Intervention de Dimitrios Zevelakis

Réunion du mercredi 22 mars 2023 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Dimitrios Zevelakis, ambassadeur de Grèce en France :

C'est un grand honneur de pouvoir échanger avec vous au sujet de thèmes d'intérêt mutuel. La relation entre la France et la Grèce est d'une importance primordiale pour mon pays. Elle est fondée non seulement sur des idéaux partagés, sur le respect du droit international et des droits humains, l'inviolabilité des frontières et l'intégrité territoriale des pays, mais aussi sur l'analyse commune des défis de sécurité en Europe face à la guerre menée contre l'Ukraine par la Russie et dans le bassin méditerranéen, plus particulièrement en Méditerranée orientale.

La Grèce considère la France comme l'un de ses partenaires et alliés stratégiques les plus proches au sein de l'Union européenne et de l'Otan, à l'égard des valeurs, de la vision et des principes, que nous partageons , concernant la paix, la sécurité, la stabilité et le développement en Europe et en Méditerranée. Nous sommes conscients de la complexité de l'environnement sécuritaire en Méditerranée orientale, marqué par les défis des menaces conventionnelles et hybrides, la migration illégale, le terrorisme et le changement climatique.

De surcroît, la Méditerranée s'insère dans la mosaïque géopolitique du conflit en Ukraine, influencée par la dynamique de ce dernier. La présence militaire russe dans la région de la Méditerranée est particulièrement préoccupante. Une approche soigneusement planifiée et un effort sérieusement coordonné sont nécessaires pour sécuriser efficacement l'autonomie énergétique de l'Europe. La Grèce contribue au renforcement de l'aile orientale de l'Otan avec le port d'Alexandroúpolis, lequel offre une voie alternative tant pour l'approvisionnement militaire des alliés de l'Otan que pour la fourniture d'une assistance de défense à l'Ukraine . Elle devient aussi une plaque tournante énergétique, qui contribue à réduire la dépendance à l'égard de la Russie en offrant des ressources énergétiques et des routes alternatives vers les pays des Balkans et d'Europe centrale.

L'immigration illégale et son instrumentalisation représentent un autre défi pour la sécurité.

Le comportement de la Turquie, qui met en cause des règles de Droit International et des Traites Internationaux fondamentaux sont aussi un facteur d'instabilité en Méditerranée orientale. La mise en cause de la souveraineté grecque sur ses îles en mer Égée, la menace de guerre contre la Grèce, les violations des eaux territoriales et de l'espace aérien ou encore les survols en témoignent. Un exemple de ces ambitions et actes turcs hors loi international est le Memorandum qui a été signé, en 2019, entre Ankara et le gouvernement intérimaire d'union nationale de la Libye – deux pays sans côtes adjacentes ou se faisant face –, un soi-disant accord de délimitation de zones maritimes. Ce soi-disant accord viole de manière flagrante le droit international de la mer et les droits souverains de la Grèce et d'autres pays de la région. Il constitue une menace pour la sécurité et la stabilité régionales. Il en va de même pour le deuxième soit-disant mémorandum turco-libyen d'Octobre 2022, qui s'inscrit dans cette continuité. Nous protégeons notre souveraineté et nos droits souverains dans tout notre territoire – sur terre, en mer et dans notre espace aérien. La Grèce souhaite délimiter les zones maritimes avec tous ses voisins sur le fondement du droit international, incluant la Libye et la Turquie. Nous l'avons déjà fait avec l'Italie et l'Égypte.

La Grèce a été l'un des premiers pays à démontrer sa solidarité avec le peuple turc après les récents séismes. Lors de la Conférence de donateurs pour la Turquie et la Syrie à Bruxelles, le 20 mars, elle s'est engagée à offrir quatre millions d'euros à la Turquie. Un changement de la rhétorique turque vis-à-vis de la Grèce depuis les séismes a été observé. Le ministre grec des affaires étrangères, M. Dendias, a été accueilli en Turquie par des propos chaleureux de son homologue turc, lequel a exprimé sa reconnaissance pour les sauveteurs grecs. M. Dendias a assuré que la Grèce ferait tout son possible pour soutenir la Turquie en cette période difficile, de façon bilatérale ou dans le cadre de son éventuelle adhésion à l'Union européenne, le cas échéant. Tous deux ont considéré que nous n'avions pas besoin d'attendre des catastrophes naturelles pour améliorer nos relations. Lors d'une rencontre du 20 mars, ils se sont mis d'accord sur leur soutien réciproque à la candidature de la Grèce pour un siège non permanent au Conseil de sécurité de l'ONU et à celle de la Turquie au poste de secrétaire général de l'organisation maritime internationale. La Grèce est prête et disponible pour un dialogue franc avec la Turquie, sur le fondement du droit international et du droit international de la mer. Reste à savoir si notre voisin est aussi franc dans ses déclarations, ou si ce changement de discours est temporaire et dû aux circonstances.

