Intervention de Antoine Armand

Réunion du jeudi 30 mars 2023 à 9h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Armand, rapporteur :

Je salue l'initiative du groupe Les Républicains, qui a demandé la création de cette commission d'enquête. Elle a en effet eu un écho particulier en raison du contexte. Si l'on ne peut se féliciter d'une crise potentielle, nous pouvons nous réjouir du fait que l'actualité ait ainsi permis de mettre en lumière un sujet aussi crucial, qui est souvent passé sous les radars.

Je remercie le président de la manière dont il a animé nos débats, parfois très tard le soir ou des heures durant. Chacun, notamment le rapporteur, a pu poser toutes ses questions et il nous a été possible d'avoir des interactions avec les personnes auditionnées – ce qui est assez rare – pour leur demander une confirmation ou la réponse à une question oubliée.

Je remercie à mon tour l'ensemble des services de l'Assemblée. Cela ne m'empêche pas d'endosser la responsabilité de chaque ligne du rapport. Certains des responsables politiques que nous avons auditionnés renvoyaient vers leurs anciens directeurs de cabinet, des hauts fonctionnaires ou des administrateurs pour tenter de justifier telle ou telle décision, mais c'est tout à l'honneur du politique que de prendre ses responsabilités, si essentiels que soient les appuis dont il bénéficie.

Le rapport reflète autant que possible les auditions, en y intégrant les sujets évoqués spontanément par les membres de la commission d'enquête. Il se fonde aussi sur les près de 5 000 pages de documents qui m'ont été transmises. Nous avons également intégré des thèmes très peu abordés au cours de nos travaux du fait des personnes auditionnées et de l'objet initial de la commission d'enquête : la dépendance aux énergies fossiles, la sobriété énergétique, l'efficacité. Le fait que certains thèmes, comme les énergies renouvelables non électriques, apparaissent très peu dans les auditions et dans les documents transmis est en soi symptomatique de la manière dont on a construit les politiques énergétiques pendant des décennies : en se focalisant sur un mix électrique, par ailleurs très décarboné.

Parmi les documents qui nous ont été envoyés, nous avons reçu en début de semaine les deux rapports déclassifiés que nous avions demandés : le « rapport Roussely » de 2010 – qui n'apporte aucune nouveauté par rapport à la synthèse publique dont nous disposions déjà – et le « rapport d'Escatha-Collet-Billon » de 2018 – qui était classé confidentiel-défense, m'a été transmis dans une version très caviardée du fait de l'imbrication du civil et du militaire et est difficile à exploiter, sachant que les conclusions qui en ressortent correspondent exactement à ce qui avait fuité dans la presse sur l'idée de construire une nouvelle paire de réacteurs et sur l'importance de prendre en compte l'état du parc.

Nous avons collecté toutes les auditions et les documents reçus pour dresser un état des lieux qui s'appuie autant que possible sur des données. Il s'agit d'abord de définir les termes d'indépendance et de souveraineté énergétiques pour éviter tout mythe à ce sujet : si l'on peut et doit viser la souveraineté énergétique entendue comme la réduction des dépendances, des vulnérabilités et la capacité à insérer le modèle français dans un cadre européen et international, il n'est pas question de rêver à une autosuffisance magique. Nous prenons l'exemple de la Norvège, de l'Estonie et des États-Unis pour montrer que les pays où le taux d'indépendance énergétique est très élevé n'ont pas un modèle souhaitable ou réplicable en France.

Cela n'empêche pas qu'il faut travailler sur la question de la souveraineté. C'est donc selon ce prisme que nous nous efforçons ensuite de décrire les différents types de production énergétique – et non simplement électrique – en France, en indiquant pour chacun les volumes de production, les sources de vulnérabilité, les progrès et l'historique, mais aussi les aspects industriels, car toute production d'énergie appelle un soubassement industriel pour que le modèle perdure et atteigne ses objectifs – c'est l'une de nos grandes conclusions.

