Intervention de Michel Sapin

Réunion du mercredi 5 avril 2023 à 18h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Michel Sapin, ancien ministre :

Je ne peux que partager vos propos. Ce fonctionnement pouvait être choquant à l'époque comme il peut l'être encore aujourd'hui. Les cas de corruptions surviennent souvent dans les sociétés les plus fragiles. Elles étaient corrompues et peuvent l'être encore aujourd'hui à l'initiative de telle ou telle puissance économique ou entreprise, avec parfois l'aval de l'État ou des États concernés. Vous l'avez compris, c'est pour cette raison que je dis que nous n'avons pas terminé notre travail. Nous étions moins sensibles à l'époque à la question de la corruption à l'extérieur.

J'entends encore beaucoup dire : « Chez eux, c'est culturel, c'est comme cela. Certes, c'est immoral, mais si on ne le fait pas, d'autres le font. » Certaines entreprises regrettent de ne plus être présentes dans certains pays en raison de la loi Sapin. Elles déplorent que les autres entreprises présentes n'aient pas modifié les habitudes du pays en question. Tout le monde est contre la corruption. Je n'ai jamais eu d'adversaire sur ce sujet. En revanche, j'ai souvent entendu : « Je suis contre la corruption, mais… »

Le rapport de l'OCDE sur la France en 2014 mettait en évidence une situation scandaleuse, il faut l'admettre. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai réagi en essayant de trouver les meilleurs outils permettant d'exercer la poursuite de ces interdictions.

Il n'y a pas de culture, il n'y a pas de religion qui dise que la corruption est une bonne chose. C'est faux. C'est une facilité de langage de nos propres entreprises pour excuser les corruptions qui sont en tout état de cause inexcusables.

La corruption des autres n'est devenue scandaleuse que très tardivement. Corrompre les siens, c'était scandaleux, alors que corrompre le prince d'à côté, ce n'était pas scandaleux s'il s'agissait de servir les intérêts de l'État – relisez Démosthène ou Cicéron. C'est la raison pour laquelle cette question est tout de même très nouvelle et n'est pas forcément encore dans toutes les têtes.

Certaines CJIP sont très intéressantes. La CJIP d'Airbus, par exemple, est un véritable guide. Elle décrit toutes les méthodes possibles et imaginables de corruption mises en place par Airbus les années précédentes. Ce ne sont pas des services de police américains ou britanniques qui ont repéré les faits. C'est Airbus elle-même, après avoir fait le ménage dans sa direction, qui est venue voir les autorités en expliquant qu'elle souhaitait régler le problème et mettre en place des dispositifs. C'était une manière intelligente de se mettre à l'abri du seul bras armé américain.

Dans le dispositif américain et maintenant dans le dispositif français, il existe le monitoring. Une entreprise, après s'être dénoncée, doit prouver qu'elle a mis en place tous les dispositifs permettant d'éviter que la corruption ne se reproduise. Avant la loi Sapin 2, lorsqu'une entreprise était poursuivie et punie, il existait aux États-Unis un dispositif de monitoring. Il s'agissait d'un cabinet américain ou parfois français qui ne rendait compte qu'à l'autorité américaine. En rendant compte, il était susceptible de passer un certain nombre d'informations qui pouvaient mettre en danger des secrets de fabrication ou des secrets commerciaux. Le dispositif qui a été mis en place et qui est parfaitement respecté par les Américains est le suivant : le monitoring est décidé par la CJIP et il est confié à l'Agence française anticorruption (AFA), dont le rôle est de vérifier que les entreprises ont bien mis en place les dispositifs de prévention de la corruption. Je passe sur la technicité de l'article 17 de la loi Sapin et ses huit obligations.

Le PNF pendant l'enquête, puis l'AFA pour le monitoring, vont trier l'ensemble des informations et rapporter à l'administration américaine si les dispositifs mis en place sont suffisants ou pas. C'est une forme de protection par rapport à la loi dite « de blocage » qui fonctionnait très mal et prévoyait de peines relativement faibles.

Un cas peut vous intéresser, car il représente une forme d'ingérence. Il s'agit de l'Iran et de l'accord dit « nucléaire ». Unilatéralement, les États-Unis et le président Trump, décident de rétablir les sanctions. L'entreprise qui continue de travailler avec l'Iran est en situation parfaitement régulière par rapport à la loi française ou la loi internationale. En revanche, elle est en contradiction avec la décision américaine. Si vous êtes Total, vous comparez le chiffre d'affaires que vous faites dans le golfe du Mexique et celui que représente l'Iran… et vous fermez vos activités en Iran. C'est une forme, très subtile, d'ingérence par la puissance qui a été extrêmement efficace. Même après la levée des sanctions, aucune grande banque française n'a souhaité financer la reprise du commerce avec l'Iran, craignant que les États-Unis ne changent d'avis. La seule méthode que la France ait trouvée pour se défendre, c'est d'éviter un monitoring aux mains des autorités américaines.

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