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Intervention de Rachid M'Barki

Réunion du mercredi 22 mars 2023 à 15h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Rachid M'Barki, journaliste :

Il ne m'a fallu que quelques instants pour trouver cette vidéo d'une à deux minutes, qui inclut des interviews – un format beaucoup plus élaboré que les trente secondes qui me sont reprochées – et qui a été mise ligne plus de six mois avant celui incriminé. Après quelques recherches et vérifications complémentaires, j'ai retrouvé, sans aucune difficulté, d'autres articles sur ce même sujet de l'impact économique, en France, des sanctions internationales contre les oligarques russes, traité par 20 minutes, Slate, Var-Matin ou Ouest-France. Il y en a peut-être d'autres.

Je tiens à apporter une précision importante : M. Métézeau a affirmé à plusieurs reprises que je n'avais pas respecté la ligne éditoriale de BFM TV. Or ni lui ni les journalistes qui – dans la presse écrite, à la radio ou à la télévision – ont repris à leur compte cette affirmation n'ont pris la peine d'expliquer quelle était cette ligne éditoriale. Sans doute d'ailleurs parce qu'eux-mêmes l'ignoraient et parce que, s'ils s'étaient donné la peine d'interroger BFM TV à ce sujet, ils se seraient peut-être posé des questions. Pour ma part, après dix-huit années passées au sein de cette entreprise, j'ai découvert ce qu'était cette ligne éditoriale en lisant le courrier qui me notifiait mon licenciement : « la couverture d'une actualité chaude et quotidienne en résonance avec les préoccupations des Français ». Comment M. Métézeau a-t-il pu considérer qu'un sujet traitant des conséquences, sur certains secteurs de l'économie française, des sanctions prises contre les oligarques russes ne respectait pas cette ligne éditoriale ?

Votre commission s'intéresse aux possibles ingérences de puissances étrangères, visant à influencer, à corrompre des relais d'opinion. Il s'agit d'une question très importante et les journalistes doivent être très vigilants à cet égard. Cela a toujours été ma ligne de conduite. Mon nom a été injustement associé à cette enquête, ce qui me vaut d'être devant vous aujourd'hui. Entendons-nous bien : je ne remets pas en cause le travail fait par mes confrères de Forbidden Stories . Simplement, en ce qui me concerne, et plus largement en ce qui concerne la France, un véritable tournant s'opère. M. Métézeau l'a dit lui-même au cours de l'une de ses multiples interventions de ces dernières semaines : lorsque Team Jorge lui montre l'extrait d'un de mes journaux télévisés, il comprend qu'il tient potentiellement un scoop. Une enquête – aussi importante soit-elle – sur une officine israélienne qui vend ses capacités de désinformation à des groupes politiques ou à des États pour influencer des élections qui pour l'essentiel se déroulent en Afrique ne risque pas de créer le buzz auprès du public français. En revanche, si on peut brandir en figure de proue de cette enquête la tête d'un présentateur de journal télévisé d'une grande chaîne, dont le nom et le visage sont un peu connus des Français, on crée une affaire. On sait que cette histoire sera reprise partout et par tout le monde et on donne, par la même occasion, une exposition médiatique inespérée à l'enquête à laquelle on participe. En l'occurrence, celle de Forbidden Stories devient, à ce moment-là, l'affaire M'Barki. Et cela, M. Métézeau l'a immédiatement compris. Il n'a eu de cesse ensuite de donner de la substance à ce qui, à la fin, se révèle n'être qu'une fable, pour ce qui est de ma prétendue implication tout au moins. Le procédé qu'il a utilisé est, selon moi, tout à fait scandaleux. M. Métézeau est allé directement me dénoncer, sans même prendre la peine de m'interroger au préalable ni de me confronter aux allégations de Team Jorge.

Mi-janvier, M. Fogiel, directeur général de BFM TV, me demande de passer le voir dans son bureau. Il me montre rapidement, sur son téléphone, des extraits de mes journaux télévisés et me demande si j'ai été payé pour passer des informations à l'antenne. Je nie bien évidemment ces accusations. Je suis cependant suspendu, éloigné de l'antenne, le temps, m'explique-t-on, que la direction de BFM TV mène une enquête interne. À aucun moment, ni ce jour-là ni par la suite, je n'ai été informé que c'était M. Métézeau qui était à l'origine de ce qui m'arrivait. M. Fogiel ne m'a rien dit et M. Métézeau ne m'a pas averti du rôle qu'il avait joué et que j'ai découvert beaucoup plus tard, lorsqu'il l'a confessé dans les médias.

Ce procédé m'apparaît tout à fait contraire non seulement au respect de la présomption d'innocence, à laquelle je vous sais tous très attachés, mais également aux principes qui régissent la déontologie des journalistes. Sandrine Rigaud, qui est la rédactrice en chef du consortium, vous a affirmé ici même que ces principes étaient rigoureusement appliqués au sein du collectif Forbidden Stories. Elle a notamment rappelé le respect du contradictoire et l'obligation pour le journaliste de vérifier les informations qui lui sont fournies, ce qu'elle a appelé le fact checking. En l'occurrence, il n'y a eu aucun respect du contradictoire me concernant puisque j'ai fait l'objet d'une dénonciation sans jamais en avoir été informé, dénonciation qui a déclenché l'enquête interne dont j'ai fait l'objet, au cours de laquelle je n'ai jamais été entendu par mon employeur. Jamais. Cette enquête a ensuite fuité dans la presse, ce qui m'a valu d'être immédiatement désigné comme coupable et de faire l'objet d'une procédure disciplinaire qui s'est soldée par mon licenciement. Des journalistes de Forbidden Stories – et M. Métézeau n'en faisait pas partie – m'ont sollicité seulement la veille de la publication de leur enquête, qui avait pourtant duré plusieurs mois. Ils m'ont indiqué que je devais répondre au plus tard le lendemain, c'est-à-dire le jour de la parution de l'enquête.

Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, la presse française faisait état depuis plusieurs mois des conséquences des sanctions contre la Russie et ses oligarques sur certains secteurs de l'économie nationale. Si M. Métézeau, au lieu de me dénoncer, avait pris soin de faire son travail de vérification, d'abord en me sollicitant, ensuite en recherchant ce qui avait été publié sur ce sujet, il se serait très vite rendu compte qu'il était peut-être, lui-même, victime de désinformation. Team Jorge, qui pensait avoir affaire à de potentiels clients – c'est ce qu'il a expliqué –, lui a donc fait croire à des fins commerciales et marketing qu'il disposait de relais dans la presse française ; M. Métézeau était peut-être beaucoup trop heureux de le croire. Quant à la présomption d'innocence, M. Métézeau a clairement expliqué que j'étais corrompu. C'est une pure et simple calomnie, qui a été largement reprise par les médias. M. Métézeau s'est fait un nom sur mon dos, à mes dépens, grâce à « l'affaire M'Barki », qu'il aura finalement construite lui-même de toutes pièces, au risque in fine de jeter le discrédit sur l'enquête Story Killers tout entière. Enquête qui ne se résume pourtant pas, fort heureusement, aux seules accusations portées injustement contre moi.

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