La politique de la Grèce vise la promotion de la sécurité et de la stabilité dans la région élargie de la Méditerranée orientale. En témoignent nos collaborations avec l'Égypte, Israël, la Jordanie, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, l'Italie, les États-Unis et la France. Nous continuerons à renforcer notre capacité de dissuasion en tant qu'allié dans l'Otan et dans le cadre de la coopération de défense commune de l'Union européenne, en parallèle de la préparation pour faire face aux menaces contre notre souveraineté et nos droits souverains.

S'agissant de la coopération entre la Grèce et la France, un an et demi après la signature de l'accord de partenariat stratégique que vous avez mentionné, nous sommes satisfaits de l'importance que nos deux pays y attachent. C'est un accord historique, qui renforce notre coopération dans de nombreux domaines. La clause d'assistance mutuelle en cas d'attaque armée contre le territoire de l'un des deux pays garantit la souveraineté, l'intégrité territoriale et nos intérêts communs en Méditerranée. De nouveaux domaines peuvent encore être explorés, pour contribuer au renforcement de notre coopération militaire bilatérale en s'adaptant à un environnement de sécurité internationale en constante évolution. En outre, le programme de coopération militaire renforcée à l'horizon 2025 permettra à nos forces armées de développer une culture stratégique et opérationnelle commune, et de renforcer une interopérabilité aux bénéfices réciproques.

L'acquisition de systèmes d'armes français renforce considérablement la capacité de défense et de dissuasion de la Grèce, contribuant du même coup à la sécurité et à la stabilité de la région élargie. Nous aspirons à l'intégration des Rafale restants dans l'effectif de notre armée de l'air pour obtenir le total de vingt-quatre que vous avez mentionné. La coopération entre les entreprises grecques et françaises devrait nous guider et faciliter l'intérêt à coopérer d'autres entreprises grecques. Conscients que l'espace constitue un nouveau champ potentiel de bataille, nous apprécions votre initiative de créer le Conseil de l'espace de l'Otan à Toulouse. La Grèce envisage positivement sa participation à la Composante spatiale optique du programme Musis, système multinational d'imagerie spatiale pour la surveillance, la reconnaissance et l'observation.

Je souhaite aussi mentionner plusieurs schémas de coopération multilatérale d'intérêt mutuel, à commencer par la mission européenne de surveillance maritime Emasoh, qui contribue à la désescalade des tensions et la situation dans le détroit d'Ormuz et dans toute la région. La Grèce y participe, ainsi qu'au volet militaire de l'opération Agénor, qui a produit des résultats tangibles.

Elle soutient également, en commun avec la France, la fusion de l'Emasoh avec l'opération Atalanta. Je pense aussi aux actions opérationnelles des programmes Eunomia 20 et Eunomia 21 dans le cadre de l'initiative quadripartite rassemblant Chypre, la France, l'Italie et la Grèce. Elles ont véhiculé un message fort et clair d'unité et de soutien à la stabilité dans la région. L'Eunomia 3-22, qui s'est tenu du 3 au 6 octobre 2022, a montré une fois de plus que ces pays, à travers leurs forces armées, assurent la stabilité et la sécurité en Méditerranée orientale.

Par ailleurs, la Grèce et la France soutiennent le renforcement de l'autonomie stratégique de l'Union européenne, estimant qu'il est nécessaire de développer ses capacités opérationnelles et de défense. Ce développement ne doit en aucun cas être considéré comme une concurrence à l'Otan, mais comme un renforcement du bras européen de l'Alliance. L'autonomie stratégique de l'Union européenne est avant tout de notre responsabilité si nous ne voulons pas que cette dernière passe au second plan, notamment vis-à-vis de son environnement proche.

Après avoir accueilli favorablement l'accord sur le septième paquet de soutien militaire à l'Ukraine, la Grèce reste transparente dans son approche contre les actions révisionnistes de Moscou. Elle reste ferme dans son engagement à continuer d'apporter un soutien politique, économique, militaire et humanitaire au gouvernement ukrainien. Nous avons soutenu l'éventail complet des sanctions de l'Union européenne, qui ont porté un coup dur sur la Russie. Cependant, nous regrettons que certains pays candidats ne respectent pas les sanctions. Ce comportement nuit à l'efficacité de nos efforts collectifs. Le développement de la mission d'assistance militaire de l'Union européenne en soutien à l'Ukraine, Eumam Ukraine, étape audacieuse pour l'Union, contribuera à la modernisation des forces armées ukrainiennes. La Grèce y participe avec du personnel militaire, à la capacité militaire de planification et de conduite à Bruxelles, et aux deux commandements d'entraînement en Pologne et en Allemagne.

