Intervention de Nicolas Louvet

Réunion du jeudi 6 avril 2023 à 14h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Nicolas Louvet, fondateur et directeur de 6t-bureau de recherche dans le secteur de la mobilité :

Je suis directeur et fondateur du bureau de recherche 6-t. Créé en 2002, ce dernier s'appuie aujourd'hui sur une vingtaine de collaborateurs. Cabinet indépendant et expert de la mobilité, il travaille à la fois pour le secteur public et pour le secteur privé. Il réalise également des travaux sur ses fonds propres.

6-t n'analyse pas la mobilité par le prisme du temps et de la distance mais à l'aune de l'activité. En effet, les individus ne se déplacent pas pour le plaisir mais pour accéder à des activités, lesquelles « fabriquent » le territoire. De fait, 6-t travaille également sur les enjeux d'accessibilité territoriale. Dans ce cadre, il essaie de comprendre les logiques d'action qui sous-tendent le choix modal. Il étudie également les impacts et les « effets rebonds » que peuvent avoir les offres de transport sur les usages de la mobilité. Il s'intéresse ainsi à la fois à l'évolution des offres existantes, qui renvoie par exemple à la gratuité des transports collectifs ou à l'électrification du parc automobile et à l'apparition de nouvelles offres de transport (autopartage, covoiturage, vélos à assistance électrique, offres de micro mobilité en partage ou VTC).

En pratique, c'est le cabinet 6-t qui a approché Uber et non l'inverse. Comme il le fait depuis 20 ans, il identifie des phénomènes émergents en mobilité. Lorsqu'il n'existe pas de données publiques fiables et transparentes, il essaie de les construire. Pour cela, il est souvent nécessaire de convaincre les opérateurs de réaliser des études afin de créer lesdites données. C'est ce que le cabinet 6-t a fait en 2015 auprès d'Uber concernant les VTC.

Nos recherches et études, qu'elles aient été réalisées sur nos fonds propres ou financées par un client privé ou public, font l'objet de rapports, lesquels sont intégralement disponibles sur notre site internet. Les protocoles utilisés sont détaillés pour que les résultats puissent être évalués et discutés, voire remis en question. C'est la base du dialogue scientifique sain auquel nous sommes attachés. C'est également un principe qui nous permet de publier régulièrement des articles à partir de nos études, dans des revues scientifiques internationales à comité de lecture.

Les données analysées dans le cadre des études réalisées pour Uber n'ont pas été fournies par cette dernière. Elles ont été récoltées et hébergées par notre bureau de recherche, à partir d'une enquête élaborée par ses soins. Notre indépendance se traduit aussi par la neutralité des résultats de nos recherches et études. Dès 2015, nous avons par exemple montré qu'Uber était un concurrent des taxis : une étude « orientée » n'aurait certainement pas abouti à ce résultat. Les études que nous réalisons depuis plusieurs années sur les livreurs de plateformes, dont la plateforme Uber Eats, attestent également de notre indépendance. En effet, elles exposent très clairement les difficultés actuelles de ce secteur.

Ma présence devant vous ce jour vient probablement du fait que j'ai été cité dans un article publié par le quotidien Le Monde. J'avais reçu, le 1er juillet 2022, un mail de M. Sénécat, journaliste au journal Le Monde, m'informant qu'il réalisait une enquête et que mon nom pourrait être cité dans ses articles. À travers ce mail, il me proposait de répondre à un certain nombre de questions. Aussi l'avais-je appelé pour cela. Par téléphone, il ne m'avait pas, comme cela a pu être rapporté, donné lecture d'un courriel dont j'aurais été l'auteur. Il m'avait simplement demandé si j'avais pu écrire des courriers ou des courriels à Uber donnant à penser que cette dernière pourrait utiliser des études à des fins de lobbying. Je lui avais alors répondu que c'était proprement impossible et que le cabinet 6-t ne faisait pas de lobbying.

Le 6 juillet 2022, j'ai reçu un nouveau message de M. Sénécat, citant un courriel que j'aurais écrit le 10 février 2015. Bien évidemment, je ne me souvenais pas de ce dernier puisqu'il était ancien. J'ai alors fait le choix de lui répondre par courriel, en indiquant notamment : « Il s'agit d'un dialogue autour d'un nouveau service, en aucun cas de lobbying », ce qu'il a repris dans son article. En revanche, il n'a pas publié la suite de ma réponse, qui était la suivante : « Ce mail montre que l'on m'a demandé mon avis sur Uber et que je ne me suis pas prononcé dans l'attente des études qui devraient être menées. (…) Cela suggère que mes réponses et conseils sont motivés par des données, pas par des connivences ou des intérêts commerciaux supposés, que les études en question sont toutes publiques et utilisent un protocole transparent ».

À la fin de mon courriel, je lui avais demandé que mes réponses figurent dans son article. Si vous avez pris connaissance de ce dernier, publié quelques jours plus tard, vous conviendrez qu'il ne reprend pas l'entièreté de mes échanges avec le journaliste et qu'il ne fait pas référence au fait que nous avons eu deux échanges distincts, le premier par téléphone, le second par courriel.

Pour conclure, je tenais à vous dire qu'il faut mener un travail considérable – et nécessaire - pour convaincre des acteurs comme Uber de publier des études et de les rendre accessibles au plus grand nombre. Les collectivités bénéficient de ces efforts qui leur permettent d'accéder à des données coûteuses à produire et de prendre des décisions éclairées.

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