Ce sont là des sujets lourds, qui appellent à la fois éventuellement des modifications législatives, des consolidations réglementaires et des indications de doctrines.
À ma connaissance, la source du statut de DPS est réglementaire – d'abord inscrit dans le code de procédure pénale, il est maintenant régi par le code pénitentiaire. À ce titre, le ministre de la Justice dispose d'une autorité qui s'exprime à travers une instruction. Il va de soi que le ministre n'étudie pas, n'instruit pas, n'examine pas, ne se prononce pas sur chacun des détenus ou prévenus sous statut de DPS.
Sous réserve de vérification, la commission est interrégionale et doit se tenir au moins une fois par an. Lorsque je suis arrivée, j'ai pris une circulaire abrogeant la précédente, qui datait de 2007, par laquelle j'ai notamment introduit la procédure contradictoire : la composition de la commission est connue et figure dans l'instruction ; la personne concernée peut présenter des observations écrites ou orales, et être assistée de son conseil. Ma préoccupation était que, compte tenu de sa base juridique, ce statut fait grief, puisqu'il peut conduire à une limitation de liberté excédant celle décidée par le jugement de condamnation. Je me suis donc appuyée sur la jurisprudence du Conseil d'État et celle de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour rédiger cette circulaire – ce sont plutôt les services et le cabinet qui l'ont rédigée sous mon autorité.
S'agissant de M. Colonna, j'ai été informée une seule fois, en juillet 2013, de son maintien dans le répertoire DPS, en raison d'une suspicion de préparation d'évasion, confirmée par plusieurs sources différentes – cette audition étant publique, je ne préciserai pas lesquelles, étant entendu que les membres de la commission d'enquête pourront avoir accès à ces informations. J'ai, en même temps, été informée de son prochain transfert du centre pénitentiaire d'Arles vers celui de Réau, choix motivé par le fait qu'il y avait déjà séjourné pendant sa détention préventive et par la facilité qu'offrait l'Île-de-France pour les visites familiales. C'est la seule fois où m'est remontée une décision administrative concernant M. Colonna.
La question que soulève le statut de DPS est de savoir si l'inscription au répertoire, ou la radiation, sur laquelle la commission statue chaque année, doit relever d'une autorité administrative ou d'une autorité judiciaire. Pour ma part, je considère que, dans un État de droit, toute restriction de liberté doit relever d'une autorité judiciaire. Mais il s'agit objectivement aussi de la gestion de la détention, de son encadrement au quotidien par les surveillants et la direction de la détention. C'est aussi à eux d'apprécier les difficultés éventuelles que présente un détenu ou d'un prévenu.
Existe-t-il un critère politique ? Ce terme ne me semble pas le plus adéquat, car il ne serait pas concevable, dans un État de droit, que l'on gère les libertés sur un fondement politique. Ce qui s'en approcherait le plus serait l'impact plus ou moins fort que pourrait avoir l'évasion d'un détenu, en fonction des actes qui ont fait l'objet de la condamnation ou du profil de la personne. La prise en considération de l'émoi qui serait suscité pourrait s'apparenter à un critère politique au sens noble du terme, c'est-à-dire à la façon dont nous qui vivons en société percevons des actes, des comportements, des personnalités, des situations. C'est ainsi que je pourrais comprendre votre question concernant une éventuelle gestion politique.
S'agissant des revendications de rapprochement, elles me paraissent tout à fait légitimes, car je pense que les liens familiaux doivent être maintenus lorsqu'une personne est détenue. Ces revendications sont exprimées aussi bien par les détenus corses que par les détenus basques – même si je sais qu'ils ne souhaitent pas être assimilés, leurs situations étant d'ailleurs objectivement différentes.
Longtemps, les détenus basques ont eu des comportements « collectifs », au sens où les revendications et les demandes étaient portées ensemble. J'ai fait savoir que nous étions dans un État de droit ayant supprimé les procédures d'exception, notamment la Cour de sûreté de l'État et les procédures afférentes, en conséquence de quoi les dossiers étaient traités individuellement. Dès qu'ils ont introduit des demandes individuelles, j'ai rappelé, par écrit, qu'elles relevaient du droit commun.
Quant aux détenus corses, j'ai été saisie de la question par des élus corses dès mon arrivée à la Chancellerie. Il y a plusieurs catégories de détenus. Quelque 200 personnes originaires de Corse sont dans des établissements pénitentiaires, et la moitié au moins se retrouve à Bastia, à Ajaccio ou à Casabianda-Aléria. La question du droit commun a été abordée, et je l'ai confirmée ; celle du rapprochement pour maintenir les liens familiaux, également. Je me souviens d'avoir régulièrement informé les élus, qui ont toute légitimité à avoir connaissance de ce type de décision, des transferts qui avaient eu lieu entre le continent et la Corse – ma dernière démarche en ce sens concernait une soixantaine de transfèrements.
Pour ce qui concerne M. Colonna, durant la période où j'étais à la Chancellerie, il réunissait trois critères empêchant le rapprochement : par ordre de gravité, la réclusion criminelle à perpétuité (RCP), la période de sûreté valant encore pour plusieurs années, son statut de DPS. J'ai lu que le statut de DPS était considéré comme le critère d'empêchement et que des travaux avaient été entrepris à la prison de Borgo pour y permettre le transfert de prisonniers sous ce statut. En tout cas, la période de sûreté est un obstacle rédhibitoire, plus important peut-être que celui du statut de DPS.