En tant que président de la LDH, je précise à titre liminaire que mon intervention se situe dans le cadre du respect des textes, en l'occurrence la Convention européenne des droits de l'Homme et la Déclaration universelle des droits de l'Homme dont vous connaissez parfaitement les dispositions – en particulier le droit au procès équitable ou l'absence de traitement dégradant. Je rappelle aussi à ce stade le droit à la présomption d'innocence. Dans l'affaire Yvan Colonna, on se rappellera tout de même les déclarations de M. Sarkozy qui, d'emblée, l'avait présenté comme étant l'assassin du préfet Érignac, ce qui n'était certainement pas tout à fait conforme au respect de ce principe.
La Fédération internationale des droits de l'Homme – dont j'étais président au moment de l'assassinat du préfet Érignac – a suivi de très près l'évolution du procès. Nous avons suivi les procès de 2007 et 2009. En 2009, une mission avait été diligentée qui se composait de trois membres dont un haut magistrat français, Roland Kessous, et d'un avocat belge assez connu, Éric Gillet. De nombreux doutes et interrogations avaient alors émergé, et des incohérences et zones d'ombre avaient été constatées. Je citerai quelques passages du rapport de la mission : « En présence d'enquêtes de police menées en application d'une législation d'exception, d'un accusé qui a choisi de politiser son procès et de quitter l'audience, d'une défense qui a tout fait pour déstabiliser un président entouré de magistrats peu au fait des procédures d'assises, sans soutien évident du ministère public, d'accusations rétractées et d'une absence de preuves matérielles, la décision finale rendue conformément à la loi puisque les juges avaient pour seule obligation de se prononcer en se fondant sur leur intime conviction a mis un terme aux poursuites […]. Cette vérité judiciaire n'a cependant pas mis fin aux controverses soulevées par ce procès […]. À l'issue de six semaines de procès et au vu des éléments contenus dans le présent rapport, la question du caractère équitable de ce procès est clairement posée ».
J'ai tenu à faire ce rappel car tout ce qui a suivi est tout de même indissociable de la procédure menée à l'encontre d'Yvan Colonna. Tout est hors normes depuis le début. J'évoquerai au passage l'aspect singulier touchant ceux qui avaient été présentés comme les commanditaires de l'assassinat du préfet Érignac : Jean Castela et Vincent Andriuzzi, condamnés initialement à trente années de réclusion pour finalement être acquittés parce que tout paraissait relever d'un montage. Je n'évoquerai pas – c'est bien connu – les difficultés existant entre les divers services qui sont intervenus. Tout cela pose d'emblée un problème.
J'intervertirai peut-être les deux questions que vous souhaitez soulever, monsieur le rapporteur, même si elles se conjuguent. Je répondrai d'emblée à l'une de celles figurant dans le questionnaire que vous m'avez adressé concernant la situation d'Yvan Colonna. Vous demandiez si j'avais reçu des témoignages issus de la maison centrale d'Arles avant l'incident de mars 2022 qui permettraient d'en expliquer les ressorts. Je précise d'emblée que la LDH en tant que telle, plus exactement sa section corse, qui était en lien avec la famille d'Yvan Colonna, n'avait pas d'information particulière laissant penser que l'on aboutirait à cette situation.
Nous retenons trois points dans les conclusions du rapport de l'Inspection générale de la justice (IGJ) sur le fonctionnement de la maison centrale d'Arles, qui rejoignent le constat que peut faire la LDH : le défaut de vigilance du surveillant « activités », qui n'était pas présent pour des raisons assez inexplicables ; la mauvaise exploitation des images de vidéo-surveillance, qui constitue une faille importante ; enfin, un point sur lequel j'insisterai concernant l'agresseur, à savoir l'absence à plusieurs reprises d'orientation de Franck Elong Abé en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER), alors que tout son parcours semblait justifier qu'il y soit affecté.
De nombreuses demandes de placement en QER avaient pourtant été formulées. Il nous paraît important de souligner la différence de traitement, qui semble anormale, entre cet agresseur sous statut de DPS – et qui disposait semble-t-il d'une relative liberté de circulation alors que sa dangerosité démontrée aurait justifié un placement en QER – et Yvan Colonna qui s'est toujours comporté – il faut le souligner à nouveau – en détenu exemplaire mais s'est trouvé en quelque sorte gardé en prison avec une stratégie de « DPS à vie ». L'agresseur devait en outre quitter la prison d'Arles quelque temps plus tard.
Ces dysfonctionnements, du point de vue de la LDH qui cherche à apprécier factuellement les situations pour se prononcer ensuite sur le respect des droits, ne peuvent être considérés seulement comme tels. Selon nous, une stratégie hors normes de punition, de châtiment, de vengeance, relevant de la raison d'État, a pesé sur Yvan Colonna, qui s'est particulièrement traduite au moment de l'agression qui a conduit à son décès.
Je passerai rapidement sur ma réaction à la suite de l'agression, faite de stupéfaction et d'inquiétude. À l'échelle nationale, et en particulier en Corse, des réactions parfaitement compréhensibles de révolte ont eu lieu face au sort réservé à Yvan Colonna alors que la levée du statut de DPS était demandée depuis longtemps, de même que la possibilité de procéder à son rapprochement au titre d'un minimum de respect de la vie familiale – la même demande était exprimée pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Tout cela a été refusé. La LDH a cependant recherché l'apaisement. Au lieu de contribuer à envenimer les choses, nous avons demandé que le processus de dialogue politique reprenne. Ce dernier est indispensable et indissociable du sort réservé aux détenus issus du commando dit « Érignac ».
