Intervention de Michel Sapin

Réunion du mercredi 5 avril 2023 à 18h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Michel Sapin, ancien ministre :

Je commencerai par répondre à votre seconde question. J'ai le sentiment que le dispositif concernant les collectivités territoriales et plus généralement les agents publics est suffisamment robuste. Cela ne signifie pas qu'il n'est pas perfectible. Depuis la première loi, je constate que l'on a plutôt légèrement allégé les contraintes, en particulier les seuils à partir desquels il faut mettre en place des procédures de marché public. Cela a été le cas pendant la crise du covid et c'est compréhensible. Il n'est pas toujours facile de réaliser l'arbitrage entre une règle suffisamment stricte pour éviter les dérapages et, malgré tout, une facilité dans l'administration quotidienne des collectivités ou de l'État. On a vu remonter les seuils parfois au-delà de ce que j'aurais souhaité, soit par modification législative, soit par décret. On peut avoir le sentiment de faire face à des injonctions contradictoires mais il faut faire attention à ne pas céder à des arguments de soi-disant bon sens selon lesquels il n'y aurait pas de risque. Par définition, les risques existent, y compris parfois pour de petites sommes.

La volonté de lutter contre la corruption, dont je ne doute pas qu'elle est partagée, doit être sans cesse rappelée. Nous constatons parfois quelques cas de corruption dans les services techniques de certaines collectivités territoriales. Au niveau local comme au niveau le plus élevé de l'État, la corruption est insupportable du point de vue moral, mais également du point de vue économique.

S'agissant des pouvoirs de l'AFA sur les collectivités territoriales, en toute connaissance de cause, dans la loi Sapin 2, nous avions fait la différence non pas en termes de compétences, mais en termes de moyens de coercition et de sanction. Il serait souhaitable d'unifier le dispositif pour renforcer ses capacités.

Certains ont considéré, notamment dans le rapport et dans la proposition de loi de M. Gauvain, qu'il fallait enlever à l'AFA le contrôle des collectivités territoriales et des administrations. Je n'y étais pas favorable, mais des arguments allaient en ce sens. Le principal était le suivant : les entreprises françaises, jusqu'à la loi Sapin, n'avaient aucune obligation de prévention. L'État et les collectivités territoriales ont au contraire de telles obligations, en particulier de transparence des marchés publics. Pour eux, il existait déjà des autorités de vérification et des peines sont prévues.

Ce dispositif n'existait pas au niveau des entreprises. L'idée était de réaliser une forme de remise à niveau. Objectivement, les entreprises se sont mises à niveau et ont réalisé un travail extraordinaire en très peu de temps. Si l'AFA n'a saisi la commission des sanctions qu'à deux reprises, c'est que le caractère pédagogique des mécanismes d'inspection a porté ses fruits.

Au même moment, j'ai trouvé que la pression sur l'administration pour bien mettre en œuvre les dispositifs existants baissait en intensité. La mission menée par les députés Gauvain et Marleix l'a souligné à juste titre. Il s'agissait davantage d'un problème ambiant, de volonté politique, que de manque d'outils.

S'agissant du répertoire numérique des représentants d'intérêts, je rappelle que la CJIP a été introduite par un amendement parlementaire, qui était fort bien rédigé – je ne dirai pas que j'étais totalement étranger à la conception du dispositif, mais j'avais été battu dans un arbitrage, la Chancellerie considérant que ce n'était pas un dispositif « à la française »... Le sujet le plus compliqué a été celui du répertoire numérique des représentants d'intérêts, non parce qu'ils se trouvaient ainsi identifiés, mais parce qu'ils étaient obligés de décrire le sujet et les personnes qui étaient en face d'eux. C'est sur ce point qu'ils ont été le plus réticents à davantage de transparence – et pour de bonnes raisons : en citant le fonctionnaire, le directeur de cabinet ou le directeur général qui est en face de vous, vous créez une difficulté.

Cette partie de la loi qui concerne la création du répertoire est entrée en application à la parution du décret le 4 mai 2017, alors que la passation de pouvoir entre les deux Présidents de la République n'avait pas encore eu lieu. J'ai eu beaucoup de mal à faire en sorte que le décret sorte effectivement. Dans le cas contraire, la loi ne s'appliquait pas. Je le dis car ce décret fait souvent l'objet de critiques, que je peux partager, sur le fait qu'il ne demande pas suffisamment de précisions.

La Haute Autorité d'hier et d'aujourd'hui souhaite que ce décret soit complété. Une mission d'information parlementaire menée par M. Gilles Le Gendre et Mme Cécile Untermaier est en cours sur ce sujet. J'ai été moi-même auditionné et je pense qu'il est possible de compléter ce texte.

Votre question est assez particulière mais je la comprends, surtout dans le cadre de votre mission. Comment un lobby étranger pourrait-il agir auprès d'une autorité française sans passer par le territoire français et par des organismes implantés en France ? Elle peut certes activer des mécanismes d'influence, mais qui n'ont pas de lien avec le répertoire numérique et ne relèvent pas de la loi.

Aujourd'hui, une entreprise étrangère peut exercer une forme de lobbying au sens strict du terme auprès des administrations et des parlementaires de manière totalement transparente, en le déclarant au registre. Mais obliger à déclarer dans un registre une influence totalement secrète et illégale paraît très compliqué et même contradictoire. Je ne dis pas qu'il n'existe pas des cas de cette nature. Pour autant le lobbyiste étranger est déjà obligé de s'inscrire sur le registre. S'il ne s'inscrit pas, c'est qu'il a d'autres intentions, elles-mêmes condamnables et pour lesquelles il pourrait être poursuivi. Souvent ce sont des cabinets de lobbying ayant pignon sur rue qui sont payés par ces entreprises pour faire valoir un certain nombre d'arguments. Le représentant d'intérêts doit déclarer pour quelle entreprise il a agi et – sans doute globalement – pour quel budget. Ce dernier point mérite d'être amélioré et est étudié par vos collègues dans des conditions qui me paraissent tout à fait légitimes.

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