Intervention de Manuel Lafont-Rapnouil

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Manuel Lafont-Rapnouil, directeur du Conseil d'analyse et de prévision stratégique (CAPS) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

La question de la fin des opérations extérieures constitue l'un des rares points sur lesquels j'aurai une analyse quelque peu différente de celle d'Élie. Je partage l'analyse d'un effacement progressif de la dimension de gestion de crise. C'est ce que vous soulignez, d'une certaine manière, en observant que les questions de maintien de la paix ne font plus partie du cœur des discussions. Comme Élie l'a très bien expliqué, la gestion de crise recule au fur et à mesure que s'affirme la compétition de puissance. Cette évolution traduit aussi un changement dans les formes de conflictualité. Le maintien de la paix fait face lui-même à ses propres défis et connaît sa propre crise, en quelque sorte. En outre, toute intervention a lieu aujourd'hui dans un contexte où l'unité de la communauté internationale et du Conseil de Sécurité des Nations Unies s'avère plus difficile à obtenir. Cette tendance me semble soulever un certain nombre de problèmes.

L'effacement de la gestion de crise explique probablement, en partie, la façon dont la crise syrienne s'est déroulée. Nous pouvons aujourd'hui avoir le sentiment de payer pour partie, en Ukraine, la façon dont nous avons géré – ou non – la crise syrienne. L'écho que trouve en Ukraine la gestion de la crise syrienne montre qu'il est difficile de dissocier tout à fait la gestion de crise, d'une part, et la compétition de puissance, d'autre part.

Le nouveau monde qu'évoquait Élie a effectivement émergé mais le monde ancien subsiste et affleure de temps à autre par de nombreuses zones de perméabilité. Il reste à savoir, dès lors, qui prend en charge la sécurité internationale. Nous sommes dans un monde où, de plus en plus, les États définissent leur politique de défense en termes de sécurité nationale, ce qui est parfaitement légitime. Pour autant, l'addition des politiques de sécurité nationale ne suffit pas à assurer la paix et la sécurité internationale, pour reprendre l'expression de la Charte des Nations Unies. Nous voyons au contraire que, du fait de ce contexte de diversification, ce n'est pas parce que nous allons collectivement prendre en charge une situation que d'autres ne vont pas essayer d'en faire autant de leur côté. Élie évoquait le très faible nombre d'États capables d'une présence militaire globale mais soulignait aussi la diversification d'acteurs émergents aux agendas différents, qui ne cherchent pas nécessairement à se placer sous les auspices des Nations Unies. À cela s'ajoute l'émergence, au-delà de la montée en puissance des acteurs étatiques, d'acteurs proto-étatiques tels que Wagner, qui montrent que des stratégies alternatives sont poursuivies, soulevant la question de la prise en charge de la sécurité internationale. La dimension de gestion de crise n'a donc pas disparu mais les opérations extérieures pourraient, dans ce contexte nouveau, prendre des contours différents de ceux que nous avons connus au cours des décennies 1990 et 2000.

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