S'agissant du statut de DPS qui a pénalisé Yvan Colonna – mais aussi, pendant longtemps, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri – j'observe, si je ne me trompe pas, que de manière choquante et assez lamentable, celui-ci a été levé quelques jours après l'agression dont il a été victime, quand il était déjà trop tard, ce qui n'est guère brillant. Dans son rapport de 2020, la Cour européenne des droits de l'Homme relevait qu'entre 1959 et 2020 elle avait condamné la France à 759 reprises, dont 566 sur le fondement du droit à un procès équitable et 45 pour torture et traitements dégradants. Ces chiffres sont révélateurs, et à situer dans le contexte.
Avant d'aborder directement le statut de DPS, se pose la question de l'intégrité physique des détenus au sein des établissements pénitentiaires. Il se trouve que j'ai été membre plusieurs années – je ne le suis plus depuis que je préside la LDH – de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), laquelle a émis le 24 mars 2022 un avis très sévère et consternant sur ces questions de conditions de détention indignes. Elle n'est pas la seule ; le Contrôleur général des lieux de privation de liberté fait les mêmes constats, surtout depuis que Mme Dominique Simonnot occupe cette fonction. À l'occasion de la réunion du comité national de la LDH, elle a livré une description apocalyptique des conditions de détention actuelles, quasiment moyenâgeuses, du fait notamment de la surpopulation carcérale. L'avis de la CNCDH évoque l'absence de respect du droit à la dignité et du droit à l'intégrité physique et psychique des détenus, avec beaucoup de violences interpersonnelles, entre détenus, ou bien entre les détenus et les gardiens de l'administration pénitentiaire. Les conditions d'hygiène et de salubrité sont indignes et les droits fondamentaux des personnes ne sont pas respectés, qu'il s'agisse du droit à des soins de qualité et en temps voulu, d'un accès à la justice pour disposer de moyens de contestation réels – et non virtuels – des mesures méritant de l'être, ou des possibilités d'activités créatives et éducatives ou de travail pour faciliter la réinsertion. S'y ajoute enfin cette surpopulation carcérale absolument dramatique.
Je ne reviendrai pas sur les violences au sein des établissements pénitentiaires du fait de leurs conditions de fonctionnement sont dénoncées par d'autres que nous.
Je souhaiterais évoquer le maintien en détention avec acharnement, dirais-je, à l'encontre des détenus que nous qualifierons de politiques, à savoir les détenus corses et basques. On constate de la part du parquet national antiterroriste (PNAT) un acharnement qui relève de la raison d'État, visant à maintenir prisonniers presque indéfiniment des personnes au titre de la vengeance d'État. Il est nécessaire de modifier la législation à cet égard, sachant que la question est politique et ne sera pas résolue uniquement par des moyens juridiques. J'aborderai ultérieurement la question de la gestion des détenus radicalisés en France.
S'agissant du parcours carcéral et du statut de DPS d'Yvan Colonna, il est évident que le respect du droit à la vie familiale a été totalement bafoué. Cela concerne d'autres détenus, notamment Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, même si ceux-ci ont enfin obtenu, par des décisions judiciaires récentes, la possibilité de mise en œuvre d'une libération conditionnelle au-delà de la période de sûreté expirée depuis des années. Mais jusqu'alors, le fait de les maintenir contre vents et marées en dehors du territoire corse, en dépit de toutes les demandes, à titre de double peine et de punition supplémentaire, est absolument scandaleux. Nous l'avons dénoncé. Je suis intervenu récemment en tant qu'avocat pour les détenus basques, également tenus loin de leur lieu de vie familiale, ce qui procédait de la même logique inadmissible. J'évoquerai aussi la tentative d'évasion dont Yvan Colonna avait été suspecté, démentie par mon confrère et ami Patrice Spinosi qui avait totalement démonté cette accusation. Yvan Colonna avait alors été transféré à Réau avant d'être finalement ramené à Arles... Tout ce parcours témoigne d'une vengeance moyenâgeuse – je crois que l'on peut utiliser cette expression. Tel est le regard que l'on peut porter.
Nous reviendrons peut-être sur le statut de DPS – que j'ai déjà évoqué – à travers vos questions sur la façon d'améliorer la situation.
Sur les détenus radicalisés, j'ai été, en tant que membre de la CNCDH, rapporteur de deux avis qui nous ont amenés à auditionner de nombreuses personnes, notamment du ministère de la Justice, sur la question de la radicalisation. Les avis concernaient, pour l'un, les enfants détenus dans les camps du nord-est syrien –nous avons évoqué la situation des mères susceptibles d'être poursuivies ; pour l'autre, les Français partis faire le djihad et condamnés à mort par les tribunaux irakiens, pour lesquels était demandé le retour en France afin qu'ils soient jugés dans ce pays. Se posait alors la question de savoir comment traiter ces hommes et femmes du point de vue de la déradicalisation. Des études ont été produites à ce sujet. Le traitement à la française a été balbutiant, mais s'est amélioré depuis quelques années. Un représentant du ministère de la Justice nous a expliqué que le traitement de telles personnes ne se limite plus à la seule recherche de la dangerosité ; désormais, il s'agit également de savoir si la radicalisation est idéologique ou terroriste, en essayant de mieux dissocier les deux notions, ce qui n'était pas le cas pendant bien longtemps, conduisant à beaucoup d'erreurs d'analyse. En effet, les deux approches peuvent certes être complémentaires, mais sont souvent dissociables. Aujourd'hui, il n'y a pas de satisfecit mais on constate une amélioration. Un certain nombre de détenus condamnés à ce titre commencent à sortir de prison et, fort heureusement, nous n'avons jusqu'à présent pas observé, à l'occasion de ces sorties, de nouveaux passages à l'acte de même nature que ceux à l'origine des condamnations.