Je vous remercie pour votre franchise et votre précision. Nous sommes là au cœur du problème.
Vous vous référez à la décision de la cour d'appel mais, s'il y a eu appel, c'est parce que des juges, en première instance, avaient rendu un avis contraire, c'est-à-dire favorable. On ne va pas se convaincre, mais à ce moment-là, le trouble à l'ordre public résultait plutôt de leur maintien en détention que de leur éventuelle libération. D'ailleurs, l'arrêt de la Cour de cassation est venu contrarier, pour ne pas dire annihiler, l'argumentaire reposant sur le risque d'un trouble à l'ordre public, qui était reproduit année après année et qui, politiquement, nous posait problème – et qui continue de poser problème aux membres de cette commission. Au nom de la gravité des actes commis et d'un risque d'évasion qu'auraient facilité leurs liens avec la mouvance terroriste, on a maintenu année après année leur statut de DPS, sans tenir compte de leur parcours en détention. Or ce statut de DPS empêchait leur transfèrement. C'était tout l'objet des débats contradictoires avec la société et les élus corses. Je peux vous dire que les insulaires – et je ne parle pas seulement des partisans politiques de MM. Alessandri et Ferrandi – ne partageaient pas du tout l'idée que leur détention en Corse représenterait un trouble à l'ordre public, ni même qu'ils risquaient de s'évader. Depuis, leur mise en semi-liberté a été acceptée. Tout ça pour ça…
Ce qui a suscité l'émoi, c'est aussi le fait que la commission locale de Poissy avait émis, à plusieurs reprises, un avis favorable à la levée du statut de DPS de Pierre Alessandri – même si celui-ci ne vous liait pas, ni le Premier ministre ni vous-même. Cela ne faisait que renforcer l'incompréhension des partisans de la levée de ce statut, d'autant plus que la sous-direction antiterroriste (Sdat) en particulier nourrissait, quant à elle, l'argument fumeux du risque de trouble à l'ordre public en dépeignant le tableau d'une société corse presque en état de guerre – j'exagère à peine. Or je peux vous dire, pour avoir grandi en Corse, que la situation, en 2019 et 2020, n'avait rien à avoir avec celle des années 1984 à 1988.
Vous avez évoqué la décision du Conseil d'État de 2018. Pour ma part, je ne conteste pas cette décision. Je dis seulement que le Conseil d'État n'est pas revenu sur l'un des moyens retenus par le tribunal administratif de Toulon pour débouter le garde des Sceaux, à savoir la fausse réunion de la commission locale DPS en décembre 2011. Ce contentieux a montré l'ingénierie mise en œuvre par l'administration pénitentiaire pour produire de faux documents et un avis qui, certes, comme le dit le Conseil d'État, ne liait pas le garde des Sceaux, mais qui témoigne d'une volonté de nuire. Une telle initiative a bien eu lieu. Nous avons eu un débat analogue avec Mme Taubira au sujet de la vraie-fausse tentative d'évasion d'Yvan Colonna qui a justifié son transfert très temporaire à Réau, en urgence, avant son retour à Arles. Ces événements font partie de cette histoire chaotique.
Sur la question de la levée du statut de DPS, comme sur celle des travaux à réaliser au centre de détention de Borgo, il y a bien eu une gestion particulière. L'ancien Premier ministre a dit que des discussions avaient eu lieu, au sein de son cabinet, au sujet de cet établissement. Il a évoqué aussi le rapport de l'IGJ sur la prison de Borgo qui, disait-il, n'était pas directement lié à cette question et ne l'évoquait pas stricto sensu. Cependant, pour en avoir discuté avec le chef de l'inspection, il s'agissait notamment de « mesurer l'impact éventuel des difficultés du centre pénitentiaire sur la prise en charge des détenus, au regard notamment de la spécificité de cet établissement où sont actuellement incarcérés cinq détenus nationalistes corses, et mesurer l'éventuelle vulnérabilité de la structure au regard de cette spécificité ». Le rapport d'inspection a ensuite recommandé, notamment, de réaliser des travaux de vidéosurveillance et a également évoqué la question des miradors. Ces travaux ont fait l'objet d'un appel d'offres, consécutif à l'inspection et parallèle aux discussions que j'évoquais, au cours d'une période allant de la fin de l'année 2021 au premier trimestre 2022, avant que le drame ne survienne.
Tout cela a existé ; je tenais simplement à mettre des mots sur ces éléments d'appréciation.