Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Taillé-Polian, rapporteure :

Si j'en crois les retours du terrain, les missions locales, chargées de l'accompagnement intensif et obligatoire dans le cadre du CEJ, ont bien du mal à proposer aux jeunes des dispositifs adaptés à raison de quinze à vingt heures par semaine. Jusqu'à présent, ces organismes pratiquaient un accompagnement global et construisaient une relation de confiance avec le jeune – c'était même tout leur intérêt. Désormais, certains agents se retrouvent à devoir lui reprocher de ne pas avoir participé à des ateliers collectifs, lesquels ne sont même pas forcément adaptés à des personnes qui, rappelons-le, sont éloignées de toute formation. Nous sommes favorables à l'accompagnement intensif, évidemment, mais ce n'est pas en imposant à des jeunes qui n'ont pas réussi à l'école et qui se retrouvent dans des situations difficiles, sans logement et en rupture familiale, des dispositifs rappelant le milieu scolaire qu'ils s'en sortiront.

Madame Guichard, vous parliez de 35 000 nouveaux boursiers, mais 40 000 avaient perdu leur bourse l'année dernière ! Le barème n'ayant pas été revu, il a suffi d'une légère hausse des revenus liée à l'inflation pour qu'ils ne soient plus éligibles. Mme Retailleau, même si je l'en remercie, ne fait donc que réparer un énorme raté de sa prédécesseure. Si elle n'avait rien fait, 120 000 nouveaux foyers seraient sortis du dispositif cette année.

En ce qui concerne la revalorisation, je trouve étonnant que tous les boursiers touchent 37 euros de plus par mois, que leur bourse soit de 100 euros mensuels ou de 580, alors que vous expliquez sans arrêt qu'il faut cibler les dispositifs au plus près. Ceux qui bénéficient du niveau de bourse le plus élevé devraient avoir droit à une revalorisation qui correspond à l'inflation qu'ils subissent. À cet égard, il faudrait se fonder plutôt sur l'inflation des produits alimentaires, qui est de l'ordre de 14 % ou 15 %, que sur l'inflation globale, qui s'élève à 6 %.

Monsieur Masson, vous préféreriez que l'on accompagne la jeunesse vers le travail. Je vous invite à travailler vous-même davantage, car les chiffres que vous avez donnés sont totalement faux. Notre proposition ne concerne pas du tout les héritages des classes populaires. Au total, 50 % de la population hérite de moins de 70 000 euros. Si l'on tient compte du fait qu'un tiers des foyers n'hérite de rien du tout et un deuxième tiers de pas grand-chose, on mesure l'ampleur des inégalités. Quand on sait que 10 % de la population hérite de plus de 500 000 euros, la concentration des richesses devient évidente. Qui plus est, selon le CAE, organisme placé sous l'autorité du Premier ministre, le taux réel appliqué aux 0,1 % des plus riches est non pas de 45 %, comme le prévoit le code général des impôts, mais de 2 % à 3 %. Trouvez-vous normal que les 0,1 % les plus riches transmettent leur patrimoine en ne payant quasiment rien ? Moi non, surtout au regard de la très grande pauvreté et de la précarité de la jeunesse.

Monsieur Boyard, le SNU ne devrait effectivement pas être généralisé, et je m'en réjouis. Grâce à cette décision, 2 milliards d'euros, au bas mot, pourront être réorientés vers la jeunesse.

Madame Corneloup, vous ne voulez pas de l'assistanat dès le plus jeune âge. Pour ma part, je considère qu'il faut surtout supprimer l'assistanat pour les personnes aisées d'un certain âge : entre les notaires et les conseillers fiscaux, les détenteurs des patrimoines les plus importants sont vraiment très assistés quand il s'agit d'échapper à l'impôt et de profiter de toutes les niches qui mitent la fiscalité des successions ! Il faut remettre tout cela à plat. Cela nous permettra de dégager chaque année plusieurs milliards d'euros en faveur de politiques d'égalité, sans pour autant empêcher quiconque de vivre.

Monsieur Cosson, vous me reprochez l'absence d'étude d'impact. Moi aussi, j'aurais bien aimé en avoir une, mais pour cela il faudrait que la NUPES soit au gouvernement – ce qui se produira le plus rapidement possible, espérons-le. Il n'en demeure pas moins que je m'appuie sur des études très précises, dont celle du CAE. À ce propos, j'ai été extrêmement étonnée qu'il n'existe aucun chiffre du ministère, aucune étude s'agissant du non-recours aux bourses. Pourtant, chacun sait bien que le non-recours est un problème généralisé dans les aides sociales. Mais personne ne se demande si des étudiants qui pourraient y avoir droit les perçoivent...

Tout à l'heure, madame Parmentier-Lecocq, j'étais aux Invalides. Ce n'était pas une fausse distribution alimentaire : il y avait de vraies personnes, notamment des étudiants. J'ai interrogé une étudiante en deuxième année de droit et une autre en troisième année de philo, qui ne touchent pas de bourse – j'ai vérifié, parce que je savais ce que vous alliez me le demander, qu'elles ne sont pas les filles de Bernard Arnault. Elles m'ont toutes les deux dit qu'elles avaient eu des difficultés pour accéder aux dossiers. Certes, je ne connais rien de leur vie, mais je suppose que ce n'est pas par plaisir qu'elles sont venues faire une heure et demie de queue pour recevoir un litre de lait. Cela illustre le fait qu'il y a de vrais problèmes d'accès aux droits.

Monsieur Christophe, le Gouvernement a effectivement décidé des aides exceptionnelles. Non seulement elles ne sont pas suffisantes, mais, par nature, elles sont ponctuelles, comme c'est trop souvent le cas pour les aides ciblant les ménages les plus en difficulté. En leur offrant une aide pérenne, nous souhaitons donner aux jeunes la capacité à se projeter, à construire leur parcours, à mieux réussir leurs études, en leur évitant notamment de devoir rater des cours pour aller travailler.

La métropole de Lyon a constaté, depuis qu'elle a créé une aide supplémentaire, il y a un an et demi, que les jeunes émargeant au dispositif n'y restaient pas : le fait de pouvoir compter sur une aide au long cours, de savoir qu'ils auront de quoi manger accroît considérablement leur capacité à rebondir. Cela leur donne confiance. C'est la même idée ici.

Je tiens à vous alerter sur le fait que la contemporanéisation des APL a fait beaucoup de perdants, notamment chez les jeunes : la réforme s'est traduite par une diminution de 6 euros par mois en moyenne pour les étudiants et de 100 euros pour les jeunes travailleurs. C'était une décision de gestion destinée à faire baisser le coût des APL. Malheureusement, elle a fait des dégâts.

Selon vous, le Gouvernement a fait beaucoup. Vous avez énuméré les dispositifs, mais en oubliant que les uns avaient remplacé les autres. Je me souviens très bien de Mme Dubos nous disant qu'elle allait créer un revenu universel d'activité et qu'il s'agirait d'une forme d'élargissement du RSA aux moins de 25 ans. Nous attendons toujours.

Il est nécessaire, nous l'avons tous reconnu, de régler la question de la pauvreté de la jeunesse. Tel est l'objectif de cette proposition de loi, que plusieurs amendements permettront d'enrichir.

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