S'agissant de la Facilité européenne pour la paix, la FEP, la décision d'augmenter le plafond fiscal de deux milliards d'euros confirme notre volonté dans la pratique. La FEP est un instrument important pour notre politique de défense. Cependant, ses ressources n'étant pas illimitées, nous devons assurer sa pérennité dans une approche réaliste et intégrée. Dans ce contexte, la flexibilité et la prévisibilité doivent permettre d'adapter le soutien de la FEP à l'Ukraine, dans une perspective à plus long terme et pour rétablir l'équilibre géographique dans le mécanisme par des ajustements stratégiques.

Le programme européen d'investissement dans le domaine de la défense, l'Edip, est un outil important pour les futurs projets de développement et d'approvisionnement, en particulier ceux qu'un État membre ne peut conduire seul. En travaillant ensemble, nous obtenons un bon rapport coût/efficacité et nous augmentons l'interopérabilité, en veillant à ce que les États membres obtiennent les capacités militaires en peu de temps dont ils ont besoin. L'Edip constitue par excellence un programme visant au renforcement de l'industrie de défense de l'Union européenne.

Le projet de règlement Edirpa, pour un instrument destiné à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes, est un texte législatif important pour l'Union européenne. Notre position en la matière déterminera notre unité contre le révisionnisme et l'autoritarisme. La guerre en cours entre la Russie et l'Ukraine, et l'existence en général de forces révisionnistes et de régimes autoritaires dans le voisinage de l'Union européenne, ne permettent pas de complaisance. La France et la Grèce sont étroitement impliquées dans la discussion en cours à ce sujet au Parlement européen.

La signature de l'accord de projet concernant l'amélioration de la surveillance maritime est la preuve tangible de notre coopération fructueuse. Le programme conjoint de corvette européenne dans le cadre de la Coopération structurée permanente, CSP, entre la France, la Grèce, l'Italie et l'Espagne facilite de multiples innovations technologiques. C'est un témoignage inébranlable des efforts unis de nos partenaires de l'Union européenne pour créer un front commun en mer.

S'agissant du cinquième paquet de programmes, la Grèce a manifesté son intérêt à participer à trois d'entre eux, sous coordination française.

Concernant Eunavfor Med opération Irini, la Grèce participe avec toutes ses forces à la défense des intérêts de sécurité européens de la région, tout en défendant son indépendance nationale. Nous reconnaissons l'opération Irini comme un point clé pour la sécurité et la stabilité en Méditerranée et le rôle que l'Union européenne devrait jouer dans la région. La Grèce participe militairement à cette opération. Les efforts internationaux doivent se concentrer à ce que l'embargo de l'ONU sur les armes soit respecté par tous. Malheureusement, cela n'est pas le cas, puisque certains pays refusent à plusieurs reprises que les vaisseaux battant leur pavillon soient soumis à des inspections par l'opération Irini.

J'en viens à la situation au Mali et au Sahel. La paix et la sécurité au Mali sont essentielles à la stabilité du Sahel. Il existe donc un intérêt commun à renforcer la sécurité dans cette région. La Grèce partage les inquiétudes françaises quant à la possibilité d'une propagation de l'instabilité au Mali et aux pays voisins, notamment du golfe de Guinée. Deux officiers grecs participent à la mission éducative de l'Union européenne au Mali depuis 2013, avec pour tâche principale la formation des forces maliennes. Vous connaissez mieux que moi la situation.

Nous avons aussi des coopérations dans le cadre de l'Otan. La Grèce considère la présence avancée renforcée de l'Otan, e-FP, comme une initiative de défense et de dissuasion. Elle participe avec un peloton antichar au nouveau groupement tactique multinational de l'Otan en Bulgarie dans le cadre du renforcement de l'aile orientale de l'Alliance, décidé lors du sommet de l'Otan à Madrid l'an dernier. En outre, nous pensons que l'Alliance ne doit pas se concentrer uniquement sur cette aile orientale. Des dangers surgissent au Sud, comme le terrorisme et la présence déstabilisatrice croissante de la Russie. Pour faire face aux menaces et aux défis dans le Sud, l'Otan devrait intensifier sa collaboration avec l'Union européenne en tirant parti des ressources que celle-ci pourrait apporter.

