Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du mercredi 26 avril 2023 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

Je suis très heureux de vous présenter, avec le ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal, le programme de stabilité, tel que nous le transmettrons à nos partenaires européens. Il marque notre volonté d'accélérer le désendettement de la France. S'il y a une chose à en retenir, c'est en effet que le niveau de la dette publique sera inférieur de 4 points par rapport au précédent programme de stabilité, ce qui traduit notre détermination à accélérer la réduction des déficits et de la dette publique. Nous faisons ce choix d'accélérer le désendettement après avoir protégé massivement nos compatriotes.

Nous l'avons fait à deux reprises, d'abord pendant la crise du covid, avec le « quoi qu'il en coûte ». Nous avons alors dépensé 240 milliards d'euros, soit environ 10 % de notre richesse nationale. Ce choix du Président de la République a permis d'éviter des vagues de faillites et une explosion du chômage, et nous a permis de réussir, mieux que tous nos partenaires européens, la relance économique qui a suivi, à hauteur de 100 milliards d'euros. Nous sommes, je le rappelle, la première nation de la zone euro à avoir retrouvé son niveau d'activité d'avant-crise à la fin 2021.

La deuxième crise à laquelle nous avons répondu, c'est celle de l'inflation, avec le bouclier tarifaire. Ce bouclier, qui était la principale mesure destinée aux ménages, a permis à ces derniers d'économiser entre 180 et 200 euros par mois sur l'augmentation des factures de gaz et d'électricité. La politique que nous avons menée a eu un coût de 44 milliards d'euros, dont 24 milliards pour le bouclier tarifaire, qui a été en partie compensé par la taxation des surprofits des entreprises énergéticiennes.

La conséquence de ce choix de protection, c'est une forte augmentation des dépenses publiques : le déficit s'est établi à 6,5 % en 2021 et la dette a progressé de 16 points entre 2019 et 2021, passant de 97 % à 113 % du PIB. Contrairement à celle liée à la crise financière de 2008-2010, cette augmentation de la dette publique se situe dans la moyenne des autres pays européens. Au cours de la même période, de 2019 à 2021, la dette publique allemande a augmenté de 10 points, celle de l'Italie, de 16 points, et celle de l'Espagne, de 20 points. Le décrochage de la dette publique française par rapport à celle de nos voisins européens remonte à la crise financière de 2008-2010, et non à la crise du covid.

En 2022, nous avons commencé à rétablir les comptes : le déficit a alors été de 4,7 %, soit 0,3 point de moins que ce qui était prévu, et la dette a commencé à baisser, passant de 113 % à 111,6 % du PIB. En 2023, nous avons fait le choix d'accélérer ces réductions, en ciblant davantage les dépenses et en sortant définitivement du « quoi qu'il en coûte ». Nous avons notamment remplacé des mesures générales par des mesures ciblées, le meilleur exemple étant la remise sur les carburants, qui était de 30 centimes par litre pour tous nos compatriotes : elle est devenue une indemnité carburant de 100 euros, réservée aux personnes qui travaillent. Le coût du bouclier sur l'essence, en passant de 8 milliards en 2022 à moins de 1 milliard en 2023, a ainsi été divisé par huit.

Nous voulons maintenant accélérer la maîtrise des dépenses publiques et le désendettement de la France. Alors qu'en juillet 2022, nous avions comme objectif d'atteindre 2,9 % de déficit public en 2027, nous nous fixons désormais un objectif de 2,7 %. S'agissant de la dette, notre objectif pour 2027 passe de 112,5 % à 108,3 % du PIB, soit 4 points de moins. L'accélération du désendettement de la France vient d'être saluée par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

Ces objectifs nouveaux et plus exigeants sont évidemment fixés sans toucher à nos prévisions de croissance. Nous ne jouons pas sur ce facteur pour modifier le ratio de dette publique. La croissance potentielle reste fixée à 1,35 %.

Pourquoi prenons-nous la décision d'accélérer le désendettement ? Nous le faisons pour trois raisons.

