Je vous remercie de votre accueil et je remercie également ceux d'entre vous qui sont venus à Issy-les-Moulineaux. Nous vivons les mêmes réalités et nos discussions avec vous permettent de clarifier nos propres analyses. Mon exposé introductif va tenter de répondre à vos interrogations existentielles.
Dans le cadre de ce propos liminaire, je souhaite revenir sur quatre grands points :
– le contexte géopolitique ;
– nos résultats ;
– nos grands axes stratégiques qui nous permettent ces succès et que nous approfondissons pour changer d'échelle ;
– les enjeux financiers.
Le contexte géopolitique dans lequel nous évoluons est difficile. Notre groupe parle le français et vingt autres langues ; il est présent dans le monde entier. Son cahier des charges répond à la question existentielle évoquée par le président Bourlanges.
Ce contexte est compliqué, pour quatre raisons essentielles. Tout d'abord, ce contexte géopolitique est de plus en plus tendu, les perceptions anti-occidentales ayant des impacts sur nos médias. La semaine dernière, la diffusion de France 24 a été coupée par le gouvernement au Burkina Faso, après l'avoir été au Mali. On peut donc constater que ces coupures sont à chaque fois survenues après l'arrivée de Wagner dans ces pays.
En outre, le week-end dernier, des journalistes du Monde et de Libération ont été expulsés. On serait tenté de dire que seule la France est visée mais, en réalité, il s'agit d'une remise en cause du modèle démocratique occidental et, au-delà, de la liberté de la presse, qui touche également nos amis journalistes burkinabè et maliens. À cet égard, le rapport de Reporters sans frontières publié avant-hier parle de la bande sahélienne comme d'un « trou noir » de l'information. Certains de nos collègues vivent dans la terreur et leur vie est en danger. Ce qui se joue ici, c'est la liberté d'informer et d'être informé de manière professionnelle et équilibrée. Quand nous, médias internationaux, intervenons dans ces pays, nos collègues locaux nous considèrent comme des boucliers protecteurs.
Ensuite, le deuxième point porte sur une exacerbation de la concurrence internationale entre les médias. Il s'agit d'abord des médias amis, comme la Deutsche Welle ou la BBC World (radio internationale, télévision en arabe et en persan), dont le budget doit être distingué de BBC World News. Cependant, ce budget est équivalent à celui de la Deutsche Welle, c'est-à-dire un budget 50 % supérieur au nôtre.
Du côté des médias hostiles, les moyens déployés sont également massifs même si nous ignorons leur montant exact. Au-delà de la Chine et de la Russie, il convient de mentionner la Turquie, qui va lancer une nouvelle chaîne en français à destination de l'Afrique. Le budget de Russia Today (RT) et de Sputnik s'élève ainsi environ à 450 millions d'euros. Je rappelle qu'en 2021, notre budget était de 254 millions d'euros de dotation publique, soit uniquement 7 % du budget de l'audiovisuel public français. Ce budget n'est cependant pas négligeable, compte tenu notamment de l'effort fourni en 2023, puisque l'inflation a été plus que compensée. Mais, malgré tout, le risque d'un décrochage en termes de moyens est évident par rapport à nos concurrents.
La troisième tendance concerne la montée très alarmante de la désinformation et des infox. On constate une sémantique inversée où les champions de la propagande accusent des médias professionnels, libres et indépendants d'être des relais de propagande. Nous ne restons pas immobiles dans ce domaine mais les régulateurs doivent jouer ici un rôle particulier, notamment pour responsabiliser les plateformes. Des avancées ont vu le jour, grâce aux réglementations européennes, mais l'enjeu est encore plus marqué en Afrique. Nous avons reçu vendredi dernier le président de l'autorité de régulation de la République démocratique du Congo (RDC), qui a fait part de son inquiétude à l'approche des élections dans son pays. Nous subissons aussi des campagnes de décrédibilisation menées à l'encontre de nos médias.
Enfin, la dernière tendance concerne le risque sécuritaire auquel nos journalistes font face ; ils peuvent être menacés ou expulsés. Nous sommes parfois obligés de les extraire des zones dans lesquelles ils travaillent, comme cela a été le cas au Mali et nous y réfléchissons aujourd'hui au Burkina Faso. De même, le risque porte sur les univers numériques, à la fois avec les cyberattaques de plus en violentes, mais aussi la haine en ligne qui touche nos journalistes.
Dans ce contexte qu'il paraît essentiel de rappeler, et pour répondre à votre question, nos médias doivent être, plus que jamais, des médias de résistance et de résilience démocratiques à l'échelle planétaire. Plus qu'un enjeu sociétal, c'est un enjeu civilisationnel. Plus que jamais, ces médias sont absolument nécessaires. J'en profite pour saluer nos journalistes, issus de soixante nationalités, qui travaillent ensemble autour de valeurs et d'une déontologie affirmées.
Malgré ce contexte difficile, nos résultats traduisent une réussite importante, notamment en termes d'audience. Près de 260 millions de personnes nous écoutent, nous regardent ou nous suivent chaque semaine : 170 millions en radio ou télévision « classiques », soit les deux-tiers, et le solde dans nos environnements numériques (sites ou applications propriétaires et réseaux sociaux). Les réseaux sociaux sont particulièrement importants puisqu'ils rassemblent les jeunes mais sont également le lieu de propagation de l'infox. En outre, face à la censure, nous devons jouer sur toute une panoplie de moyens, qu'il s'agisse de l'onde courte, des satellites en réception directe, mais également des réseaux sociaux : YouTube est rarement coupé.
Le numérique enregistre d'ailleurs des performances remarquables : nous avons totalisé 3,4 milliards de vidéos et de sons vus en 2022. Désormais, la majorité de nos contacts se font en langues étrangères ; le groupe diffuse en vingt langues. Mais, dans le même temps, cela n'empêche pas le français de continuer à progresser, certes moins vite que les langues étrangères. Il pèse moins dans l'empreinte globale mais les sujets qui sont évoqués dans les langues étrangères sont malgré tout proches de la France et de la francophonie. J'ai parfois la tentation de dire que l'on parle français même en langue étrangère à France Médias Monde.