La Grèce est reconnaissante pour la contribution de longue date de la France au deuxième groupe maritime permanent de l'Otan, SNMG2, actif ces dernières années en Méditerranée orientale pour soutenir l'effort international visant à réduire le trafic, l'immigration clandestine et les réseaux criminels – tout ce qui peut être instrumentalisé comme une menace hybride par des acteurs étatiques et non étatiques dans la région.

Nous avons récemment avancé dans les arrangements techniques pour fournir un soutien du pays hôte à la Force opérationnelle interarmée s à très haut niveau de préparation, conclus entre le quartier général des puissances alliées en Europe, Shape, la France, l'Allemagne et le Portugal, en renforçant considérablement les capacités opérationnelles de l'Alliance.

J'en viens à la perception des menaces par notre pays, et leur incidence sur la formation de notre modèle d'armée. Les forces armées de notre pays sont en cours d'adaptation et de réorganisation pour faire prioritairement face à la menace principale et aux nouveaux défis sécuritaires. Les programmes d'équipement des états-majors sont mis à jour et hiérarchisés pour permettre l'application des actions de réorganisation et définir un calendrier réaliste de mise en place des équipements qui couvriront les besoins opérationnels actuels et futurs et, ce faisant, soutiendront la nouvelle structure. Nous visons aussi à harmoniser la planification de notre défense nationale avec la planification alliée correspondante de l'Otan et de l'Union européenne, tant en matière de résultats escomptés qu'en matière de processus d'approche fondé sur les capacités.

Un an après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui constitue un grave sujet de préoccupation, la conception russe des attaques a changé. Les missiles et drones ciblent désormais des infrastructures civiles essentielles, notamment des installations énergétiques et de santé, mettant à l'épreuve la résilience du peuple ukrainien. En outre, la Méditerranée apparaît comme une pièce géostratégique intégrale du conflit, puisque les effets de la guerre s'y étendent, au-delà des champs de bataille. La Russie tend, entre autres, à instrumentaliser l'énergie et à causer des implications pour la défense et la sécurité des alliés. Notre aide à l'Ukraine, en particulier l'assistance militaire, est essentielle pour permettre au gouvernement ukrainien de négocier avec l'agresseur russe un accord de paix dans l'intérêt de l'Ukraine, le cas échéant. La Grèce porte aussi un intérêt particulier à l'Ukraine dans la mesure où nombre de Grecs résident dans ses provinces orientales frappées par des opérations militaires. Nous réaffirmons notre soutien indéfectible à l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine, qui a un droit fondamental à la légitime défense en vertu de la charte des Nations unies.

La Grèce base sa politique de défense sur les piliers fondamentaux qui sont la promotion de la paix et de la sécurité dans la région élargie de l'Europe du Sud-Est et le plein respect des engagements de partage des obligations. Elle figure parmi le petit nombre de pays de l'Alliance qui respectent l'objectif de dédier au moins 2 % de leur PIB aux dépenses de défense – en l'occurrence 3,76 %, dont 20 % pour la modernisation de ses équipements militaires. Notre pays participe activement à la planification stratégique de l'Otan. Nous appuyons une relation plus fonctionnelle entre l'Alliance et l'Union européenne, conformément aux derniers développements relatifs à la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC. Nous soutenons l'intégration euro-atlantique des pays des Balkans occidentaux, à condition qu'ils soient disposés à prendre les mesures nécessaires et à appliquer les réformes appropriées. Nous faisons progresser l'effort de consolidation de la stabilité sur le flanc sud de l'Alliance, par la création d'un partenariat avancé avec les pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord.

Enfin, la contribution de la Grèce au développement des capacités militaires et non militaires européennes de gestion des crises est substantielle, et la place parmi les principaux partisans de la PSDC. Nous estimons que cette contribution ne limite pas nos capacités de défense mais contribue, au contraire, à les renforcer. En outre, un groupe de travail dédié à la formation des politiques de défense a été créé pour coordonner les organes compétents dans la surveillance, l'information mutuelle, la planification et la préparation des positions grecques dans les institutions de l'Union européenne et, par extension, l'intégration de la politique de défense dans la PSDC. Cette coordination intérieure est primordiale.

En conclusion, notre politique de défense a comme piliers la stabilité et la sécurité des Balkans de la Méditerranée orientale et de la région au sens large. Elle répond aux obligations et aux engagements bilatéraux de la Grèce au sein de l'Union européenne et de l'Otan, fondés sur des accords et des traités internationaux dans le respect du droit international, et se tient prête à assumer un rôle régional approprié grâce à la disponibilité opérationnelle et aux capacités de ses forces armées.

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