La première, c'est la nécessité de reconstituer nos marges de manœuvre dans l'hypothèse où nous devrions faire face, demain, à un nouveau choc et à une nouvelle crise conjoncturelle. Par ailleurs, après avoir demandé à nos compatriotes de faire un effort en matière de durée du travail pour rétablir les équilibres financiers, dans le cadre de la réforme des retraites, il me paraît juste de demander à l'État, aux collectivités locales et aux acteurs publics de faire également un effort pour rétablir les finances publiques.

En deuxième lieu, et c'est sans doute le point décisif, les conditions de financement de notre dette ont radicalement changé : nous sommes dans un nouvel univers monétaire. Notre responsabilité, étant dans la majorité, est de nous confronter à cette réalité monétaire plutôt que de la fuir ou de la nier. La nécessité de lutter contre l'inflation et de revenir à des taux moins pénalisants en la matière pour les Européens, pour nos compatriotes et en particulier pour les catégories les plus modestes, a mis fin à toute politique monétaire accommodante. Le resserrement de la politique monétaire, en Europe comme aux États-Unis, se traduit par une augmentation rapide des taux d'intérêt, à un rythme que l'on n'avait pas connu depuis plusieurs décennies. En douze mois, les taux d'intérêt ont ainsi augmenté de 200 points de base. Alors qu'ils étaient de l'ordre de 1 % à dix ans, ils sont passés à 2,9 ou 3 %.

Voilà la nouvelle réalité financière et monétaire de la France. Elle est évidemment commune à tous les pays de la zone euro et à tous les pays développés, mais elle nous amène à accentuer notre désendettement. La France est, en effet, le premier émetteur de dette de la zone euro, à hauteur de 270 milliards d'euros pour 2023. La charge de la dette est d'autant plus sensible à la variation des taux d'intérêt : 1 point de taux d'intérêt en plus, comme lors des derniers mois, représente 15 milliards d'euros de dépenses supplémentaires au titre de la charge de la dette à l'horizon 2027. C'est de l'argent jeté par les fenêtres ! Ces 15 milliards pourraient être mieux employés pour les hôpitaux, les écoles, les crèches, les universités, c'est-à-dire le service public. Réduire la dette, c'est donc retrouver de la liberté, de la souveraineté.

Enfin, dernière raison, nos partenaires européens se sont engagés dans la même politique. Il me semble, lorsqu'on fait partie d'une zone monétaire, d'un club monétaire qui vous a assuré sa protection pendant la crise du covid, par l'émission de dette en commun, qu'il est préférable de jouer le même jeu que vos partenaires européens. Ils se sont tous, sans exception, engagés dans un rétablissement rapide de leurs finances publiques.

Comment allons-nous mettre en œuvre cette politique ? Notre stratégie repose sur les mêmes piliers que ceux que nous avions utilisés en 2017 et 2018, avec succès, puisque nous avions rétabli les finances publiques. Nous étions revenus, à ce moment-là, sous les 3 % de déficit.

Le premier pilier est la croissance. Nous ne voulons pas d'austérité. Nous n'y croyons pas : lorsque la France a fait le choix de l'austérité, elle a tout perdu, en matière de croissance, de chômage et même, au bout du compte, de finances publiques. Nous voulons simplement ralentir la dépense publique, pour que son évolution ne soit pas supérieure au rythme de l'inflation, et augmenter la prospérité de la France par la croissance.

Pour avoir plus de croissance, nous voulons d'abord continuer à investir. Cela reste un des maîtres mots de notre politique économique : nous voulons continuer à investir dans l'innovation, dans les nouvelles technologies, dans l'industrie verte, dans la décarbonation de notre économie, dans l'intelligence artificielle, dans le calcul quantique, dans tout ce qui fera de la France une des grandes nations qui comptent au XXIe siècle. J'en fais une priorité absolue. Nous pouvons conjuguer rétablissement des finances publiques et maintien d'un haut niveau d'investissement dans l'innovation, et je crois même que l'un est la condition de l'autre. Nous avons donc décidé de sanctuariser les crédits de France 2030 – 54 milliards d'euros –, de maintenir le crédit d'impôt recherche et de développer, comme l'a proposé la Première ministre, un Fonds vert pour les collectivités locales, afin de les aider à investir dans la décarbonation.

