Intervention de Jean-Philippe Tanguy

Réunion du jeudi 30 mars 2023 à 9h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Tanguy :

Je ne ferai pas durer inutilement le suspense : nous voterons pour ce rapport.

Au nom de mon groupe, je tiens tout d'abord à remercier le président, le rapporteur, l'administration ainsi que l'ensemble des forces politiques qui ont participé à nos travaux.

Je salue la très grande qualité de ce rapport, y compris dans sa rédaction : ses plus de 400 pages sont bien écrites, accessibles à tous, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. La grande qualité des illustrations contribue également à la bonne compréhension du rapport par tous : c'est d'autant plus important que nos travaux ne sont pas destinés à nous-mêmes, mais à l'extérieur.

Je salue également la méthode de travail choisie par le président. Je le dis d'autant plus volontiers que j'ai d'abord été inquiet, le groupe Rassemblement national n'ayant pas été associé au bureau de la commission d'enquête. Je reconnais que cela n'a pas nui au bon déroulement des auditions et que les orientations prises ont été les bonnes. Vous avez écouté tous les groupes, y compris ceux qui n'étaient pas représentés au sein du bureau. Vous avez sans doute vous-même pu apprécier que l'ensemble des forces politiques aient participé à cette commission avec la volonté de bien travailler, et non de faire du cinéma. La qualité de nos travaux tient aussi à la liberté de parole que vous nous avez laissée et au temps qui nous a été accordé, en particulier à moi-même ainsi qu'aux députés du Rassemblement national qui ont parfois été bavards – ce sont des sujets qui nous intéressent. Chacun a pu exprimer le vrai fond de sa pensée, de ses réflexions, sans postures ni caricatures. Cela nous a permis d'avancer. Mon groupe politique considère que la vérité vient toujours du débat. Je ne partage évidemment pas toutes les analyses ni toutes les conclusions du rapport ; cela n'empêche pas ce document d'être fondé en fait et en raison.

Cette méthode méritera d'être employée à nouveau sur les sujets de fond qui couvrent plusieurs décennies et concernent forcément, du fait de l'alternance démocratique, plusieurs majorités différentes. Les polémiques politiciennes et les postures partisanes n'ont aucun intérêt, en particulier sur des sujets scientifiques. Je salue à ce titre la valorisation de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Si on avait lu les travaux de cette instance parlementaire, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

Je me félicite que vous soyez remonté au milieu des années 1990, ce qui vous a non seulement permis d'analyser le cycle nucléaire dans la durée, comme nous l'avions préconisé, mais aussi évité d'être accusé de produire un rapport partisan ou de régler des comptes, ce qui n'aurait eu aucun intérêt.

Permettez-moi de vous alerter, monsieur le rapporteur, sur les deux pages de propos introductifs du titre III que vous avez ainsi nommé : « Depuis 2017, la priorité donnée à la neutralité carbone et, récemment, une relance du nucléaire qui restent toutes les deux à concrétiser. » Votre écriture est libre, mais je crains que ces deux pages ne soient pas de la même qualité et ne témoignent pas de la même neutralité que le reste du rapport. C'est dommage car vous connaissez comme moi le phénomène médiatique : je redoute que certains se servent de ce passage pour vous accuser d'avoir voulu sauver le bilan de M. Macron.

Un autre regret de notre groupe, peut-être lié à la séparation des pouvoirs et aux limites des commissions d'enquête, est que M. Macron ne soit pas mentionné en qualité d'ancien ministre de l'Économie – je peux cependant me tromper car j'ai dû lire les 400 pages du rapport en quatre heures. M. Emmanuel Macron a joué, pendant le quinquennat de M. François Hollande, un rôle qu'il ne faut pas passer sous silence.

Comme Mme Battistel, j'estime que nous n'avons pas assez mis en avant les guéguerres internes à l'oligarchie, aux grands corps, aux élites qui se connaissent toutes et restent très concentrées en France – cela a certes des avantages, mais également des inconvénients. Ce regret rejoint l'un des désaccords que j'ai avec la commission : à mon sens, la notion de responsabilité doit être davantage affirmée, que ce soit celle des politiques ou celle de certains experts et hauts fonctionnaires. Lors de son audition, M. Montebourg a souligné la nécessité de mettre en place un spoil system. C'est même une nécessité ardente : les responsables politiques doivent avoir la possibilité d'écarter, sans que cela soit perçu comme un abus de droit, des hauts fonctionnaires, des membres des grands corps ou des personnalités qui exercent une influence structurelle susceptible de devenir toxique pour l'État qu'ils sont pourtant censés servir. Nul n'est parfait, nul n'est inattaquable, pas même les grands corps. C'est la base de notre démocratie.

