Nous entamons l'examen d'un texte portant diverses mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France – diverses, car, entre sa présentation à la commission des affaires sociales et son examen en séance, le texte, de proposition de loi sans ambition, s'est mué en une proposition de loi « puzzle », où les demandes de rapports se transforment en liste de course témoignant d'un véhicule législatif inapproprié et restreint, d'une coquille vide se résumant à quelques accroches ; où les expérimentations sont pérennisées sans étude d'impact ; où sont insérées des mesures issues des conclusions du CNR « Bien vieillir » et d'autres potentiellement issues des états généraux de la justice ; où les mesures de coordination de l'offre sanitaire, sociale et médico-sociale sur le territoire ne sont assorties d'aucune projection financière.
Dans un souci d'honnêteté, je reconnais qu'il y a quelques avancées à déceler dans ces pièces éparses, comme la création d'une réserve sur les bénéfices des Ehpad privés lucratifs, ou encore le développement et la sécurisation de l'accueil familial, que le groupe Écologiste – NUPES appelait de ses vœux. Mais soyez honnêtes à votre tour, monsieur le ministre, chers collègues : nous ne voterons pas une grande loi dédiée au grand âge et à l'autonomie, mais seulement une loi en kit, construite à coups d'amendements des rapporteures et du Gouvernement.
Je sais pourtant la sincérité qui anime ceux qui, sur l'ensemble de ces bancs, souhaitent que soit examinée dans notre hémicycle une véritable loi « grand âge et autonomie ». Certains l'attendent depuis des années et ont épluché des rapports, quand ils n'en ont pas produit. Je sais la sincérité des auteurs de cette proposition de loi et de ses rapporteures. C'est bien pour cette raison qu'elle vous divise. Comme pour la réforme des retraites, vous essayez de tenir, tant bien que mal, mais cette proposition de loi vous divise, parce que vous savez qu'elle n'est pas à la hauteur.
Vous savez que la France devra faire face à une révolution démographique. Vous savez qu'à partir de 2025, et pendant trente ans, elle subira une hausse massive du nombre de personnes âgées de 85 ans en perte d'autonomie. Vous savez que le modèle d'accompagnement de la perte d'autonomie liée à l'âge a fortement évolué pendant ces vingt dernières années, au cours desquelles le modèle de la maison de retraite s'est progressivement éteint pour laisser place à celui de l'Ehpad. Vous savez aussi que si le virage domiciliaire a été engagé, il reste beaucoup à faire pour répondre au souhait de chacun et de chacune de vieillir à domicile lorsque c'est possible. Vous savez que la révolution du bien vieillir ne sera pas envisageable sans une transformation profonde de l'offre sociale et médico-sociale. Enfin, je ne vous apprendrai rien non plus en soulignant que cette dernière ne saurait être engagée à moyens constants et que ce n'est certainement pas l'affectation à la cinquième branche de 0,15 point de CSG supplémentaire qui changera la donne.
La création de cette cinquième branche, rappelons-le, a soulevé un grand espoir, parmi les personnes accompagnées comme parmi les professionnels de terrain : reconnaître le cinquième risque que constitue la perte d'autonomie, c'était enfin reconnaître qu'il devait faire l'objet d'une politique de solidarité nationale. J'insiste sur les mots « perte d'autonomie », car abandonner la loi « grand âge et autonomie », c'est aussi renoncer à un texte garantissant l'autonomie des personnes en situation de handicap, lesquelles se trouvent une nouvelle fois invisibilisées. La réforme du grand âge et de l'autonomie n'aura pas lieu.
Alors oui, quand j'y pense, je songe bien évidemment aux personnes âgées qui attendent encore une nécessaire refonte de l'allocation personnalisée d'autonomie, qui subissent un reste à charge en établissement bien trop élevé ou qui ne bénéficient pas d'une offre locale adaptée à leurs besoins ou à leurs souhaits. Mais je pense aussi à tous ces jeunes adultes et adolescents en situation de handicap, bloqués dans des établissements pour adultes et exposés à des environnements traumatogènes et inadaptés, faute de places ; à ceux qui ne bénéficient pas d'un accompagnement adapté à l'école à cause du manque d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) ; ou à ceux qui décèdent aux urgences en raison d'une formation insuffisante à la prise en soin du handicap. Je pense, bien sûr, à tous les professionnels des secteurs social et médico-social qui attendaient une reconnaissance de leur profession.
Je vous propose donc de rebaptiser ce texte afin d'en aligner le fond et la forme et de l'intituler « proposition de loi en kit portant quelques briques sur le grand âge et oubliant le handicap ».