Dans son questionnaire, M. le rapporteur m'interroge sur ma réaction lors de l'annonce de la mort – de l'assassinat, semble-t-il – de M. Yvan Colonna. La décence commande que seuls les sentiments, la subjectivité et les émotions des familles Colonna et Érignac méritent considération. Je parlerai seulement de ce que cette annonce a fait remonter en moi : le double choc, ressenti en 1998, d'abord de l'assassinat du préfet Claude Érignac puis de la manifestation massive de protestation qui a suivi. Je me souviens d'avoir été surprise par cette manifestation : j'ai réalisé que l'on pouvait avoir des préjugés, des idées préconçues, par méconnaissance. À cette époque, ce que je savais de la Corse était essentiellement lié à l'histoire – Pascal Paoli, Bonaparte, les exploits des Corses lors de la deuxième guerre mondiale – et, de façon plus contemporaine, au sujet foncier et au volet particulier de l'aménagement du littoral. Tout le reste se rapportait aux feuilletons au fil de l'actualité, aux faits divers plus ou moins graves, d'où ma surprise à la vue des images de cette immense manifestation de protestation.
Je me trouvais en Corse en 2003, au moment du référendum sur la réforme du statut du territoire et de l'annonce, avec ses mots particuliers, par le ministre de l'Intérieur de l'époque, de l'arrestation d'Yvan Colonna. Je me souviens parfaitement de l'ambiance devenue brusquement pesante et du résultat de ce référendum. Je sais à quel point tous ces événements sont liés. Après l'assassinat du préfet Érignac et la manifestation, le feuilleton de faits divers a repris assez vite, notamment avec l'affaire des paillotes, et les clichés ont continué d'être alimentés. Je fais ce rappel pour signifier que je sais, par mes engagements politiques, combien ces événements sont imbriqués et pèsent sur le climat politique en Corse. Lors de la dernière cérémonie en hommage au préfet Claude Érignac, des déclarations ont été faites : j'ai lu dans la presse, y compris la presse corse, qu'il y avait eu un esprit de concorde et de responsabilité.
En tant qu'ancienne garde des Sceaux, je dirai que le décès d'un détenu placé sous l'autorité et la surveillance de l'État est un fait extrêmement grave et lourd, notamment lorsqu'il résulte d'une pareille violence. Objectivement, il s'agit d'une faillite – le mot est lourd, j'en ai conscience –, à tout le moins d'un échec. Il ne m'appartient pas de porter un jugement sur ces faits, et je ne mets personne en cause – le meurtrier, ou l'assassin, répondra seul de son acte. J'exprime une position de principe, selon l'éthique de responsabilité attachée à l'exercice de la puissance publique.
Depuis que vous m'avez fait parvenir le questionnaire, vous avez procédé à des auditions. Celles-ci ayant pu vous conduire à modifier l'angle selon lequel vous souhaitez aborder certains sujets et la manière dont vous souhaiter formuler ces questions aujourd'hui, il vaut sans doute mieux que je vous laisse les poser selon la formulation que vous aurez choisie avant d'y répondre.