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Intervention de Sébastien Lecornu

Séance en hémicycle du mardi 2 mai 2023 à 15h00
Bilan de la loi de programmation militaire 2019-2025

Sébastien Lecornu, ministre des armées :

La fin de la période d'exécution de la LPM est caractérisée par des critères d'inflation plus difficiles, mais nous disposons d'outils pour gérer ce renversement de tendance que vous, parlementaires, avez souhaité mettre en place : prévisions de l'article 5 concernant les carburants opérationnels ; maîtrise des reports de charge, grâce à laquelle il est possible de gérer, en partie, l'inflation ; provisions sur les Opex (opérations extérieures).

Depuis 1960, date de la première loi de programmation militaire, il existe deux manières de faire des lois de programmation militaire. Vous ne serez pas surpris : je ne suis pas d'accord avec l'analyse du député Lachaud, mais nous aurons l'occasion d'y revenir durant deux semaines.

La première manière consiste à faire primer le physique sur la courbe budgétaire alors que, par la seconde, c'est la courbe budgétaire qui permet de réaliser le physique. En 2018, Florence Parly a présenté des objectifs concrets et mis en œuvre une stratégie budgétaire qui a permis de coller à ces objectifs. La réalisation budgétaire le démontre ; je ferai de même pour la prochaine LPM. Il s'agit d'une rupture avec les LPM précédentes, lorsque la courbe budgétaire – parfois en baisse et avec des montages assez curieux – a entraîné des diminutions importantes, notamment dans les programmes à effets majeurs.

Les choix militaires sont nécessairement des choix de long terme – le député Jacobelli l'a souligné –, ce qui est très compliqué dans le moment que vit notre démocratie. La loi de programmation militaire nous donne une visibilité à cinq ans, mais, par inertie, certains choix ont des conséquences sur dix, quinze ou même vingt ans. La présidente Chatelain a évoqué la question de la dissuasion nucléaire. On ne peut en effet pas parler de programmation militaire sans parler de dissuasion nucléaire. J'en profite pour saluer la constance de la position que les députés communistes ont observée depuis la première LPM. Les euros dépensés aujourd'hui permettront d'assurer la dissuasion dans quinze ou vingt ans ; nous vivons donc sous l'empire des crédits votés il y a deux décennies. Cela explique ces décalages qui ne sont pas toujours évidents à comprendre. Nous reviendrons sur cette question du rapport au temps.

Vous avez tous souligné que cette LPM avait été exécutée à l'euro près. Ce n'est pas vrai, puisqu'elle a été surexécutée. Le collectif budgétaire que vous avez voté l'année dernière a en effet prévu 1 milliard de crédits supplémentaires pour financer l'aide à l'Ukraine et pour contrer les effets de l'inflation. En outre, les Retex (retours d'expérience) sur l'Ukraine ont fait apparaître des besoins nouveaux, comme la nécessité de réassortir les stocks de munition sans attendre la prochaine loi de programmation.

Je me permettrai de vous demander, au titre de l'année 2023, une ouverture de crédits supplémentaires à hauteur de 1,5 milliard, afin de préparer certaines missions opérationnelles, dont la lutte antidrone dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques, pour lesquelles nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre la prochaine loi de programmation, sous peine de prendre du retard dans les commandes.

En toute rigueur, la LPM aura été surexécutée à hauteur de 2,5 milliards. Je vous demanderai donc de regarder désormais les marches, non plus comme des plafonds, mais comme des planchers. Cela permet de construire le budget de façon différente. Nous y reviendrons lors de la discussion parlementaire, car je sais que vous aurez des questions à ce sujet.

La LPM 2019-2025 a été présentée comme une LPM de réparation. Florence Parly a beaucoup insisté sur cette logique, qui supposait que le modèle de notre armée avait été abîmé. Je n'y reviendrai pas mais j'évoquerai rapidement, dans le peu de temps de parole qui me reste, quelques-uns des enjeux.

Celui des infrastructures est énorme puisque 12 milliards lui ont été consacrés sur la période précédente. Nous poursuivrons cet effort en y dédiant 16 milliards sur la période à venir. L'inertie est très forte, comme dans les collectivités territoriales : entre le moment où les crédits sont votés et celui où les grues commencent à être installées sur une base aérienne ou dans une caserne de régiment, beaucoup de temps peut se passer. Ce que vous avez voté en 2018 ne commence à se voir que maintenant dans les unités. Cette inertie touche tous les grands programmes d'infrastructure, qu'ils soient civilo-militaires, quand ils concernent les logements par exemple, ou strictement militaires.

