Les faits, aussi dramatiques soient-ils, ne doivent pas conduire à un durcissement de la prise en charge des personnes dites radicalisées en prison. Elle est déjà extrêmement dure, et l'optique sécuritaire prend le pas sur la question de la réinsertion de ces détenus. Or, les faits que vous examinez ne sont pas représentatifs de la situation générale.
Le parcours des détenus pour des faits liés au terrorisme est marqué par de très fortes restrictions en termes d'accompagnement et d'activités. En outre, ces personnes sont tellement étiquetées qu'elles ne peuvent pas montrer patte blanche : si elles ont un comportement prosélyte, on estime qu'elles sont radicalisées ; si ce n'est pas le cas, on en conclut qu'elles utilisent la technique de la dissimulation. En quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) ou en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), les échanges entre détenus sont retenus comme une charge à leur encontre. Quel que soit leur comportement, ces personnes n'ont aucune échappatoire : aux yeux de la société, elles sont – et resteront – des terroristes en puissance. En témoigne l'émergence d'un régime de « peine après la peine », où les mesures judiciaires et administratives s'accumulent à la sortie de prison.
Les discussions qui ont eu lieu au sein de votre commission ont largement abordé la question des QER et de la radicalisation, sans, peut-être, replacer dans leur contexte les problématiques carcérales. Cet homicide est l'un des huit homicides de détenus par d'autres détenus commis en 2022. Depuis 2018, il y en a eu quatorze. Ils mettent en lumière des dysfonctionnements liés à la surpopulation carcérale, qui accentue la promiscuité dans un climat de violence et de tensions, et à une carence importante de la prise en charge des personnes détenues. Cette situation entraîne des défauts de vigilance qui soulignent, en creux, l'échec de dispositifs de surveillance pourtant exorbitants. La politique pénale et pénitentiaire multiplie les mesures de sécurité : j'en donnerai pour exemples le projet de généralisation des caméras-piétons en prison et les budgets successifs de l'administration pénitentiaire où la sécurité tient une place très importante, voire plus importante que la réinsertion. Ces homicides nous montrent que le risque zéro n'existe pas : sans prise en compte de la prise en charge des personnes détenues, le contrôle et la surveillance ne suffiront pas à surmonter ces difficultés.
Ces homicides mettent aussi en exergue le défaut de prise en charge psychiatrique. La plupart d'entre eux ont été commis par des auteurs dont les propos étaient incohérents ou dont le comportement était déconcertant ; certains disaient entendre des voix. Dans le cadre de la commission d'enquête, a été évoqué le fait que M. Elong Abé était une personne psychiquement complexe. Cette question de la prise en charge des problèmes psychiatriques en prison revient assez peu dans les discussions ; elle est pourtant centrale. Les troubles mentaux sont surreprésentés en prison. Une étude de 2004 estimait que huit détenus sur dix en étaient atteints. En 2017, on évaluait à 70 % la part des détenus souffrant d'au moins un trouble psychiatrique. Au mois de février, une étude de l'Organisation mondiale de la santé rappelait que deux tiers des personnes incarcérées étaient touchées par des troubles mentaux. Enfin, une étude nationale récemment publiée plaidait en faveur d'une réflexion sur les alternatives à l'incarcération pour les personnes ayant des troubles psychiques.