Pour ma part, je connaissais le chief economist d'Uber, lequel est un économiste académique. Ayant soutenu sa thèse à Harvard, il entendait bâtir des partenariats de recherche universitaire. Aussi avions-nous entamé une discussion qui n'avait finalement pas abouti. En effet, il faisait face à des contraintes en lien avec les relations publiques. De fait, il formulait des propositions à son entreprise, laquelle les acceptait ou non. En tout état de cause, nos contacts n'avaient pas abouti à la conduite d'une étude universitaire assise sur des données versées dans le domaine public. Nos échanges n'avaient pas non plus conduit à la réalisation d'une étude qui aurait pu être publiée, même sans le consentement d'Uber.
En octobre 2015, mon collègue David Thesmar est parti s'installer aux États-Unis, à Berkeley. In fine, nous avons renoué des contacts, qui ont fait émerger l'idée de mieux cerner les profils des chauffeurs Uber à l'aide d'un sondage. En parallèle, l'un des intérêts des plateformes numériques est de faciliter l'expérimentation. À titre de comparaison, il n'est pas possible de tester le métier de chauffeur de taxi, pour des raisons financières. À cette aune, l'idée était de montrer que les plateformes de type Uber permettaient à des individus de s'essayer à des postes ne nécessitant pas de prérequis importants en matière de formation. Il n'en demeure pas moins que ces métiers s'assortissent de degrés de productivité très variables : d'aucuns en tirent ainsi plus de revenus que d'autres.
Pour résumer, les économistes d'Uber étaient nos interlocuteurs et devaient composer avec des contraintes liées aux relations publiques. Ainsi, nous avons dû, à plusieurs reprises, rejeter des demandes car elles relevaient du lobbying. En complément, le contrat signé avec Uber n'intégrait aucun engagement sur le plan des relations publiques : il portait simplement sur la livraison d'une étude qui serait versée – ou non – dans le domaine public. En pratique, ladite étude a été rédigée avec l'un des scientifiques de la donnée d'Uber.
L'étude était en partie fondée sur l'intuition selon laquelle les chauffeurs Uber étaient souvent des jeunes issus des banlieues, économiquement défavorisés et n'ayant pas accès facilement à des emplois de qualité. Uber entendait ainsi objectiver cette perception, à travers la réalisation d'une étude auprès d'un échantillon représentatif de chauffeurs. En pratique, les chauffeurs qui s'inscrivent dans la durée sont ceux qui s'y retrouvent financièrement. Les autres s'en retirent. Cela atteste d'une forme d'entrepreneuriat spécifique permettant aux individus de s'essayer à une activité.
À mon sens, les conclusions de l'étude, intuitives, sont exactes. Elles reposent sur une méthodologie éprouvée et sur une déontologie, qui sont également utilisées dans le cadre de nos travaux universitaires.