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Intervention de Claire Cerdan

Réunion du vendredi 24 mars 2023 à 9h00
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Claire Cerdan :

Vous évoquez la sur-rémunération des fonctionnaires et de certaines catégories de personnes arrivant de métropole. Mais quelqu'un qui cherche du travail à La Réunion peut rencontrer des difficultés à en trouver en raison de la concurrence de petits territoires pratiquant le télétravail pour des salaires bien inférieurs. Des entrepreneurs, dans le cas de services non marchands, peuvent préférer mobiliser ces voisins plutôt que de recruter du personnel plus coûteux, avec des charges beaucoup plus lourdes et des protections bien plus importantes. C'est un levier aussi. Il ne faut pas imaginer qu'il n'y a ici que de la sur-rémunération.

Concernant l'économie informelle, dans le secteur agricole, on a tendance à confondre le secteur organisé autour des filières, des interprofessions de l'élevage, de la canne à sucre ou des fruits et légumes, qui sont des coopératives très visibles au niveau européen, puisqu'elles bénéficient du programme d'actions spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Posei), avec des entités qu'on appelle souvent informelles, mais qui représentent plutôt le secteur des indépendants. Quelque 30 % des producteurs de fruits et légumes évoluent dans les filières organisées et 70 % sont indépendants. Ce sont des gens qui ont leurs circuits de commercialisation et qui produisent des factures ; c'est une économie monétaire, elle n'est pas informelle. À cela s'ajoutent toutes les pratiques et activités qui relèvent de l'informel. Il faut souligner qu'il existe une grande diversité de pratiques et d'activités ; il convient de distinguer ce qui relève du travail et des activités monétarisées, ce qui relève des activités non monétarisées et ce qui relève de l'échange marchand ou non marchand. À côté du travail informel « au black », il existe toute une activité d'échange de services, relevant du coup de main, du chantier solidaire ou de l'autoconsommation. L'autoconsommation, c'est un peu de l'économie informelle… On trouve aussi des travaux monétisés réalisés dans un cadre familial et non déclarés. Il importe de saisir la complexité et la diversité de l'économie informelle.

Vous dites que l'économie informelle représenterait 25 % de cette activité, mais on peine à la mesurer. De nombreux agriculteurs non identifiés comme tels commercialisent leur production sur le bord des routes, sur des marchés ou à leur domicile. Les normes du statut d'agriculteur sont inadéquates : beaucoup de ceux qui produisent et vendent, et pourraient être assimilés à des producteurs, ne figurent pas dans les bases de données parce qu'ils sont en dessous des seuils.

Dans les territoires ultramarins, une exploitation n'est prise en compte par le réseau d'information comptable agricole (Rica) qu'à partir du chiffre d'affaires de 15 000 euros : le Rica ne tient pas compte des toutes petites exploitations considérées comme peu productives et difficiles à comptabiliser. Or il y a beaucoup de petites exploitations. Je citerai l'exemple du projet alimentaire territorial (PAT) de Mafate, « Planté pou manzé », soutenu par le parc national de La Réunion et auquel je collabore. Dans le cirque de Mafate, la majorité de la population développe de petites activités agricoles en complément de l'exploitation de gîtes ou de minima sociaux. On a comptabilisé 250 hectares réunissant l'ensemble de ces activités d'élevage et de cultures mais seulement sept personnes sont inscrites au régime agricole. Parmi la quarantaine de producteurs, au moins trente-deux, intéressés par la démarche, voulaient se professionnaliser, mais ne réalisaient pas le minimum requis pour être inscrits en tant que producteurs officiels. Les statuts agricoles mériteraient d'être retravaillés. Des discussions ont eu lieu dans le cadre spécifique de Mafate dont le résultat pourrait être appliqué dans d'autres territoires où une toute petite agriculture souhaite valoriser sa production.

Il existe plusieurs méthodes pour identifier l'économie informelle. L'une d'entre elles, qui me semble particulièrement intéressante, se fonde sur l'étude des moyens d'existence, du point de vue de la sécurité alimentaire. On ne se limite donc pas aux revenus. Une étude élaborée par l'Institut agronomique néo-calédonien (IAC), en collaboration avec le Cirad et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) a donné des résultats intéressants en Nouvelle-Calédonie. Bénéficiant du recul d'enquêtes précédentes, ce travail de recensement de l'ensemble des activités, formelles et informelles, montre une diminution de la part informelle et des pratiques agricoles traditionnelles. Il faut donc combiner les approches comptable et quantitative avec des approches qualitatives pour estimer au mieux les revenus.

Cela rejoint la question de la précarité alimentaire, que l'on a également du mal à repérer.

L'économie informelle apporte des compléments de revenus et des compléments alimentaires, qui sont essentiels. Des enquêtes montrent que les personnes qui n'ont pas de jardin sont les plus en difficulté. Comment garantir un droit à produire pour s'autonourrir, procurer un complément de revenus, pour rendre service et maintenir du lien social ? L'économie informelle nous invite à regarder les systèmes alimentaires des territoires ultramarins comme beaucoup plus riches, complexes et diversifiés qu'il n'y paraît. Les modalités marchandes, non marchandes et informelles jouent un rôle important dans la capacité de résilience des systèmes.

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