Voilà aussi pourquoi j'ai choisi de parler du retard pris en matière de souveraineté énergétique, plutôt que de la perte d'une souveraineté que nous aurions détenue et qui n'aurait fait que se dégrader au fil des décennies, ce qu'aucun chiffre ni fait n'attestent. Ce que l'on constate, c'est qu'année après année, à chaque jalon, chaque point de passage, on prend un peu de retard en matière de sobriété et d'efficacité énergétiques, de décarbonation vis-à-vis des énergies fossiles, d'énergies renouvelables thermiques, puis d'énergies renouvelables électriques, et également s'agissant du parc nucléaire. C'est cet ensemble qui crée le retard accumulé.

La deuxième partie du rapport fait le récit, le plus fidèle possible aux auditions, de ce à quoi nous avons assisté. Les quinze premières années considérées apparaissent comme une période de latence pendant laquelle beaucoup de choses auraient pu et dû être faites, ce qui nous aurait évité d'être ensuite dans l'urgence. Il s'agit de la décennie post-Fukushima, où se posent les questions des énergies renouvelables électriques et de l'énergie nucléaire. La loi de 2015, dont on a beaucoup parlé, n'en est qu'un épisode. Le gros retard que nous prenons alors concerne moins le nucléaire que les renouvelables électriques. Les politiques publiques indiquent que l'on va sortir progressivement du nucléaire et développer ces énergies, mais on n'est pas en mesure de les déployer. C'est un vrai problème pour la souveraineté et pour la sécurité d'approvisionnement.

En ce qui concerne la décennie suivante, j'ai apporté à la version du rapport que vous avez pu consulter trois modifications formelles mais qui ont une importance quant au fond. Il s'agit de « durcir » le constat sur trois points : pour regretter la décision de fermeture de Fessenheim et sa méthode ; pour signaler que l'abandon, après Astrid, de toute forme de recherche sur la quatrième génération – d'après les documents reçus du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) –, au profit d'un multirecyclage qui n'a pas les mêmes propriétés, me paraît problématique ; pour souligner l'urgence de réformer le marché européen, depuis les années 2016-2018 et plus encore dans la période récente – c'est quand les prix s'élèvent qu'on voit les dysfonctionnements de ce marché et que des entreprises comme EDF sont le plus touchées.

Si nous présentons ces erreurs, ce n'est pas pour pointer des responsabilités individuelles, ce qui nous distrairait de l'essentiel : c'est dans le temps long que le processus s'opère ; les erreurs sont cumulées, combinées et multiples et émanent des entreprises, des pouvoirs publics et de la filière.

Nous formulons une trentaine de propositions, qui reposent sur une idée centrale : remettre le Parlement au centre de la décision politique en matière d'énergie, car c'est par une décision parlementaire que l'on a le plus de chances de construire du consensus à long terme, ce qui est indispensable pour ne pas remettre nos grandes orientations en cause tous les cinq ou sept ans. À cet égard, des propositions institutionnelles sont faites, mais il est de notre responsabilité à chacun de nous emparer du sujet pour faire vivre ce débat au Parlement.

Suivent des propositions plus sectorielles, par secteur énergétique, avant que soient abordées les compétences. Nous avons eu ces derniers mois des débats animés sur la rénovation énergétique, les énergies renouvelables et le nucléaire ; chaque fois, cette question revient comme une litanie. Comment former, comment attirer des jeunes vers ces métiers, comment permettre aux personnes qui travaillent dans ces filières de progresser dans leur carrière ? C'est indispensable à une politique industrielle.

Nous avons procédé avec beaucoup de prudence. Dans le rapport, toutes les prises de position sont étayées et sourcées ; quand elles ne le sont pas, c'est qu'elles émanent d'un document qui m'a été transmis – sans quoi je le précise, non pour mettre en défaut qui que ce soit mais pour établir cette absence de données. Par exemple, il n'y a jusqu'aux années 2016 à 2018 aucune trace visible année par année de l'impact de l'Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique) dans les comptes d'EDF. Cela ne veut pas dire que cet impact n'existe pas, simplement qu'EDF n'a pas été capable de transmettre un document en ce sens. Ma responsabilité de rapporteur était non pas d'écrire que l'Arenh – dispositif que je critique par ailleurs abondamment – a de tout temps été un coût pour EDF, mais d'indiquer que les déclarations en ce sens n'ont pas été étayées par des documents.

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