Vous éclairer sur un plaidoyer aussi contradictoire constituerait un exploit qui excèderait mes capacités intellectuelles. Soit je suis pour la libération des détenus, notamment des plus dangereux, soit je suis pour le maintien du statut de M. Colonna ; vous ne pouvez pas plaider les deux simultanément. Mais vous n'en êtes pas à une contradiction près.
Vous me donnez néanmoins une excellente occasion d'expliquer ma politique en matière de quartiers dédiés, dans laquelle il n'y a aucune contradiction. À vous entendre, dès mon arrivée en 2012, je suis responsable de l'état des prisons, de la surpopulation, de la criminalité, des récidives et de tous les maux de la société. Vous m'imputez même l'évasion d'un détenu à l'occasion d'un événement qui a lieu depuis près d'une dizaine d'années.
À mon arrivée, donc, je l'ai dit, nous n'avions pas d'outil, pas de programme de formation ni de formateur. Lorsqu'en septembre 2012, le directeur de la prison de Fresnes décide de regrouper les détenus qui ont fait l'objet d'une condamnation pour association de malfaiteurs en vue de la commission d'actes de terrorisme, c'est pour des raisons de gestion de population carcérale. Au même moment, je mobilisais des sachants, des institutions et les établissements de formation, comme l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) – excellente école qui a formé 1 500 surveillants la première année – et l'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ).
À peu près au même moment aussi, à la fin de l'année 2012, je lance un appel à candidatures pour une recherche-action visant à déterminer la meilleure solution concernant ces détenus – personne ne sait alors ce qu'il convient de faire. Elle est remportée par l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT), alors présidée par Guillaume Denoix de Saint Marc. Cette mission, qui commence concrètement en janvier 2015, débouche sur la création de quatre quartiers dédiés en milieu fermé, d'un autre en milieu ouvert et d'une opération judiciaire pour la protection judiciaire de la jeunesse.
Ces quartiers se situent à Fresnes, Lille-Annœullin, Osny et Fleury-Mérogis. La prise en charge est organisée avec l'AFVT et avec l'appui des spécialistes dont je parlais tout à l'heure, de manière à repérer les signaux faibles, à étudier les comportements et à émettre des propositions pour adopter la meilleure gestion. Tant mieux pour celles et ceux qui savaient exactement ce qu'il fallait faire au moment où nous découvrons ces phénomènes d'endoctrinement !
Pour ma part, je mets en place une série d'actions pour lutter contre l'endoctrinement. Accompagnée d'agents de l'administration pénitentiaire, je vais au Royaume-Uni, qui a des antécédents en matière de gestion d'une population carcérale à caractère terroriste. Nous allons aussi voir en Allemagne et en Belgique les réponses que ces pays apportent à la question : faut-il isoler ou disperser les individus ? Compte tenu de leur faible nombre en France en 2012 et des observations que nous avions pu faire à l'étranger, la dispersion était plutôt recommandée, y compris par l'administration pénitentiaire, de façon à éviter toute possibilité d'endoctrinement des autres détenus. En Angleterre, nous étudions en particulier le programme « Pathfinder » dont l'objet est de mutualiser et coordonner les actions en la matière, ainsi que le dispositif « Ibaanah », qui dispense un enseignement théologique aux détenus, mais que nous n'avons pas retenu.
Ces déplacements prouvent que ce qui est mis en place dans nos établissements pénitentiaires est ce qui se fait de mieux dans la situation d'après les attentats de 2015. Mais, par la suite, il y a eu aussi les instructions, circulaires et dépêches que j'ai publiées, portant des mesures précises concernant les prévenus et détenus liés à des infractions terroristes.