Je comprends votre attitude compte tenu de la responsabilité qui est la vôtre dans ce contexte. Toutefois, le rôle de la commission d'enquête est de tenter de comprendre pourquoi un détenu classé « haut du spectre » du terrorisme islamiste a pu bénéficier d'un poste d'auxiliaire. On ne peut pas, d'un côté, nous dire qu'on ne pouvait pas transférer ce détenu en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) en raison de son état psychique et, de l'autre, affirmer qu'il n'était pas atteint au point qu'on ne puisse lui confier un emploi. Selon la cheffe du pôle psychiatrie d'Arles, s'il avait été psychiquement atteint, sa place aurait été en hospitalisation ou à l'isolement, et non en QER ou en détention ordinaire. D'autres acteurs nous disent qu'il n'avait rien à faire en emploi puisqu'il était classé « haut du spectre ». C'est pour tenter d'y voir clair dans ces contradictions que M. le rapporteur vous a posé cette question.
Récemment, M. le rapporteur et moi-même avons été destinataires de la fiche particulière concernant Franck Elong Abé dans le logiciel Genesis, qui est l'outil de travail utilisé par les surveillants pour faire remonter leurs observations, pour la période allant de 2014 à 2023. Nous avons été étonnés de découvrir qu'elle ne contenait pas la moindre observation à compter du 29 janvier 2022, alors qu'on en recensait en moyenne trois à six par mois, quels que soient les établissements où il avait été détenu. À la suite de nos interrogations, l'administration pénitentiaire nous a fait parvenir un complément d'information sous la forme d'un « onglet à part », dans lequel des observations ont été notifiées en raison de la surveillance accrue dont Franck Elong Abé et Yvan Colonna faisaient l'objet. Cela nous trouble beaucoup dans la mesure où l'on ne comprend pas la raison d'être de cet onglet spécifique dès lors qu'il existe un logiciel dédié.
Par ailleurs, suite à notre sollicitation, le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) nous a transmis une information dont nous n'avions pas connaissance : le renseignement pénitentiaire a reçu le 14 mars 2022, soit douze jours après les faits, plusieurs observations effectuées par une agente le 1er mars, c'est-à-dire la veille de l'agression. Si certaines de ces observations sont mineures, comme le transfert de paquets de pâtes, deux d'entre elles ont retenu notre attention : une conversation entre trois détenus, dont Franck Elong Abé, pendant laquelle elle entend « Je vais le tuer », sans toutefois pouvoir identifier l'auteur de ces mots, et le changement de comportement de Franck Elong Abé, qui vidait sa cellule. Après être allée dans les cellules pour vérifier le comportement des trois participants à la conversation, elle notifie la discussion à ses supérieurs hiérarchiques. Or, si l'on trouve bien dans l'onglet l'information sur les paquets de pâtes, les deux autres observations n'apparaissent ni dans le logiciel ni dans l'onglet. Cela nous intrigue d'autant plus que le renseignement pénitentiaire nous dit être en possession de ces informations depuis le 14 mars seulement, soit postérieurement aux faits.
Ces éléments vous paraissent-ils plausibles ou, au contraire, étranges du point de vue de l'organisation ? Vous semble-t-il normal que le logiciel Genesis ne contienne plus aucune observation concernant Franck Elong Abé à partir du 29 janvier 2022 ? L'onglet complémentaire nous a été présenté comme ayant vocation à faciliter le travail de saisie des agents. Que pensez-vous de ce fonctionnement ? Il ne s'agit pas d'incriminer l'agente en question car il existe des écrits concernant les observations qu'elle a fait remonter.