Intervention de Benjamin Haddad

Réunion du jeudi 6 avril 2023 à 14h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenjamin Haddad, président :

Nous avons l'honneur d'accueillir cet après-midi M. Didier Migaud, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Monsieur le président, nous vous remercions de vous être rendu disponible rapidement pour répondre à nos questions. Notre commission d'enquête a, d'une part, pour objet d'identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour pouvoir s'implanter en France et le rôle des décideurs publics de l'époque, et d'émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d'intérêts. Elle s'attache, d'autre part, à évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle Uber en France ainsi que les réponses des décideurs publics.

Au cours de nos travaux, nous avons évoqué à maintes reprises la notion de conflit d'intérêts, le rôle des registres de déclarations des représentants d'intérêts et les contrôles réalisés par la HATVP. Votre audition intervient donc naturellement pour nous permettre de recueillir votre perception au sujet des révélations des Uber files.

Vous le savez, à partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d'investigation ont publié une série d'articles s'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise américaine datés de 2013 à 2017. Cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux autres pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personnes, réservé jusqu'alors aux taxis.

En particulier, les documents internes de l'entreprise Uber témoignent d'échanges entre celle-ci et les membres du cabinet du ministre de l'Économie de l'époque, M. Emmanuel Macron, entre octobre 2014 et mars 2016. Ces documents montrent que l'entreprise a pu leur exposer ses arguments et a tenté d'obtenir des modifications législatives favorables au développement de son modèle d'affaires.

Toutefois, les auditions que nous avons réalisées jusqu'à présent montrent que la stratégie d'Uber a échoué. D'une part, les « lois Thévenoud » du 1er octobre 2014 et « Grandguillaume » du 29 décembre 2016 ont été perçues par l'entreprise comme de nouveaux obstacles au développement de son activité. D'autre part, tous les directeurs d'administration que nous avons reçus ont affirmé n'avoir reçu aucune instruction de la part du ministre de l'Économie ou de son cabinet dans le cadre de la préparation ou de la réalisation de leurs enquêtes. Enfin, le « deal » – terme cité par le quotidien Le Monde – qu'aurait conclu Emmanuel Macron avec la société Uber, après en avoir parlé au ministre des Transports et au Premier ministre, avait pour objet de mettre fin au service UberPop le 3 juillet 2015 et d'alléger les exigences de formation des chauffeurs de VTC. En pratique, le service UberPop était illégal et avait été jugé comme tel en octobre 2014 mais l'entreprise a pu poursuivre cette activité compte tenu de l'effet suspensif de l'appel qu'elle avait formé. La décision de la cour d'appel confirmant celle du tribunal n'est intervenue qu'en décembre 2015, soit six mois après la suspension effective du service à la suite de l'intervention du ministre de l'Économie et de ses collègues.

La question principale que nous souhaitons vous poser est la suivante : le ministre de l'Économie et les membres de son cabinet, ainsi que les autres représentants du Gouvernement, en premier lieu le ministre de l'Intérieur, ont-ils outrepassé leurs pouvoirs ou se sont-ils trouvés en conflit d'intérêts en échangeant régulièrement avec Uber ainsi qu'avec d'autres entreprises de VTC ou de taxis, telle la G7, ou ont-ils tout simplement fait leur travail ?

Au-delà de cette question et compte tenu des faits précédemment évoqués, la commission d'enquête s'interroge sur le dispositif actuel d'encadrement des activités de lobbying des entreprises auprès des décideurs publics : membres du Gouvernement, membres de cabinets ministériels, parlementaires, agents du service public, etc. Est-il adapté et suffisant ? Quelles sont les recommandations de la HATVP à ce sujet ?

La commission se penche également sur les risques de conflit d'intérêts entre le secteur privé et les agents du service public ou les membres du Gouvernement. Considérez-vous que le dispositif actuel est équilibré et fonctionne correctement ou pensez-vous qu'il faudrait le renforcer ? La HATVP a-t-elle suffisamment de pouvoirs et de moyens pour intervenir rapidement et efficacement ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières interrogations et d'entamer les échanges sous la forme de questions et de réponses avec mes collègues, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

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