Un autre de nos désaccords porte sur les traités européens et le rôle joué par l'Allemagne. Si cette dernière est évidemment une puissance alliée et un partenaire stratégique, il n'en demeure pas moins que plusieurs personnalités auditionnées très différentes l'ont décrite comme une puissance hostile, ou en tout cas agressive dans le domaine de la politique énergétique. Ce n'est pas parce que l'Allemagne est une amie que nous ne pouvons pas avoir avec elle des désaccords profonds. Un ami peut vous vouloir du bien, mais parfois aussi, de manière inconsciente, du mal.

Le rapport souligne que notre pays s'est trop focalisé sur le débat autour du nucléaire, au détriment de la sortie des énergies fossiles. Cela me fait plaisir car c'est ce que je dis depuis vingt ans sans intéresser personne ! À mon sens, il convient de mieux réfléchir aux différentes perspectives permettant de sortir vraiment des énergies fossiles. Cela rejoint la question de la difficulté de prendre des paris technologiques. Alors que nous avons déjà perdu trente ans, nous ne pouvons plus nous permettre de faire des paris technologiques remettant en cause la réindustrialisation de la France et la capacité de notre pays et des grandes puissances industrielles à réussir la transition énergétique. Dans le cas contraire, nous courrons à la catastrophe : le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) est alarmant, et personne ici ne veut laisser à ses enfants ou à ses neveux et nièces un monde où la température moyenne aurait augmenté de quatre degrés. Les paris technologiques sur la sobriété, sur l'efficacité énergétique ou sur les 16 % d'énergies d'appoint évoqués dans le rapport de RTE (Réseau de transport d'électricité), dont nous ne savons toujours pas à quoi ils correspondent, sont dangereux, et nous ne pouvons pas nous permettre de les perdre. C'est pourtant ce qui est arrivé ces trente dernières années, en particulier du côté allemand. Seul le pari du nucléaire fait dans le cadre du plan Messmer a été réussi.

Les auditions que nous avons menées ont mis en avant les difficultés rencontrées en termes de maîtrise de compétences et de maîtrise de filière, qui sont très bien décrites dans le rapport et correspondent à des questions vitales. Or les plans de charge et de formation adoptés aujourd'hui laissent présager un risque de nouveau creux nucléaire, qui serait d'autant plus préjudiciable que le niveau de coopération européenne, occidentale ou avec des pays comme l'Inde est faible. Il est peut-être paradoxal que ce soit nous qui évoquions cette question, mais je veux ici lancer une bouteille à la mer : le Rassemblement national ne s'opposera pas à une coopération européenne ou internationale en matière de nucléaire car ce sujet est trop important pour faire du nationalisme ou du chauvinisme « à deux balles ». Je regrette que la main que j'ai déjà tendue plusieurs fois n'ait pas été saisie.

Il reste deux grands sujets sur lesquels nous sommes en désaccord ou nous nous posons des questions.

Le premier concerne la fermeture de Fessenheim. Contrairement à ce que vous pouvez croire, je suis arrivé dans cette commission d'enquête en pensant que c'était trop tard. Les auditions ont plutôt contredit mon intuition : il est certes trop tard pour rouvrir la centrale pour cinquante ans, mais il est possible de s'en servir pour autre chose – d'en faire un laboratoire ou une centrale à hydrogène ou à chaleur, par exemple. J'en reviens au spoil system : l'affaire de Fessenheim laisse à voir une caricature de l'orgueil des grands corps et des décideurs publics qui refusent de reconnaître qu'ils se sont trompés, car l'État ne peut jamais se tromper ! Nous avons deux outils industriels de grande qualité, qui valent plusieurs milliards d'euros : les mettre à la poubelle alors que nous sommes dans le pétrin en matière de transition énergétique, c'est une responsabilité que je ne prendrais jamais et que personne ne devrait prendre.

S'agissant enfin de la cogénération, je ne comprends pas que cette technologie qui ouvre des perspectives considérables, notamment dans le tertiaire et le logement, ne soit pas davantage encouragée alors que les auditions sont plutôt allées dans ce sens. Le rapporteur lui-même a dit plusieurs fois publiquement, y compris dans l'hémicycle, qu'il ne s'agissait pas d'une impasse technologique. Il y a là une énorme filière à lancer, mais cela demande une fois de plus d'agir de manière transpartisane, en se fondant sur les faits et la raison.

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