La mécanique, et c'est bien ce qu'il est intéressant de relever, est globale. Vous avez employé le terme « intermédiaire », qui me fait toujours un peu tiquer. Un intermédiaire est quelqu'un qui met en contact deux personnes et qui prend une commission au passage. C'est un marieur, en quelque sorte. Un lobbyiste est quelqu'un qui fait de la stratégie. Imaginons un client qui veut développer un produit ou une application. Il contacte un lobbyiste et lui demande quelle stratégie il faut mettre en place pour que, dans un délai court, moyen ou long, il puisse avoir un retour sur investissement. Comme je le dis souvent à mes clients, le lobbying n'est pas un luxe – comme on le considère trop souvent en France –, c'est un investissement qui attend un retour. Cette stratégie peut passer par la presse, mais aussi par les réseaux sociaux ou par des influenceurs – que le lapsus de tout à l'heure a déjà permis d'évoquer. J'ai la chance d'avoir des clients qui me sont fidèles depuis plusieurs années ; j'ai eu le temps d'analyser leur mode de fonctionnement et d'identifier qui opérait derrière eux. Lorsqu'on travaille depuis des années avec les mêmes entreprises, celles-ci finissent par ne plus pouvoir cacher leurs propres commanditaires. C'est un peu comme TikTok, qui n'a pas pu longtemps dissimuler ses relations avec la Chine. J'ai noué des liens assez forts avec ces entreprises et j'ai pu identifier les tenants et les aboutissants de leurs demandes.
Pour ce qui est des journalistes, ils connaissent en général – mais pas tous – le type de client que représente chaque lobbyiste. Ils savent à qui s'adresser pour obtenir des réactions, des interviews, des chiffres, des graphiques ou des statistiques. Prenons l'exemple des trottinettes : des agences de communication se sont évidemment battues pour montrer que, statistiquement, les touristes utilisent plus les trottinettes que les Parisiens, que cette utilisation permet de parcourir plus largement la ville et, ainsi, de développer l'économie. C'est aussi cela, le lobbying : construire un argumentaire pertinent.
Quant au pourcentage de reportages concernés par le lobbying, cela dépend des domaines. Concrètement, compte tenu de la détermination de la France et de la position du Quai d'Orsay, le risque de sujets téléguidés sur la guerre en Ukraine est probablement inexistant. Je parle bien entendu de ce qui est diffusé sur les chaînes mainstream, pas sur RT France. En revanche, pour des reportages dits lifestyle sur la consommation, l'alimentation ou le bien-être – l'industrie agroalimentaire mobilise des sommes affolantes pour la communication –, mais aussi sur les loisirs, les parcs d'attractions ou les films à gros budgets, le pourcentage de reportages achetés, parfois assortis de textes écrits à l'avance, est probablement de l'ordre de 70 à 80 %. Plus la problématique est politique, complexe et internationale, moins ce pourcentage est élevé.
Que M6 fasse la retape du dernier film de Disney ne va pas intéresser le législateur. La journaliste va donc se faire inviter un week-end à Disneyland Paris avec ses enfants ; elle aura également droit à l'avant-première du film, ce qui lui permettra, ensuite, de dire à quel point celui-ci est génial. C'est le même cas de figure lorsque, dans une émission de télévision, on vante les qualités d'un séjour aux Maldives, où le journaliste a été invité deux semaines, tous frais payés. Ce lobbying, qui passe sous les radars, se pratique aussi bien sur les chaînes privées que publiques.