Je suis heureux de vous retrouver pour cette séance de contrôle, qui est la bienvenue. L'endurance face à ce qui se passe en Ukraine nécessite autant de transparence que possible. Rendre compte de notre action à la représentation nationale contribue à la solidité de la position de la France, telle qu'elle a été déterminée par le Président de la République.
Il convient premièrement de rappeler les principes dans lesquels s'inscrit notre aide à l'Ukraine, car on lit parfois des commentaires étonnants dans la presse. Il est évident qu'il s'agit d'une aide de légitime défense en faveur d'un pays qui est agressé. Par définition, elle est destinée à permettre à l'Ukraine de retrouver la plénitude de sa souveraineté et de ses frontières, selon les critères que les Ukrainiens voudront bien définir. Si l'on veut que notre propre souveraineté soit respectée, il faut évidemment aussi aider les autres à faire respecter la leur. Ce n'est pas à géométrie variable. Cette aide ne nous expose pas à ce que certains appelleraient le risque de co-belligérance. Ces principes clairs n'ont pas changé depuis un an.
Deuxièmement, l'aide militaire ne doit pas abîmer notre propre outil de défense – ce qui nous amène aux conditions de soutenabilité de l'aide, sur lesquelles je reviendrai. La soutenabilité de l'aide est une ligne rouge que nous nous sommes fixée dès le début. Fort heureusement, notre pays dispose des capacités nécessaires.
Troisièmement, vous m'avez interrogé au sujet des fameux classements, qui ont fait l'objet d'une petite mode médiatique. Nous considérons que l'honneur de la France est d'être utile et fiable. Lors de réunions ministérielles au sein de l'UE, de l'Otan ou à Ramstein, j'ai été parfois stupéfait de constater que certains de mes homologues jugeaient l'efficacité de leur aide militaire en fonction de son tonnage. Nous avons choisi de coller au plus près des besoins de notre allié ukrainien. Nous livrons vraiment ce que nous avons promis. Cela peut expliquer certains décalages observés dans les classements. Ce n'est pas une critique, c'est un fait. Cette fiabilité vaut mieux que tous les classements du monde. Le président Zelensky m'en a parlé quand je l'ai rencontré à Kiev et lorsque je l'ai accueilli à Orly. Nous en discutons aussi régulièrement avec mon homologue ukrainien. Cette fiabilité est notre marque de fabrique.
Nous sommes attendus dans certains domaines, au premier rang desquels figure la défense antiaérienne. Les Russes utilisent beaucoup les airs pour frapper des cibles tant militaires que civiles, comme cela fut le cas cet hiver avec le bombardement d'infrastructures énergétiques dans les grands centres urbains – dont Kiev tout particulièrement. Pour être efficace, la défense sol-air doit être multicouches. C'est la raison pour laquelle nous avons d'abord livré des missiles Mistral à très courte portée, puis des Crotale pour protéger la zone intermédiaire. Cette aide sera complétée par la livraison de systèmes sol-air moyenne portée terrestres (Samp/T) et par les missiles Patriot américains. Il s'agit de préserver des vies, notamment celles des civils.
Le deuxième domaine dans lequel notre aide est attendue concerne les équipements terrestres, pour mener des contre-offensives ou stabiliser la ligne de front. Ils permettent actuellement d'avoir une situation relativement équilibrée. Les Russes ont certes l'initiative, mais on voit bien que le front ne varie pas de manière spectaculaire. Nous avons donc livré de l'artillerie – un secteur dans lequel la France est une référence – avec d'anciens canons tractés TRF1 et les désormais bien connus camions équipés d'un système d'artillerie (Caesar). Nous avons livré dix-huit Caesar dans les premiers mois de la guerre et douze pièces supplémentaires ont été financées grâce au fonds de soutien à l'Ukraine. Nous avons aussi livré des lance-roquettes unitaire (LRU) pour réaliser des frappes dans la profondeur. Curieusement, l'annonce de cette livraison n'a pas été très reprise par les médias, qui débattaient en janvier pour savoir si les blindés que nous envoyons par ailleurs à l'Ukraine constituent ou non des armes lourdes. Cela a stupéfait nos artilleurs, qui savent ce que représente un Caesar ou un LRU. C'est la doctrine d'emploi qui compte et qui fait qu'un armement est défensif ou offensif. Tel est le cas pour l'artillerie, mais aussi pour les AMX 10 RC – qui viennent d'arriver en Ukraine – ou pour les véhicules de l'avant blindés (VAB) qui servent au transport de troupes.
Livrer un système ou une arme est une chose. C'en est une autre de fournir aussi tout ce qui va avec, comme les pièces détachées, les munitions et le carburant. Une autre particularité française réside dans le fait que nous avons toujours essayé de procurer en quelque sorte un kit qui permet plusieurs mois d'utilisation d'un matériel. C'est une des raisons de notre popularité chez les Ukrainiens, car recevoir une carcasse en ferraille qui ne fonctionnera que quelques jours n'a pas d'intérêt. Le maintien en condition opérationnelle (MCO) est l'éléphant dans la pièce et il va beaucoup s'inviter dans les débats à venir – comme le carburant, dont on parle trop peu.
La soutenabilité de l'aide à moyen terme constitue un enjeu essentiel. On voit bien que cette guerre pourrait durer et il faut s'y préparer. Cela suppose de privilégier l'achat direct de matériel aux industriels par les Ukrainiens chaque fois que c'est possible. Tel est l'objet du fonds de soutien. Il a aussi pour vertu d'obliger les industriels à réduire les délais de livraison. Lorsque l'on prélève des matériels dans nos armées, il faut être capable de les remplacer le plus vite possible grâce aux fameux dispositifs d'économie de guerre. Ce que nous avons fait avec le Caesar est l'exemple de ce que je souhaite réaliser pour d'autres équipements. Si dix-huit de ces canons ont été pris sur nos stocks, je peux vous annoncer qu'une trentaine de canons neufs seront livrés entre novembre 2023 et mars 2024. Il fallait pratiquement trois ans pour produire un Caesar ; cette durée va être ramenée à dix-huit mois. Cette amélioration significative de la production par les industriels nous permet de regarder de manière un peu différente les cessions à venir.
Le MCO est évidemment un élément essentiel de la soutenabilité. Les matériels subissent une usure au combat, mais nous pouvons faire mieux en ce qui concerne leur usure courante. Nous menons beaucoup d'actions en matière de formation au MCO avec nos amis polonais.
La France souhaite être aux avant-postes pour offrir des formations qui correspondent aux besoins des Ukrainiens. Nous avons choisi des spécialités rares que d'autres partenaires occidentaux n'ont pas proposées et qui concernent par définition des personnels moins nombreux. De ce fait, nous avons pu paraître en retrait.
L'économie de guerre est aussi une des conditions de la soutenabilité à long terme.
Je me suis initialement étonné que les fameux classements auxquels vous avez fait référence ne prenaient pas en considération les actions menées dans le cadre de la FEP. C'était absolument invraisemblable. On ne peut pas comptabiliser seulement l'aide bilatérale et faire comme si l'aide multilatérale ne rentrait pas en ligne de compte. D'autre pays apparaissaient comme des donateurs, alors que les armes qu'ils avaient livrées avaient en fait été payées par la France. Je suis heureux que les différents instituts qui réalisent ces classements aient corrigé ce biais méthodologique majeur. La France a contribué de manière importante à la FEP, avec presque 1 milliard d'euros. Cet outil avait au départ été créé pour équiper nos partenaires africains, mais tout le monde comprend qu'il s'agit de l'instrument disponible le plus efficace et le plus réactif pour aider l'Ukraine.