Intervention de Olivier Sudrie

Réunion du vendredi 24 mars 2023 à 9h00
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Olivier Sudrie :

Sur les sur-rémunérations, d'autres experts vous ont tenu des propos différents des miens. Il n'y a rien d'anormal à cela : si la théorie économique était unifiée, nous le saurions. Chacun a sa vision des choses. J'ai la mienne, mes collègues la leur.

Dans un schéma de type keynésien à prix fixes – n'hésitez pas à m'interrompre si je jargonne –, en faisant abstraction des prix, qui sont pourtant au cœur de notre sujet, il est indéniable que diminuer la rémunération de quelqu'un, c'est diminuer son pouvoir d'achat, donc provoquer une paupérisation. Sur ce point, je suis mes collègues. Tous les schémas macroéconomiques qui vous sont présentés sont justes.

Quittons le schéma keynésien pour nous intéresser aux prix, que nous avons pour objectif de faire baisser. Aucun entrepreneur dont les prix sont au plafond de la disposition à payer de ses clients n'est assez stupide pour ne pas les baisser s'il constate que quelque chose s'est passé et qu'ils renâclent à remplir leurs caddies de supermarché ou à acheter des voitures comme avant. Si je n'ajuste pas mes prix à la baisse, je meurs : c'est la loi du marché. Dans un schéma d'équilibre général autorisant une flexibilité des prix, une réduction de la disposition à payer des clients fait baisser les prix. Ce que je dis là n'est ni de la science-fiction ni du Sudrie, mais ce que nous constatons à l'heure actuelle : producteurs et distributeurs baissent les prix parce que les clients commencent à renâcler.

Pour prendre un exemple de la vie quotidienne, un grand quotidien du soir a récemment publié un article faisant observer qu'on ne fréquente plus le restaurant le midi, faute de moyens, et que l'on se rabat sur des sandwichs achetés au supermarché. La baisse du volume d'affaires liée à la perte de pouvoir d'achat induit un ajustement des prix à la baisse. Si tel n'est pas le cas, je suis mes confrères. Pour ma part, je fais le pari que les entrepreneurs sont agiles et intelligents.

Sur la mondialisation, les avis des économistes diffèrent aussi très largement. Certains y voient le mal en puissance, d'autres une solution. Ce qui ne fait pas débat, c'est que l'insertion de la France dans la division internationale et européenne du travail est un défi que tous les gouvernements ont relevé.

La mondialisation est-elle la fin de la production locale ? Je vous prie de m'excuser par avance d'être vulgaire : la mondialisation – l'ouverture au marché en général – est le meilleur coup de pied aux fesses pour qu'un producteur réalise des gains de productivité. Cela s'est vérifié pour la France au cours de la construction européenne. Notre histoire commune, c'est l'ouverture au marché et l'aiguillon de la concurrence. Si l'on est protégé, par des barrières douanières comme le sont les collectivités d'outre-mer (COM) ou par l'octroi de mer, qui ne protège pas toujours très bien, pourquoi faire des efforts ?

La productivité, c'est retrousser ses manches. J'ai à l'esprit une affiche de la CGT datant de 1947 sur laquelle est représenté un travailleur disant « Retroussons nos manches, ça ira encore mieux ! ». Elle est d'une modernité criante : il faut retrousser ses manches pour augmenter la productivité, réduire les coûts et être plus efficace, et c'est ainsi que la production locale s'en sortira. Nous en connaissons tous de très beaux exemples : les efforts ayant permis des gains de productivité dans la filière rhum en Martinique sont un véritable succès. Aurions-nous eu tout cela sans concurrence acharnée ? Les visions de la mondialisation diffèrent ; pour ma part, j'y vois un excellent aiguillon, un excellent vecteur de croissance.

S'agissant des bases informationnelles de notre étude, qui sont sans doute les mêmes que celles de la remarquable étude publiée par l'Autorité de la concurrence en 2019, nous ne pouvons pas, techniquement, retracer la formation des prix de la métropole au port. Seuls les producteurs ont cette information et ils ne nous la donneront jamais. Nous travaillons sur la base des prix franco à bord (FAB). Nous commençons à mesurer le prix du produit une fois qu'il se trouve sur le pont du navire, par exemple au départ du Havre. Nous ignorons ce qui précède. Les investigations que j'ai menées il y a de nombreuses années dans les collectivités du Pacifique suggèrent que ce qui précède, du producteur au bateau, est source de marges.

Sur le nombre d'intermédiaires, nous n'avons pas pu le déterminer, mais nous partageons, dans notre étude, votre conclusion, qui est aussi celle de l'Autorité de la concurrence. Nous avons tenté de décomposer le prix d'un panier de produits de consommation courante, sans pouvoir identifier un coupable désigné, ce qui nous aurait facilité la vie. Il n'y a pas un point où les prix débordent de façon abusive, mais une accumulation de marges plus ou moins petites, dont résulte un effet boule de neige. Nous avons mesuré les marges réalisées sur les frais d'approche, qui incluent notamment le transport, la logistique et le coût du débarquement. La marge du distributeur s'applique sur ce coût, lui-même augmenté par les marges qui précèdent.

Sur la connaissance des marges, nous nous sommes heurtés, qu'il s'agisse de l'étude menée il y a quelques mois à Saint-Pierre-et-Miquelon ou de celle menée à la demande de la CCI de Martinique, à un problème récurrent : nous n'avons aucun pouvoir d'investigation. Nous sommes à la merci des producteurs d'informations que sont les distributeurs, qui nous opposent systématiquement le secret des affaires. Nous savons que, par définition, une étude reposant sur des questionnaires adressés aux divers maillons de la chaîne n'obtiendra aucune réponse utile.

Nous nous sommes donc basés sur les marges publiées par l'Ideom, notamment les marges productives et les marges d'intermédiation. Ce sont elles sur lesquels se fonde le graphique que j'ai transmis hier à la commission d'enquête. Nous avons aussi utilisé les statistiques de l'Insee, qui publie des comptes régionaux pour toutes les géographies ultramarines, de façon un peu moins détaillée pour Mayotte. Nous avons fait, soit dit entre de nombreux guillemets, des petits comptes de la nation. On y trouve notamment le coefficient de prix FAB, ainsi que le coût de l'assurance et du fret. On y trouve aussi, pour certaines branches, les taux de marge productive, c'est-à-dire l'excédent brut d'exploitation (EBE) par rapport à la valeur ajoutée. Les travaux de l'Ideom complètent cette information de manière très précise.

Nous n'avons pas cherché à approcher les marges par des questionnaires, car nous savions pertinemment que les opérateurs ne nous diraient rien à ce sujet. Rares sont ceux dont les comptes sont publiés au greffe du tribunal qui donnent l'autorisation d'y accéder. Nous n'avons pas les pouvoirs d'investigation qui sont les vôtres, ni ceux de l'Autorité de la concurrence. Notre travail est beaucoup plus modeste et dépend de la bonne volonté des acteurs.

Le panier de consommation courante que nous avons étudié est composé à hauteur de 40 % de produits alimentaires et d'environ 43 % de produits manufacturés de la vie quotidienne, essentiellement les produits d'hygiène et d'entretien que l'on trouve dans les rayons des supermarchés et des supérettes. Ce panier composite comporte des produits importés, à hauteur de 70 %, et des produits issus de l'économie locale, car il ne faut pas, en matière de vie chère, se focaliser sur les importations. Ces chiffres sont ceux que l'on obtient de l'Insee en étudiant le détail par produit de la consommation.

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