en page 57 du programme de stabilité, qu'elle ne serait attendue qu'à compter de 2026. La réforme ne devrait-elle pas entrer en vigueur dès 2024 et produire des effets en recettes dès 2025 ?

Vous indiquez par ailleurs, en page 27 du programme de stabilité, que la trajectoire de ce dernier « provisionne la sortie des boucliers tarifaires et la réduction de certaines dépenses fiscales et sociales inefficaces. » Pourriez-vous préciser le chiffrage du surcroît de recettes qui devrait ainsi provenir chaque année de la suppression ou de la diminution de certaines niches fiscales ?

Enfin, s'agissant du projet de loi de règlement, dans son rapport sur l'exécution du budget de l'État pour l'année 2022, la Cour des comptes a relevé l'importance des reports de crédits non consommés en 2022 sur l'exercice 2023 pour quarante programmes et un montant total de 18,7 milliards, et a souligné que ces reports ne pouvaient pas se justifier, comme en 2020 et 2021, par l'incertitude découlant de la crise sanitaire. Cela pose donc un problème au regard des principes d'annualité et de spécialité budgétaires. Comment ajuster de façon plus satisfaisante, lors du prochain collectif budgétaire de fin d'année, à un moment où l'exécution est déjà bien avancée, les crédits des missions budgétaires pour éviter dans le futur des reports de crédits d'une telle ampleur ?

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