Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation et précise d'emblée que mes propos n'engageront pas l'AFD, qui m'emploie.
Je suis docteur en sciences économiques et agrégé de sciences sociales. Après avoir travaillé sept ans à l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), dont quatre au siège en tant que responsable des études de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Ideom), j'ai poursuivi ma carrière à l'AFD, alternant postes opérationnels et d'études. À l'heure actuelle, je suis chargé du suivi des pays du Sud. Je n'ai pas eu l'occasion de travailler sur les outre-mer depuis quelque temps. J'ai publié il y a quelques années une étude comparative des entreprises métropolitaines et ultramarines.
Dans cette perspective comparatiste, il faut distinguer trois sujets, qui sont étroitement liés : l'inflation, les écarts de coût de la vie et les écarts de revenus. Avant de les aborder, je précise que je présenterai des taux et des écarts moyens, qui recouvrent d'importantes disparités, expliquant souvent l'existence d'une forte divergence entre le ressenti des populations, notamment celles dont les revenus sont les plus modestes, et ce que révèlent les taux moyens. Ces populations sont souvent plus exposées que ne le laissent penser ces taux.
L'inflation, en 2022, a été relativement maîtrisée dans les outre-mer. Partout, le taux d'évolution de l'indice des prix à la consommation est inférieur à celui de l'Hexagone, qui est lui-même inférieur à celui de nos voisins européens, à 6 % contre 8,2 %. S'agissant du poste alimentation, qui est particulièrement important dans les ménages défavorisés, il a augmenté fortement, mais moins qu'en métropole, à l'exception de Mayotte. Certains postes ont connu des flambées de prix très impressionnantes, comme le transport aérien à La Réunion.
S'agissant des écarts de prix avec l'Hexagone, l'Insee a publié en 2015 une enquête de comparaison spatiale des niveaux de prix à la consommation entre territoires français. Des enquêtes similaires ont été menées à la même époque en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. L'Insee a engagé une nouvelle enquête l'an dernier ; j'espère que ses résultats seront disponibles à temps pour nourrir les travaux de votre commission d'enquête. D'après cette enquête, l'écart des niveaux de prix par rapport à la métropole est de sept points à La Réunion et à Mayotte, de douze points aux Antilles et en Guyane, de trente-trois points dans le Pacifique.
Ces écarts peuvent faire l'objet d'interprétations diamétralement opposées. Certains diront qu'il s'agit d'une double peine, considérant qu'il est tout à fait injuste que des populations dont le revenu moyen est faible soient affectées par des niveaux de prix plus élevés. Toutefois, du point de vue économique – Jean-François Hoarau, que vous venez d'auditionner, a écrit un article à ce sujet –, des écarts de niveaux de prix de 7 % et de 12 % sont compréhensibles compte tenu des contraintes d'offre auxquelles sont exposées les entreprises ultramarines.
D'après l'étude comparative des entreprises métropolitaines et ultramarines que j'ai menée avec un collègue de l'Insee, le taux médian des consommations intermédiaires sur le chiffre d'affaires était supérieur de huit points dans les entreprises d'outre-mer. Les contraintes inhérentes à l'ultrapériphéricité – éloignement, insularité, étroitesse des marchés, rotation des stocks plus lente, coûts de transport plus élevés – induisent clairement un surcoût, dont il est compréhensible qu'il soit répercuté sur le niveau des prix. Quant à savoir s'il épuise la question des différences de niveaux de prix, je ne suis pas en mesure de le dire.
Comme le rappelle le rapport de M. le député Hajjar, il faut aller au-delà de ce constat global et entrer dans le détail des postes de dépenses, notamment celui de l'alimentation, pour lequel les écarts de niveau de vie sont bien plus élevés, et touchent davantage les ménages aux revenus les plus modestes.
S'agissant des écarts de revenu moyen par habitant avec l'Hexagone, je m'en tiendrai à deux observations, sachant que nous serons interrogés ensuite sur les facteurs d'explication.
En cinquante ans, la moitié du chemin a été parcourue. En 1970, les écarts de revenu disponible par habitant entre les quatre départements d'outre-mer (DOM) historiques et la métropole étaient de 59 %. En 2019, il est de 28 %. À Mayotte, les écarts sont plus choquants : le revenu disponible brut n'y représente qu'un tiers du revenu disponible brut par habitant dans l'Hexagone, et le PIB par habitant qu'un quart.
Rapportés aux objectifs fixés par le contrat de convergence et de transformation, ces chiffres sont très loin du compte. En revanche, si l'on prend pour référence la situation de Mayotte avant son indépendance, lorsque l'île était l'une des moins développées des Comores, on constate que son PIB par habitant est entre huit et dix fois supérieur à celui des Comores, ce qui suscite une forte attractivité migratoire. On peut donc voir le verre à moitié plein ou à moitié vide.
Par ailleurs, il faut, pour appréhender ces écarts de revenus, tenir compte de tous les paramètres concourant à la formation des revenus, de la création de la valeur aux flux de redistribution, lesquels ont un impact très fort en France. D'après le rapport de l'Insee France, portrait social publié en 2021, l'écart de revenu primaire entre les 10 % de ménages aux revenus les plus élevés et les 10 % de ménages aux revenus les plus modestes est d'un à onze avant transferts sociaux, d'un à sept après, et d'un à trois si on intègre la consommation de services publics, dans une perspective reposant sur le revenu élargi, utilisé par l'Insee à l'échelle nationale en métropole mais pas outre-mer.
De façon générale, le bon point de comparaison, s'agissant des Dom, me semble être fourni par les autres régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne que sont les Canaries, les Açores et Madère, plutôt que par les petits États indépendants insulaires qui les environnent. Les économies des Dom sont avant tout des économies régionales, dotées de fortes spécificités découlant de leur ultrapériphéricité. Les considérer comme des petites économies insulaires indépendantes est une fiction. De fait, elles ne sont pas exposées aux mêmes contraintes que des économies nationales.