La croissance, c'est l'investissement, mais aussi le travail. Nous continuons notre politique de développement du volume global de travail en France, qui reste un des plus faibles de tous les pays développés. La réforme de l'assurance chômage, la réforme des retraites et la création de France travail font partie des moyens d'augmenter le volume global de travail de la nation française pour qu'elle ait plus de prospérité. Il me semble qu'il est cohérent de dire que nous voulons garder un système de redistribution généreux et efficace et de le financer par un volume global de travail plus important.

Enfin, la croissance suppose que nous continuions à baisser des impôts. Nous maintiendrons, par conséquent, la politique que nous avons engagée, avec le Président de la République, depuis six ans. Nous avons supprimé la contribution à l'audiovisuel public, la taxe d'habitation sera définitivement supprimée d'ici à la fin 2023, et nous aurons également supprimé de façon définitive, fin 2024, la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui est un impôt de production pesant sur notre industrie.

Cette politique de baisse des impôts permettra de réduire de 1 point le taux des prélèvements obligatoires en France. Il passera de 45,3 % du PIB en 2022 à 44,4 % en 2027. Cette baisse de près de 1 point des prélèvements obligatoires laissera, malgré tout, la France dans le peloton de tête des pays développés pour ce qui est du niveau des taxes et impositions. C'est bien pour cela que nous ne voulons pas varier de ligne.

Le deuxième pilier de l'accélération du désendettement, au-delà de la croissance, est la sortie du bouclier énergétique dans les deux années à venir. Nous voulons sortir du bouclier sur le gaz et du bouclier sur l'électricité progressivement, mais totalement, d'ici début 2025.

Nous commencerons par le bouclier sur le gaz. Les prix en la matière sont revenus à ce qu'ils étaient avant la crise, à savoir 50 euros le mégawattheure. Il n'y a donc pas de raison de maintenir un bouclier sur les prix du gaz.

Nous sortirons progressivement du bouclier sur l'électricité : nous prendrons là plus de temps, car les prix de l'électricité restent encore élevés en France. Nous agirons progressivement d'ici au début de l'année 2025.

Le troisième pilier est le refroidissement de la dépense publique. La dépense publique, de l'État et des collectivités locales, augmentera moins vite que l'inflation.

Nous avons fait le choix de mettre l'accent sur la dépense de l'État. Une des modifications importantes par rapport au précédent programme de stabilité, c'est que le ralentissement des dépenses de l'État sera en moyenne, en volume par an, supérieur au ralentissement de la dépense des collectivités locales – il sera de 0,8 % pour l'État et de 0,5 % pour les collectivités locales. J'insiste sur ce point, parce que les collectivités locales s'étaient émues, à juste titre, que les exigences pour l'État étaient inférieures dans le précédent programme de stabilité, à 0,4 % pour l'État et 0,5 % pour les collectivités locales. Nous avons fait le choix, avec Gabriel Attal, de proposer un ralentissement plus marqué pour les dépenses de l'État.

Le refroidissement de la dépense s'accompagnera de deux éléments de méthode. La revue des dépenses publiques doit, tout d'abord, se conclure par des assises des finances publiques, qui auront lieu fin mai-début juin. Cela nous permettra d'identifier très clairement les dépenses inefficaces ou dont le rendement est insuffisant, afin d'économiser plusieurs milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2024. Le deuxième élément de méthode est la lettre de cadrage signée par la Première ministre, qui demande à chaque membre du Gouvernement d'identifier 5 % de marge de manœuvre sur son budget.

Ce nouveau programme de stabilité, vous le voyez, marque notre détermination à accélérer le désendettement, qui est un choix politique, au sens le plus noble du terme, de liberté. En effet, il ne peut pas y avoir de liberté pour une grande nation lorsque sa dette est excessive. Le désendettement est une affirmation de notre souveraineté et de notre indépendance.

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