Les capacités militaires ne se réduisent pas aux gros objets. Je veux souligner l'importance de l'effort consenti pour les équipements individuels – dont vous avez peu parlé –, question d'ailleurs liée à celle de la fidélisation. Les tenues, les équipements de protection comme les gilets pare-balles ou les armements individuels sont des attentes fortes de nos soldats. Les objectifs concernant les équipements collectifs – « Scorpionnisation » du parc de blindés de l'armée de terre, nouvelle génération de sous-marins nucléaires – ont été grandement remplis.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué les ressources humaines et le volet social. Le plan « famille » constitue une bonne base. Il faut construire celui qui lui succédera, en lien avec les collectivités territoriales, en y consacrant plus d'argent et de façon mieux ciblée, car la réalité en Île-de-France n'est pas la même qu'à Toulon ou à Pau. Il nous faudra faire du sur-mesure. Je vous ferai des propositions en ce sens dans le cadre de la LPM 2024-2030.

Mesdames et messieurs les députés – et je m'adresse plus particulièrement à vous qui siégez à gauche –, je vous demande de ne pas balayer d'un revers de la main les choix concernant les indemnités. La NPRM prévoit que la prime du combattant sera versée en octobre prochain. L'argent public a un prix pour le contribuable ; on ne peut pas dire que l'indemnitaire compte pour du beurre et que seul l'indiciaire compte. Les demandes concernant l'indemnitaire existent depuis des années. Il ne faut pas l'oublier, même si, comme le rappelait le député Kervran, le gâteau n'a peut-être plus de goût.

Ces mesures indemnitaires ne ferment pas le chantier indiciaire. Ce chantier, pour lequel je vous ferai des propositions, prendra du temps pour être mené à bien car il demande une réflexion sur les transformations de la composition des ressources humaines, notamment dans l'armée de terre qui, de plus en plus, devient une armée de sous-officiers.

Je dépasserai un peu mon temps de parole pour évoquer le point noir de l'exécution de la LPM : les cibles d'ETP. Les armées n'ont pas de mal à embaucher mais il leur est difficile de fidéliser. Le problème est vieux comme le modèle d'armée, le taux de rotation ayant toujours été très important, ce qu'il faudrait documenter. Ce qui est nouveau, c'est que le problème de fidélisation touche des fonctions stratégiques, comme celles du cyber. La fidélisation y est encore plus nécessaire car, compte tenu de l'effort important de formation qu'elles supposent, il faut conserver les compétences au sein de l'armée.

D'autres points auraient mérité d'être développés, mais le temps me manque. Je mentionnerai rapidement l'équilibre entre la masse et la cohérence, qui dépend de la disponibilité des matériels et de leur maintien en condition opérationnelle (MCO). Nous avons vu par le passé trop de tableaux capacitaires ambitieux et sympathiques, dont la réalisation se heurtait au manque de pièces détachées, de formation ou d'infrastructures d'accueil. Nous devons renverser cette tendance pour tenir compte des matériels réellement disponibles pour les missions confiées aux armées plutôt que de désigner des cibles théoriques.

La LPM 2019-2025 a permis de réaliser, notamment grâce à la création de l'Agence de l'innovation de défense (AID) des sauts technologiques et des innovations, notamment dans le domaine spatial. Je rappelle, madame la présidente Chatelain, que cette LPM a été la première à porter des ambitions en matière de transition écologique et énergétique. Ont-elles été suffisantes ? Nous pourrons en débattre. Cette période a également vu, pour la première fois, des femmes monter à bord de sous-marins nucléaires d'attaque et a connu le plus grand nombre de femmes nommées dans le corps des officiers généraux. J'ai d'ailleurs eu l'honneur de proposer au Conseil des ministres la nomination de la première générale d'armée cinq étoiles dans l'histoire de notre république. La féminisation avance donc.

En guise d'ouverture à la suite de nos débats, je voudrais souligner que, avant de parler de questions organiques, de marges frictionnelles, de reports de charges, de ressources extrabudgétaires ou du nombre de blindés Scorpion, il faut être au clair sur la nature de nos alliances, multilatérales comme bilatérales, sur la place de la dissuasion nucléaire comme voûte de notre défense globale – je reconnais que la position du groupe communiste sur cette question a le mérite de la cohérence et de la constance – et sur les missions que l'on souhaite confier à l'armée française. Ce sont elles qui doivent définir le format d'armée plutôt que le souci de popularité auprès de tel ou tel industriel.

Je vous remercie pour ce débat qui constitue une bonne base pour poursuivre le travail sur notre défense nationale.

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