Je vous remercie de me donner la possibilité de m'exprimer devant vous, dans le cadre de cette commission parlementaire. Votre saisine fait suite à trois enquêtes : celle de Forbidden Stories, celle de BFM TV et celle de la justice. Dans aucune de ces enquêtes on ne m'a donné la parole ; je n'ai pas pu m'exprimer, dire la vérité ni défendre mon honneur. Mon nom a été jeté en pâture dans la presse ; on m'a présenté comme un intermédiaire sulfureux, un mercenaire travaillant pour le compte d'États étrangers corrupteurs. Je vous le dis solennellement ici : je n'ai jamais travaillé pour le compte d'États étrangers ni corrompu qui que ce soit. Jamais.
Je souhaite rappeler très brièvement à cette commission d'enquête le parcours qui est le mien, avant de détailler les quelques points qui me paraissent très importants pour la suite de vos travaux. En 2010, j'étais expatrié en Syrie. Quand le conflit a éclaté, je suis devenu l'interlocuteur, sur place, de plus d'une trentaine de médias occidentaux, parmi lesquels la BBC, France 24, Sky News, Radio Canada, la RTBF et bien d'autres. J'étais à ce moment le seul à intervenir depuis le cœur même de Damas ; très vite, de simple témoin donnant une dizaine d'interviews chaque jour je suis devenu consultant, correspondant, puis chroniqueur. Pour Paris Match et La Repubblica, je publiais chaque semaine une chronique hebdomadaire dans laquelle je décrivais mon quotidien et celui des Syriens qui m'entouraient. Enfin, je suis devenu fixeur et j'ai couvert plus de quarante scènes d'attentat. J'ai été deux fois la cible de tirs, lors de la réalisation de mon portrait pour l'émission « Enquête exclusive », diffusée sur M6, et avec une équipe de France Info alors que nous nous rendions à Homs. À partir de 2012 j'ai consacré mon temps et mon énergie à accompagner des journalistes sur de nombreux théâtres de guerre, dans la banlieue de Damas, d'Alep ou de Homs. Jusqu'à ce que tout bascule et que je sois incarcéré pour avoir facilité la circulation de l'information et ainsi gêné le pouvoir en place.
Je ne cherche pas votre compassion et je ne ferai pas le récit de mon séjour carcéral. Je veux seulement que vous sachiez que je ne me suis jamais vraiment remis de cette incarcération ; j'y ai subi des traitements que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi.
À mon retour en France j'ai lancé mon activité de consultant en communication, puis de lobbying. Mon travail ressemblait beaucoup à celui que j'exerçais en Syrie auprès de grands reporters, c'est-à-dire aider mes clients à valoriser leur image. C'est dans ce cadre que je fournissais et que je fournis toujours, régulièrement, des informations à de nombreux journalistes. Nul n'ignore que les journalistes ont notamment pour sources des communicants et des lobbyistes, comme vous, mesdames et messieurs les députés. Il peut en effet arriver que des amendements ou des questions au Gouvernement vous soient suggérés par des lobbyistes ; il en est de même pour les rédactions des médias nationaux. C'est un mode de fonctionnement ancien et je ne connais aucun journaliste à Paris ou ailleurs en Europe qui ne s'informe pas auprès des lobbyistes, pas plus que je ne connais de lobbyiste qui n'informe pas de journalistes. Si cela déplaît – ce que je peux comprendre –, il faut créer un dispositif légal ou réglementaire qui encadre les sources des journalistes. Mais aujourd'hui, ce cadre n'existe pas. Je ne saurais porter la responsabilité des carences de la loi ni attirer seul les foudres qui visent un système que je n'ai pas mis en place.
Votre commission d'enquête s'intéresse aux ingérences étrangères. J'affirme que je n'ai jamais été rémunéré pour représenter un État étranger. J'affirme que je n'ai jamais travaillé pour d'autres clients que des entités commerciales ou des personnes physiques, françaises ou étrangères. Je n'ai jamais été le conseil d'un État ou d'un président. Et je ne connais ni Team Jorge ni Tal Hanan, dont j'ai découvert le nom dans la presse.
Mon travail est de faire en sorte que les informations qui me sont fournies par mes clients soient reprises et diffusées. Il s'agit de valoriser leur image, mais en aucun cas de corrompre qui que ce soit.
La question de l'influence des lobbyistes dans la presse a toujours existé. La France n'a pas attendu le retour de Jean-Pierre Duthion de Syrie pour s'y intéresser. Les informations qui circulent au sein des rédactions émanent d'acteurs très divers, qui peuvent avoir un intérêt à ce que telle ou telle information soit portée à la connaissance du public. Il me semble d'ailleurs que M. Rachid M'Barki a fait état, devant votre commission d'enquête, du nombre, des qualités et de la variété des sources qui détiennent ces informations. J'ai été l'une de ces sources, pour le compte de mes clients, mais je conteste catégoriquement avoir permis l'ingérence d'un État étranger.
Cette précision m'amène à aborder la question de la rémunération : je n'ai jamais rémunéré de journaliste et je n'ai jamais corrompu qui que ce soit. J'ai lu dans la presse que je me vanterais, en privé, de payer des élus et des journalistes : c'est faux. Ces propos sont calomnieux, toujours rapportés, et leurs auteurs se réfugient lâchement derrière l'anonymat pour les tenir. J'insiste sur ce fait : lorsqu'il s'agit de ma probité, les articles en question citent systématiquement des sources anonymes. Toutes les déclarations sont anonymisées, entre guillemets et au conditionnel. Ce sont des tissus de mensonges.
