Rappelons préalablement que l'autonomie alimentaire est la capacité des modèles agricoles à satisfaire au maximum et durablement les besoins alimentaires des populations par leurs propres productions et ressources. Les aliments doivent être en quantité et en qualité suffisante pour fournir les apports nutritionnels. Elle implique de considérer non seulement l'offre – disponibilité, accès, innocuité, qualité –, mais aussi la demande – la composition et les déterminants des comportements. Elle requiert des circuits de mise en relation de l'offre avec la demande par des incitations, qui peuvent être des soutiens publics. Elle intègre les questions d'environnement et de santé, intrinsèquement liées à la production. Mais l'autonomie alimentaire étant un objectif parfois difficile à atteindre, le concept de souveraineté alimentaire est une avancée dans la mesure où il tend à promouvoir une gestion équilibrée entre la production locale et les importations pour satisfaire les besoins de la population.
Voici quatre des freins identifiés dans notre rapport collectif.
Le premier, c'est l'héritage historique, qui rend difficile le soutien à une agriculture diversifiée. Une partie des territoires d'outre-mer, notamment la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, ont vu le développement d'une économie de plantation ; ces territoires se sont alors spécialisés dans les cultures d'exportation, qui ont été privilégiées au détriment de la demande locale. Le poids de cet héritage reste fort. On entend parler de la diversification des filières, mais si la relation d'échanges privilégiée entre l'Hexagone et les territoires d'outre-mer s'accompagne de dispositifs de protection marchande favorables aux économies périphériques, elle a aussi établi un ordre économique non concurrentiel qui a transformé ces économies en marchés captifs ; pour certains produits, on peut parler d'oligopoles.
Deuxièmement, les marges de manœuvre pour augmenter la surface agricole sont relativement limitées. La superficie de la Martinique, de la Guyane, de La Réunion, de Mayotte et de la Guadeloupe est au total de 9 millions d'hectares, dont seulement 180 000 hectares de superficie agricole utilisée, en raison de la topographie. Si ces territoires parfois montagneux ou boisés représentent des réserves naturelles très importantes par la richesse de leur biodiversité, ils subissent aussi des pressions fortes en matière d'habitat et doivent trouver des compromis. À l'exception de la Guyane, dont le territoire est plus vaste, la production agricole dispose d'une faible surface agricole utile par habitant : 7 ares pour Mayotte, 14 pour La Réunion et la Guadeloupe et 24 pour la Guyane, contre 35 ares pour la France hexagonale. Or il existe un lien étroit entre régimes alimentaires et surface agricole. Une étude réalisée par Philippe Pointereau a montré que pour satisfaire son régime alimentaire actuel, un consommateur de l'Hexagone a besoin de 45 ares, surface qui pourrait revenir à 35 ares en réduisant sa consommation de viande.
Troisièmement, on assiste à une transition nutritionnelle et alimentaire, dans certains territoires, relativement avancée. Une expertise collective sur l'état nutritionnel des populations des territoires ultramarins réalisée par des chercheurs de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) révèle l'importance des calories importées – de 2 000 à 2 600 kilocalories par habitant et par jour. Très riches en lipides et en glucides, souvent ultra-transformés, ces aliments importés favorisent l'apparition de diabètes et d'autres maladies. Alors que le régime traditionnel créole est équilibré et apporte les nutriments nécessaires, ces travaux mettent en garde sur la diminution de la consommation des plats traditionnels au profit de plats ultra-transformés et de mauvaise qualité ; ils pointent aussi du doigt l'évolution de ces plats traditionnels, qui s'enrichissent en lipides et en glucides.
Le dernier frein que je relèverai aujourd'hui, c'est la difficulté à trouver des compromis d'usage entre production alimentaire, production d'énergie, par exemple d'électricité photovoltaïque – car il importe de réduire la dépendance énergétique –, urbanisation et mitage. Ces débats sont en jeu et peuvent freiner une plus grande autosuffisance alimentaire.
L'autosuffisance alimentaire suppose de relever des défis : intensifier la production, faire évoluer les régimes alimentaires, réduire les pertes et les gaspillages encore trop importants, valoriser les friches et étendre la surface agricole. Cela suppose à la fois des choix politiques et une dynamique collective qui associe la population et les décideurs publics.