J'ai fourni en informations plusieurs dizaines de journalistes, dans tous les grands médias parisiens, sans jamais les payer, ni M. M'Barki ni aucun autre. D'ailleurs le rapport de force est plutôt inverse : ce sont les journalistes qui traitent leurs sources ; ce sont eux qui ont besoin de moi et non moi d'eux. Je ne vois pas pourquoi je rémunérerais quelqu'un alors que c'est lui qui a besoin d'informations !
J'ai écouté attentivement les propos que M. Marc-Olivier Fogiel a tenus devant votre commission ; il a dit quelque chose de très intéressant : l'enquête interne de BFM TV n'a pas permis de mettre en lumière des rémunérations des journalistes. Et pour cause ! Je le répète, je n'ai jamais payé un journaliste pour qu'il diffuse une information. Je ne me suis pas davantage livré à de l'ingérence pour le compte d'États étrangers. Là encore, MM. Fogiel et Métézeau l'ont dit. Ce qui est en cause dans ce que l'on appelle l'affaire M'Barki, c'est le processus de validation de l'information au sein de BFM TV. Voici en substance ce que qu'a dit M. Fogiel : « La raison pour laquelle nous avons débarqué M. Rachid M'Barki de l'antenne et de l'entreprise, ce n'est pas une question d'ingérence étrangère dans le cadre des journaux de la nuit, c'est parce qu'il a gravement manqué au processus de validation mis en place au sein de BFM TV. » Ce n'est pas faire offense à votre commission que de dire que je ne suis pas en charge de ce processus de validation interne à BFM TV. Et je dirais même que, avec tout le respect que je vous dois, cela ne me concerne ni de près ni de loin.
Je veux en revanche confirmer les déclarations de M. Rachid M'Barki lors de son audition : « Nos échanges et rencontres n'ont jamais été particulièrement réguliers. […] En tout état de cause, il n'a jamais été question ni de rémunération ni de quelque autre avantage que ce soit. » En outre, je n'ai jamais donné à M. M'Barki – comme j'ai pu l'entendre ou le lire – de textes clés en main. Il s'agissait uniquement d'informations qui, selon moi, pouvaient l'intéresser, lui et les nombreux autres journalistes auxquels je proposais des sujets. C'est ce que l'on appelle communément des kits presse – c'est-à-dire des éléments de langage et des images neutres –, que chaque député peut également recevoir de temps à autre. À chacun ensuite d'utiliser ou non ces éléments selon sa propre ligne éditoriale. Je souscris également à ce que M. M'Barki a dit concernant ces informations : toutes étaient vraies, vérifiables, vérifiées et avaient été évoquées au préalable dans d'autres pays de l'Union européenne, comme la Belgique ou le Luxembourg, ou encore en Suisse ou au Royaume-Uni.
J'aimerais préciser aussi qu'il faut distinguer la communication, le lobbying et la représentation d'intérêts au sens de la loi du 9 décembre 2016 sur la transparence, l'action contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2. Aux termes de ce texte, le représentant d'intérêts est celui qui fait de l'influence auprès d'élus ou des pouvoirs publics, ce n'est pas celui qui intervient auprès des médias et de la presse. Or mon métier est précisément de travailler avec la presse et les médias : je suis communicant et lobbyiste et je suis très rarement représentant d'intérêts. Je n'ai que peu de contacts avec les élus et les pouvoirs publics. On réunit toutes ces activités sous le seul et même terme de lobbyiste, ce qui est un abus de langage. Tout lobbyiste n'est pas représentant d'intérêts selon la loi ; il le devient uniquement s'il passe plus de la moitié de son temps à faire du lobbying auprès des pouvoirs publics ou s'il réalise plus de dix actions d'influence en six mois. C'est ce que précise le décret du 9 mai 2017 et ce n'est pas mon cas. On me reproche d'avoir fait de l'influence auprès des médias, ce qu'aucune loi n'interdit tant qu'il n'y a pas rémunération. Et, je le redis, je n'ai rémunéré personne.
Cela m'amène à aborder un dernier point qui, je n'en doute pas, suscitera des réactions. Cette commission d'enquête porte en partie sur des faits qui font l'objet d'une enquête concomitante, ouverte à la suite de la plainte déposée par BFM TV. J'ai, par respect pour l'institution, déféré à votre convocation, comme le prévoit l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Toutefois, je souhaite rappeler à votre commission qu'aux termes de ce même article, une commission parlementaire ne peut avoir pour objet des faits ayant donné lieu à une poursuite judiciaire toujours en cours. Vous me demandez de m'exprimer sur ces faits avant que je ne sois entendu dans le cadre judiciaire, donc en l'absence des règles qui définissent ce cadre. En particulier, je n'ai pas eu accès au dossier et je n'ai aucune garantie procédurale. Aussi, sur les conseils de mon avocat, je réserverai certaines réponses à l'instance judiciaire et répondrai à d'autres questions, celles qui ne concernent pas l'enquête en cours.
Pour le reste, j'ai choisi, en conscience, de déférer à votre convocation, de venir ici vous dire ma vérité, de répondre à vos questions et de laver mon honneur. Je l'ai fait car il me pèse d'être, dans la presse, assimilé à un mercenaire, à un corrupteur, à un agent d'un État étranger, ce qui est faux.
On m'a qualifié devant cette commission – et c'est vous-même, monsieur le président, qui l'avez fait – de « personnage truculent susceptible de porter atteinte à l'honorabilité de l'institution ». Je vous répondrai, monsieur le président, que ce n'est pas pour porter atteinte à votre honneur que je suis ici, mais pour rétablir le mien.
Je vais donc répondre à vos questions.